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Intervention de François de Rugy

Réunion du 21 juin 2011 à 22h00
Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois de Rugy :

En dépit des annonces de non-suppression de classes, vous savez parfaitement que c'est ce qui s'est produit ces quatre dernières années.

«La justice est rendue au nom du peuple français, désormais elle sera rendue aussi par le peuple français », ainsi s'exprimait Nicolas Sarkozy dans son discours du 3 février. Il faudra bien, un jour, s'attacher à recenser tous ces truismes présidentiels qui ne provoqueraient que des sourires las, tellement ils sont devenus inutiles et inefficaces face à la situation de notre pays, s'ils n'avaient pour conséquence le dépôt de projets de loi d'affichage successifs. Il en va de même des propositions de loi et je pense à celle relative aux parents de notre collègue Ciotti. On dressera un bilan, mais tout cela n'aura été malheureusement que de l'affichage et n'aura sans doute servi à rien. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Ces textes le plus souvent inutiles ne se contentent pas d'occuper la scène médiatique, ils ont des conséquences souvent dramatiques sur le fonctionnement de la justice. En effet, cette lubie présidentielle – car c'est bien de lubie qu'il faut parler et je sais qu'il n'y a pas que dans l'opposition que l'on parle de lubie à propos des discours du Président de la République – cette lubie présidentielle, disais-je, inventée, une fois de plus, au détour d'une énième déclaration compassionnelle au lendemain d'un drame – le meurtre d'une joggeuse, près de Lille – contredit les travaux et les réflexions alors en cours, y compris au sein de la majorité. En effet, quelques mois auparavant, notre collègue Jean-Paul Garraud, par ailleurs secrétaire national à la justice de l'UMP, et plusieurs de ses collègues de l'UMP à l'Assemblée nationale, avaient déposé une proposition de loi exactement opposée, puisque ses auteurs y préconisaient la suppression du jury populaire en cour d'assises, du moins en première instance. Souvenons-nous-en. Relisons donc quelques instants l'analyse de notre collègue Garraud : le système de double cour d'assises, qui date de 2000, s'avère, nous disait-il alors, « extrêmement lourd » et mobilise « beaucoup d'énergie, de temps et d'argent. » C'est dit en peu de mots, mais c'est bien dit. Il conduit, nous expliquait notre collègue censé être le spécialiste « justice » de l'UMP, à un phénomène contestable : la correctionnalisation des crimes. Il est vrai qu'aujourd'hui un très grand nombre d'infractions criminelles sont « déqualifiées ». On appelle cela la correctionnalisation judiciaire. Ainsi, un vol à main armée se transforme-t-il en vol avec violence ou un viol devient-il une agression sexuelle. Et, au lieu de passer devant une cour d'assises, la personne mise en cause est jugée en correctionnelle, donc, sans jury populaire. C'est, nous dit-on, un gain de temps et d'argent. Je ne crois pas me tromper beaucoup en disant que les trois-quarts des infractions criminelles sont ainsi passés au tamis. Nous savons que la police transmet, chaque année, à la justice près de 20 000 dossiers qu'elle qualifie de criminels et que la justice rend, chaque année, 2 500 arrêts criminels. Autrement dit, la proportion des affaires considérées comme criminelles par la police et correctionnalisées, ensuite, par la justice est de l'ordre de 80 % à 85 %. Pour mettre fin à cette situation, les responsables de l'UMP appelaient, alors, au principe de réalité et préconisaient la limitation des jurys populaires aux assises. Leur démonstration était sans doute discutable sur le fond – en tout cas digne d'être discutée – mais elle était étayée : réunir un jury n'est pas une mince affaire, et les cours d'assises se réunissent environ 3 000 fois par an. C'est beaucoup plus que ce que nous pouvons assumer, nous expliquait alors notre collègue Garraud. Aujourd'hui, un projet de loi de circonstance plus tard, vous nous proposez exactement le contraire de ce que vous préconisiez alors : l'introduction de jurés populaires dans la procédure correctionnelle. Or les tribunaux correctionnels prononcent environ 600 000 jugements par an, 200 fois plus que les tribunaux d'assises, ce que vous jugiez pourtant insupportable d'un point de vue financier et logistique, voici à peine un an ! Voilà ce que disent les collègues de l'UMP !

