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Intervention de François de Rugy

Réunion du 21 juin 2011 à 22h00
Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois de Rugy :

Je vous invitais à le rappeler avec votre autorité à nos collègues, qui voudraient s'y soustraire.

En quatre ans, cinq lois ont limité le pouvoir des juges, cinq lois qui n'ont en rien fait reculer la délinquance dans notre pays, cinq lois largement inutiles, auxquelles vous ajoutez aujourd'hui un sixième texte, qui aura des effets dévastateurs, tant sur la réinsertion des majeurs que sur la prévention de la délinquance des mineurs.

En réalité, vous voulez encadrer les magistrats, que vous jugez trop laxistes, par des citoyens, que vous espérez plus sévères. La conséquence est immédiate, vous limitez le pouvoir du juge, qu'il s'agisse de prononcer des peines, d'accorder des libérations conditionnelles ou de juger des mineurs.

Le sentiment de nos concitoyens à l'égard de la justice est beaucoup plus complexe, il est même parfois contradictoire. Quand ils y sont confrontés directement, un grand nombre d'entre eux la trouvent en réalité trop sévère, nous en avons tous entendu dans nos permanences parlementaires nous expliquer qu'elle avait été trop dure avec eux. Combien de Français se passionnent pour ce qu'ils pensent être des erreurs judiciaires ! Et puis, quand ils entendent parler de loin de faits divers très résumés, ils trouvent alors qu'elle n'est pas assez sévère.

Le troisième volet de cette réforme, relatif à l'application des peines, est aussi scandaleux que les deux premiers.

En matière d'application des peines, l'assesseur citoyen assistera désormais les magistrats. En appel, il remplacera le représentant de l'association d'aide aux victimes et le représentant de l'association de réinsertion, qui interviennent déjà.

Je lis dans l'étude d'impact que l'impartialité des assesseurs aujourd'hui présents serait contestable, notamment quand l'association de réinsertion représentée à l'audience est précisément celle avec laquelle le projet de sortie est envisagé. La critique est pour le moins légère et, au-delà de l'affirmation, rien n'indique que cette partialité vienne contredire l'objectif d'une réinsertion réussie. Qui plus est, je ne vois pas de griefs qui puissent être retenus à l'encontre des associations de victimes, que vous prétendez défendre alors que vous les évincez.

Dans une matière aussi complexe, quel est l'intérêt de remplacer un citoyen qualifié, reconnu pour sa compétence et son intérêt pour la justice, par quelqu'un qui, au fond, n'aura ni cette expérience, ni cette compétence, ni peut-être même cet intérêt puisqu'il aura simplement été tiré au sort ? Nous n'en voyons qu'un : rendre plus difficiles les libérations conditionnelles.

Faut-il que le Gouvernement méconnaisse à ce point le fonctionnement de l'institution judiciaire, ses exigences, ses difficultés, pour choisir ainsi d'étendre la présence des citoyens assesseurs jusqu'au domaine de l'application des peines ?

Ainsi, aux termes de l'article 9 du projet de loi, le tribunal de l'application des peines comprendra, outre le président et deux juges assesseurs, deux citoyens assesseurs qui participeront aux décisions pour les libérations conditionnelles des personnes condamnées à des peines privatives de liberté supérieures ou égales à cinq ans et pour le relèvement des périodes de sûreté. La chambre de l'application des peines comptera également deux citoyens assesseurs lorsqu'elle statuera en appel.

On comprend bien la logique populiste qui guide ce choix : il s'agit de laisser croire aux Français que la présence de simples citoyens auprès de magistrats professionnels constituera un frein aux libérations conditionnelles et au relèvement des périodes de sûreté. Mais de deux choses l'une, monsieur le ministre : soit vous pensez que ces dispositifs de sortie préparée sont inefficaces et, dans ce cas, il faut aller jusqu'au bout et les supprimer ; soit vous les jugez utiles pour préparer la réinsertion du condamné et lutter contre la récidive, ce que nous pensons, et dans ce cas, je comprends mal la raison d'être de ce projet de loi, qui vise l'objectif contraire.

L'application effective des peines, l'insertion et la lutte contre la récidive sont des enjeux majeurs pour notre société. En quoi l'association de non-professionnels permet-elle de répondre à ces enjeux ?

L'application des peines, c'est un suivi de long terme du condamné, qui appelle des compétences techniques, juridiques, médicales, parfois même psychiatriques, ainsi qu'une connaissance du milieu pénitentiaire.

À la lecture de ce projet de loi, on s'interroge vraiment sur la cohérence de vos nouveaux dispositifs. Votre précipitation risque encore une fois de priver le pays et ses représentants d'un débat de fond pourtant indispensable : le jury populaire est-il un plus pour la démocratie ?

Si l'on regarde le système judiciaire des autres pays, on voit qu'aux États-Unis, par exemple, le jury populaire est très présent, mais, dans le fond, est-ce une si bonne chose ? Comme l'a souligné Dominique Raimbourg, n'est-ce pas parfois une source de manipulation, y compris, parfois, au bénéfice de personnes mises en cause qui sont peut-être coupables ?

Il est difficile en réalité de se faire une opinion sur le sujet. En France, la tradition républicaine veut que le peuple se prononce pour juger les affaires criminelles, mais il faut bien admettre que la réforme de l'an 2000 a remis en cause une sorte d'infaillibilité du verdict populaire en instituant la possibilité de faire appel d'une décision de cour d'assises. Où est la cohérence, lorsque l'on prétend créer des jurés pour les délits, après en avoir supprimé pour les crimes ? Tout cela n'a aucun sens.

Encore une fois nous n'étions en aucun cas contre la présence de représentants de la société civile dans le fonctionnement de la justice. Nous sommes par exemple favorables à la généralisation des échevins. Ce modèle, fondé sur des personnes qui se dévouent et participent régulièrement à ces institutions, fonctionnait, et nous paraissait devoir être développé. À l'inverse, la solution proposée de citoyens tirés au sort sans que soient prévus les moyens nécessaires pour les former pose plus de problèmes qu'elle n'en résout.

Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la seule cohérence dans le projet présenté ici est celle qui est dictée par la stratégie politicienne et électoraliste du Président de la République, qui entend encore une fois s'exonérer de ses propres responsabilités, et notamment de celle de garantir au service public de la justice les moyens indispensables à son fonctionnement.

De si mauvaises intentions ne peut pas naître une bonne loi. Parce que ces sujets sont trop sérieux pour être traités à la faveur d'une séquence de communication préélectorale concoctée en catimini, derrière un buisson, un Patrick Buisson, devrais-je dire, je vous demande de voter le renvoi de ce texte en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

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