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Intervention de George Pau-Langevin

Réunion du 21 juin 2011 à 22h00
Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGeorge Pau-Langevin :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment d'aborder la discussion de fond sur ce texte, je me permettrai de rappeler cette maxime que l'on attribue à Montesquieu : « S'il est parfois nécessaire de changer certaines lois, ce qui est rare, il ne faut y toucher que d'une main tremblante. »

Le Gouvernement aurait été bien inspiré de méditer cette maxime, car il nous présente aujourd'hui un texte particulièrement curieux. Ce sont en fait deux textes, qui n'ont rien à voir entre eux, sinon qu'ils sont présentés en urgence, en lieu et place de projets sur lesquels nous avions eu l'occasion de réfléchir, qui avaient donné lieu à des rapports, à des avant-projets. Je pense à la réforme de la procédure pénale et à celle du code de justice pénale des mineurs, qui nous avait été annoncée en 2009.

Le texte qui nous est soumis est un leurre. Le Gouvernement communique beaucoup sur une partie de ce texte, à savoir le pouvoir de juger, qui serait « rendu au peuple ». En réalité, son but réel est de changer considérablement, et dans un sens qui nous inquiète, la manière d'aborder la justice des mineurs.

Chaque fois que nous abordons ce sujet, nos collègues de l'UMP nous parlent toujours de la victime et encore de la victime. Je veux redire ici que nous aussi, nous sommes conscients du drame que vit la victime. Nous aussi, nous sommes parents d'élèves. Nous aussi, nous sommes citoyens. Par conséquent, si nous voyons des adolescents en difficulté, nous voyons aussi des gens qui ont perdu un enfant ou un compagnon. La compassion n'est pas présente d'un seul côté de l'hémicycle.

Mais justement, le rôle de la justice n'est pas d'adopter exclusivement le point de vue de la victime, mais de répondre de manière raisonnable au trouble qui a été causé à la société. Nous n'avons pas à nous laisser entraîner par une passion, celle de la victime, même si sa rage ou sa colère sont particulièrement compréhensibles.

Je rappelle également que l'autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle. C'est donc au juge de dire s'il y a lieu de prononcer des mesures privatives de liberté. Ce qui est gênant dans votre texte, c'est qu'il se situe à mi-chemin entre un système où la décision appartient à un jury majoritairement composé de citoyens et un système où le prononcé de la peine, surtout si elle est privative de liberté, doit revenir à des juges professionnels. Le Conseil Constitutionnel a rappelé, dans sa décision de janvier 2005 sur les juges de proximité, que le pouvoir de prononcer des mesures privatives de liberté ne peut être confié à une juridiction composée de juges non professionnels.

Contrairement à ce qu'affirme le ministre, et même si ce qu'il dit correspond sans doute à sa conviction, ce texte porte la marque d'une rhétorique insupportable, parce qu'elle reflète une méfiance à l'endroit des magistrats que l'on a du mal à comprendre. Pratiquement, aujourd'hui, dans la logorrhée que l'on entend dans certains cercles du pouvoir, s'il y a des crimes et des récidives, ce n'est pas parce que vous n'arrivez pas totalement à les réduire – si tant est qu'une société puisse y parvenir –, c'est parce que les magistrats ne font pas leur travail. C'est cela qui nous gêne beaucoup, monsieur le ministre, quand on vous entend et quand on entend le Président de la République. Je pourrais aussi citer ce qu'avait dit M. Hortefeux, alors ministre de l'intérieur, au lendemain du drame affreux qu'a été le meurtre de la joggeuse Natacha Mougel, tuée par un déséquilibré. Il nous avait fait un développement assez insupportable : « Lundi dernier, lorsque chaque membre de la famille de Natacha Mougel, avec sa petite bougie, a entouré son cercueil, ce fut un moment terriblement poignant. En quelques semaines, plusieurs faits montrent le décalage entre la souffrance des victimes et la réponse pénale apportée par une minorité de magistrats. »

« Si ce criminel n'avait pas été libéré avant la fin de sa peine, poursuivait-il, la vie de Natacha Mougel aurait été épargnée. Je n'ai pas peur de le dire : cette affaire pose la question du rôle du juge de l'application des peines et de la responsabilité que lui confie la loi. Est-il normal, aujourd'hui, que des assassins ou des violeurs, condamnés par une cour d'assises, puissent sortir de prison avant la fin de leur peine parce que des magistrats professionnels l'ont décidé ? »

On voit bien que chaque fait divers est l'occasion d'enfoncer le clou et d'imputer aux juges, parce qu'ils ne seraient pas suffisamment sévères, la responsabilité de tout ce qui peut se passer de dramatique.

Or nous savons tous ici que si nous sommes confrontés à tant de difficultés en matière judiciaire, c'est en raison d'une double crise.

La justice souffre d'une crise interne : elle est encombrée, il manque des professionnels, il manque des juges et des greffiers. On est ainsi quasiment obligé de procéder à une justice expéditive, qui doit parfois examiner une vingtaine d'affaires au cours d'une seule audience. Si on en est là – et ceci m'oblige, j'en suis désolée, à contredire les propos tenus par M. le garde des sceaux –, c'est parce que, même s'il y a augmentation des moyens de la justice, une augmentation qui n'est d'ailleurs pas extraordinaire,…

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