Pour gérer cette incohérence, vous opérez deux tours de passe-passe plus que douteux : l'un porte sur les conditions d'intervention des jurés, l'autre sur les délits soumis à votre nouvelle procédure. Votre projet de loi écarte ainsi délibérément un mode de désignation des citoyens assesseurs calqué sur celui des jurés d'assises, par simple tirage au sort sur les listes électorales. J'ajoute que les propositions du rapporteur de porter à dix jours les périodes pendant lesquelles les citoyens assesseurs pourront siéger et de les protéger du licenciement ne règlent pas, pour nous, la question de savoir comment ils pourront s'absenter de leur travail en toute sérénité, même si ces propositions améliorent le texte initial. Elles ne répondent pas non plus à notre préoccupation que les jurys ne soient pas principalement composés de chômeurs et de retraités – mais je pense que telle n'est pas l'intention du législateur – constituant alors une représentation qui ne pourrait pas être pleinement fidèle à la position du peuple français, puisque c'est de cela qu'il s'agit, au regard des délits qu'ils seront amenés à juger. C'était pourtant la seule option possible si l'on avait véritablement souhaité ouvrir la sélection des juges citoyens et assurer une représentation complète de la société. Il eut été indispensable également, pour s'assurer de l'impartialité de ces assesseurs, de prévoir un droit de récusation identique à celui en vigueur devant les cours d'assises. Cette option a été écartée pour des raisons pratiques, me dit-on. Il n'est « pas envisageable », suivant l'étude d'impact, de prévoir un droit de récusation qui « impliquerait que, pour chaque affaire à juger, un nombre suffisamment important de personnes tirées au sort soit convoqué ». Une telle réponse trahit, de fait, l'incapacité d'appliquer la loi présentée ici dans des conditions satisfaisantes et conformes à ce que vous affichez aux yeux de l'opinion publique, d'autant que cette réforme sera partielle et qu'il sera bien difficile de faire le tri, comme vous le proposez, entre les affaires selon qu'elles seront soumises à un tribunal correctionnel avec citoyens assesseurs ou à un tribunal correctionnel sans citoyens assesseurs. Aussi simple qu'il puisse paraître sur le papier, ce tri sera, en réalité, très compliqué. J'imagine que vous ne l'ignorez pas !

L'article 399-1 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue du projet pose le principe de la compétence du tribunal correctionnel comprenant des citoyens assesseurs pour le jugement, en première instance et en appel, de certains délits. Le choix de ces infractions n'est évidemment pas anodin. Il s'agit d'associer les citoyens au jugement des procédures concernant les affaires qui « portent atteinte quotidiennement à la sécurité et à la tranquillité de la population », si l'on en croit l'étude d'impact. L'établissement de la liste des infractions – article 399-2 du code de procédure pénale – répondant à ce critère est éminemment politique : le ministère de la justice a décidé qu'il devait s'agir de délits dits « sensibles » qui portent une atteinte particulièrement grave à la cohésion sociale du pays, notamment les violences, les vols avec violence, les violences conjugales habituelles et les agressions sexuelles. En sont donc exclues, en dépit des lourdes peines qu'elles font encourir à leurs auteurs, les infractions en matière de stupéfiants et celles relevant du domaine économique et financier. Les citoyens auraient pourtant leur mot à dire, si l'on se place dans votre logique, en matière économique et financière ! On peut même penser que leur jugement serait assez sûr et fiable. Mais y figurent les seuls homicides involontaires commis à l'occasion de la conduite d'un véhicule ou par un chien en raison de l'imprudence de son propriétaire, ainsi que les incendies de véhicules au titre des violences urbaines – lesquelles, reconnaissez-le avec moi, ne constituent pourtant pas une catégorie particulière d'infraction – certaines menaces et les faits d'extorsion pour répondre, est-il précisé, au phénomène du racket à la sortie des établissements scolaires.

(M. Marc Le Fur remplace M. Jean-Christophe Lagarde au fauteuil de la présidence.)

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