…que Dominique Raimbourg vient de défendre avec le talent que chacun lui reconnaît dans cet hémicycle et la compétence dont il a déjà fait preuve et dont il ne manquera pas de faire preuve dans les jours qui viennent.
Non seulement votre texte, monsieur le ministre, est inutile, mais encore il est contre-productif. Il nous paraît même préoccupant pour la cohérence de notre système institutionnel.
Ce ne sont pas tant les modalités techniques ou juridiques qui posent problème que la philosophie générale à laquelle il est soumis. Deux idées sous-tendent la réforme. On imagine d'abord que le renforcement de la légitimité de la justice pénale passe nécessairement par l'intervention de citoyens assesseurs. Cette vue est erronée. Toutes les décisions de justice, dans tous les tribunaux, sont rendues « au nom du peuple français ». Dans ces conditions, pourquoi ne pas remettre en cause toutes les juridictions civiles et administratives, puisqu'il n'existe pas en leur sein de citoyens assesseurs ? Si la légitimité d'une institution se mesure à la part directe qu'y prennent les citoyens aléatoirement désignés, alors notre hémicycle n'est pas légitime, puisque les lois qui s'y votent ne doivent rien à des « parlementaires assesseurs ».
Si les juges professionnels ne sont plus assez légitimes, alors ce projet doit aller plus loin encore et envisager que des citoyens assesseurs siègent dans d'autres formations de l'ordre judiciaire, comme dans les pays anglo-saxons.
La seconde idée qui sous-tend votre texte, c'est la défiance à l'encontre des juges professionnels en tant que tels. Votre réforme repose sur le fait que leurs décisions ne seraient pas suffisamment sévères ou qu'elles seraient difficilement compréhensibles pour l'opinion publique. Le Président de la République, en tout cas, l'a déclaré à deux reprises : le 16 novembre 2010, puis en décembre 2010, à l'occasion de ses voeux. Or ce point de vue est également très contestable. Les statistiques du ministère de la justice ne permettent pas de confirmer ce mécontentement à l'égard de la justice pénale. La faiblesse du taux d'appel en matière correctionnelle le dément même. Seuls 4,5 % des peines prononcées émanent de cour d'appel. Selon les chiffres que vous avez publiés en février 2011, monsieur le garde des sceaux, dans le numéro 112 d'Infostat justice, une victime de délit sur deux estime que justice lui a été rendue.
On peut aussi faire un rappel historique : à l'origine, le législateur a considéré que les jurés populaires seraient garants d'une justice moins sévère et la loi du 5 mars 1932 les associa à la cour pour éviter que des sanctions trop graves ne soient infligées aux accusés.
Votre réforme risque d'altérer la cohérence de notre système institutionnel. Quand bien même certaines décisions correctionnelles seraient-elles critiquables, cela ne peut légalement justifier une intrusion des pouvoirs exécutif et législatif au sein de l'autorité judiciaire.
Votre réforme soulève évidemment une importante question de constitutionnalité, et nous saisirons d'ailleurs le Conseil constitutionnel à ce sujet. L'exécutif critique les décisions de justice des juges et envisage une loi pour modifier sur le fond le contenu de ces décisions. C'est une atteinte à la séparation des pouvoirs constitutive de ce que l'on pourrait qualifier, en droit public, de détournement des pouvoirs. En donnant l'impression qu'il est destiné à déposséder les juges professionnels de leur compétence naturelle à juger les affaires correctionnelles, le projet pourrait justifier le soupçon d'une atteinte à l'indépendance des juges. Il n'engage donc pas seulement une réforme de la procédure de jugement de quelques infractions pénales. Il touche à la philosophie même de notre système juridictionnel. Voilà pourquoi nous allons voter la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)