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Intervention de François de Rugy

Réunion du 21 juin 2011 à 22h00
Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois de Rugy :

Nous sommes là pour l'étudier et voir s'il est constitutionnel.

Il est moins que sûr que la liste du nouvel article 399-2 réponde aux critères fixés par le Conseil constitutionnel, qui imposent une cohérence pour respecter les principes de proportionnalité. Quoi de commun entre l'homicide involontaire, la destruction de véhicule par moyens dangereux, ce qui peut également relever d'ailleurs de l'escroquerie à l'assurance, et l'embuscade ?

En pratique, en outre, l'usage des circonstances aggravantes par les parquets leur permettra plus encore qu'aujourd'hui de choisir la juridiction devant laquelle ils renverront le jugement des délits, et parfois pour de mauvaises raisons, vous le savez très bien : aspect médiatique d'une procédure, campagne d'opinion, etc.

Enfin, le tribunal correctionnel compétent pour juger ces délits que vous qualifiez de sensibles le sera également pour les infractions connexes, à l'exception de celles qui relèvent des juridictions spécialisées comme les tribunaux militaires ou les juridictions financières, qui seront jugées par le tribunal « normal », selon l'étude d'impact, pour « éviter une érosion de la peine pour des délits graves » à laquelle pourrait conduire, par le jeu des confusions de peines, la disjonction des procédures. Et vous allez prétendre après cela que le but de la réforme n'est pas d'avoir des condamnations plus sévères !

Au-delà de l'aveu ainsi révélé, cette disposition contrevient plus manifestement encore au principe de l'égalité des citoyens devant la justice, dont le Conseil constitutionnel rappelle qu'il est inclus dans le principe d'égalité devant la loi.

L'étude d'impact révèle, en effet, pour minimiser l'importance de cette entorse, qu'au titre des infractions connexes, 1 500 affaires relevant de la compétence d'attribution du tribunal correctionnel siégeant avec des citoyens assesseurs seront en définitive jugées par le tribunal correctionnel sans citoyens assesseurs.

Il n'en demeure pas moins qu'en l'état de ces 1 500 affaires, la comparution des prévenus devant l'une ou l'autre des formations du tribunal correctionnel dépendra uniquement de l'existence ou non de délits ou de contraventions connexes ne relevant pas de la compétence avec citoyens assesseurs.

Or il est extrêmement douteux, pour ne pas dire impossible, qu'un tel dispositif résiste aux exigences constitutionnelles selon lesquelles le principe d'égalité des citoyens devant la loi « fait obstacle à ce que des citoyens se trouvant dans des conditions semblables et poursuivis pour les mêmes infractions soient jugés par des juridictions composées selon des règles différentes ». C'est ce qu'a jugé le Conseil constitutionnel à propos de la loi du 23 juillet 1975, aux termes de laquelle les affaires de même nature pouvaient être jugées par un tribunal collégial ou par un juge unique selon la décision du président de la juridiction. Il y a donc un précédent dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

On observera que si, en l'espèce, la comparution devant l'une ou l'autre des formations du tribunal correctionnel ne dépend pas de la décision du président du tribunal, elle dépendra néanmoins de circonstances, l'existence ou non d'infractions connexes, insuffisantes pour justifier le traitement différencié réservé aux prévenus dans l'un et l'autre cas.

Au surplus, elle pourrait également dépendre de la décision du parquet de viser ou non les infractions connexes dans les poursuites, ce qui rapprocherait encore de la situation déjà censurée par le juge constitutionnel.

Mais votre projet n'est pas seulement un trompe-l'oeil instable du point de vue de sa constitutionnalité. Il risquerait, s'il était appliqué, d'affaiblir considérablement le fonctionnement de la justice.

L'étude d'impact ne le cache pas : il faudra allonger les audiences pour expliquer aux jurés de quoi il s'agit. Une cour d'assises prend le temps de convoquer les témoins et d'entendre experts et directeur d'enquête. Tel n'est pas le cas d'un tribunal correctionnel. Il tranche sur un dossier, grâce aux professionnels membres du tribunal, qui jugent vite. Autant la justice est critiquable dans sa lenteur à traiter les dossiers, ou encore dans l'exécution des peines, autant le fonctionnement des audiences est ce qu'elle sait faire de mieux.

C'est enfin un texte hors de prix. Oui, ce projet de loi est coûteux, et il est inacceptable que nous soyons convoqués pour en débattre sans que la commission ait pu sérieusement en estimer l'impact budgétaire, contrairement à tous les engagements pris par le Président de la République ou le Gouvernement depuis quatre ans.

Nous savons que votre projet implique des investissements lourds pour créer ou agrandir des salles d'audience : combien, à quel rythme, au détriment – il faut être lucide – de quels autres investissements programmés, monsieur le ministre ? Il vous faudra bien répondre à ces questions.

En matière de fonctionnement, le rapporteur de la commission des lois évoque la somme d'un million d'euros pour l'aménagement des postes de travail, de presque 8 millions d'euros d'indemnités pour les citoyens assesseurs, et la création de 155 postes de magistrat et de 109 postes de greffier mais, bizarrement, l'étude d'impact ne chiffre pas le coût de ces emplois. Je me suis livré à un calcul comparable à celui qu'a fait tout à l'heure Dominique Raimbourg. Si l'on considère qu'un magistrat coûte environ 100 000 euros par an et un greffier 50 000 euros, l'on aboutit à un total d'environ 17 millions d'euros par an pour les magistrats et de 6 millions d'euros pour les greffiers.

Le coût prévisible de la réforme, uniquement en termes de fonctionnement, peut donc être évalué à 30 ou 35 millions d'euros par an. C'est extrêmement élevé quand on connaît la pénurie de moyens dans la justice française, et c'est totalement incohérent avec la réalité du budget de la justice, qui se situe déjà misérablement au trente-septième rang en Europe. Notre pays compte dix magistrats pour 100 000 habitants, soit la moitié de la moyenne européenne, et trois procureurs, contre huit chez nos voisins. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

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