Parler aujourd'hui de révolution numérique, c'est enfoncer une porte ouverte, je suis le premier à le faire, mais une fois cette porte enfoncée, on ne sait pas pour autant ce qui se trouve derrière. Cette révolution est en effet beaucoup plus rapide et plus complexe qu'on ne pouvait l'imaginer. L'arrivée dans les deux ou trois prochaines années sur le marché français de Netflix, société qui propose des films en flux continu sur internet, risque de bouleverser bien des prévisions. Nous nous efforçons de rationaliser le plus possible toutes les hypothèses avec les professionnels les plus compétents. Quelle que soit l'éminente qualité des équipes en place, et Rémy Pflimlin bénéficie d'un capital de confiance inentamé, nul ne peut prévoir les ajustements que la révolution numérique va entraîner dans les cinq prochaines années. En dépit de toute la rigueur dont nous faisons preuve, nous sommes emportés par un tourbillon dont nul ne sait où il nous portera…
Il se trouve qu'il n'y a pas si longtemps encore, je travaillais pour France 2, France 3 et France 5. Je sais donc par expérience que chacune de ces chaînes possède sa propre culture, liée à son histoire, et a une manière spécifique de se vivre. Chacune revendique, non sans raison, sa singularité dans le même temps que toutes se sentent très fortement appartenir au service public, dont elles sont convaincues de l'importance et de la pertinence du modèle. C'est d'ailleurs pourquoi la mutualisation ne peut s'effectuer que progressivement. Il est des domaines où elle ne pose pas de difficulté et d'autres, notamment pour tout ce qui touche à l'artistique et correspond pour chacune des chaînes à l'image qu'elle se fait d'elle-même, où elle est beaucoup plus délicate. Peut-être d'ailleurs est-il mieux que chaque chaîne préserve sa culture et son identité forte dans le domaine artistique. Pour le reste, le processus s'effectuera selon le calendrier prévu, c'est-à-dire sur toute la période 2011-2016. Je ne suis pas en mesure, monsieur Gaultier, de vous indiquer toutes les étapes. D'ailleurs, quand bien même je le pourrais, j'y serais réticent. En effet, il n'appartient pas au Gouvernement d'intervenir, quand les éminents responsables concernés n'ont pas encore totalement arrêté le calendrier qui leur paraît le plus adapté.
S'agissant des conventions collectives, les négociations sont longues et complexes. On a plusieurs fois été sur le point d'aboutir sans finalement y parvenir. Le changement de direction a certainement contribué à rouvrir des débats. La convention collective des journalistes devrait néanmoins être signée dans les jours qui viennent et celle des personnels techniques et administratifs en 2012. Aucun scoop donc sur le sujet ! Les contacts réguliers que nous avons, tant avec l'équipe dirigeante qu'avec les partenaires sociaux, nous laissent espérer que ces délais seront tenus.
En ce qui concerne le numérique, la nouvelle direction a donné un signal fort en confiant à Bruno Patino à la fois la direction de France 5 et la direction du développement numérique de l'ensemble du groupe. Outre que son éclatante réussite antérieure à Radio France plaide pour lui, qu'il fait l'unanimité et qu'il connaît parfaitement ces sujets, Bruno Patino disposera des moyens nécessaires pour ancrer France Télévisions dans le domaine numérique au moment précis où il importe de réussir cet ancrage. Votre rapporteur évoque une montée en puissance de 50 à 125 millions d'euros. Compte tenu du budget global de France Télévisions, cela paraît légitime. Nous faisons confiance aux dirigeants lorsqu'ils jugent l'objectif tenable. Ne pas relever ce défi dans le nouveau COM serait pure folie. La nouvelle direction s'y est attaquée de front et s'est donnée les moyens de réussir.
Pour ce qui est du passage à la haute définition, il existe un programme national qui correspond à celui appliqué pour France 3, France 5, ainsi que sur la TNT. Je ne peux vous dire à quel rythme exactement France Télévisions envisage d'étendre son offre de diffusion en HD. Cela étant, la qualité de l'image va tellement s'améliorer avec la TNT que le groupe sera obligé de tenir un calendrier assez serré. Mais là encore, je considère qu'il est de la responsabilité de l'équipe dirigeante de le définir, certainement pas de la mienne.
Qu'il soit prévu d'affecter 420 millions d'euros à la production de documentaires et autres programmes propres au service public marque bien la volonté que France Télévisions demeure un moteur de la création et en assoit la légitimité. Pardonnez-moi encore une fois d'invoquer mon expérience personnelle mais je n'ai pu réaliser de documentaires par le passé que sur les chaînes publiques, n'ayant jamais réussi à obtenir le moindre financement autre part.
Cette conviction que les chaînes publiques doivent tirer la création fait intimement partie de leur culture commune. Pour autant, ce moteur connaît des ratés, notamment en matière de fiction. Il appartiendra à la nouvelle direction de trouver des réponses mieux adaptées aux attentes du public. Tout en me gardant d'un quelconque antiaméricanisme primaire, je suis toujours fasciné de voir qu'au fin fond de notre pays, on puisse vibrer au récit de telle ou telle histoire américaine, emblématique d'une société pourtant si éloignée de la nôtre. C'est tout simplement qu'il n'y a pas aujourd'hui de fiction française qui soit le miroir de notre société, à l'exception sans doute de Plus belle la vie, qui est une grande réussite. Les téléspectateurs souhaitent se reconnaître dans les émissions, ce qui a d'ailleurs expliqué en son temps le succès de la télé-réalité, et que ces émissions donnent une meilleure représentation de notre société et de ses problèmes. Force est, hélas, de constater que la plupart des fictions françaises, quelle que soit leur qualité et il en est d'excellentes qui ont même valeur patrimoniale, n'offrent pas aux téléspectateurs cette possibilité d'identification. Il faut donc compléter l'offre en ce sens. Cet immense défi justifie la mission qui a été confiée à Pierre Chevalier qui propose dans son rapport des pistes très intéressantes.
Le renouvellement de la fiction permettra aussi de lutter contre le vieillissement de l'audience. Les jeunes se détournent de la télévision au profit d'autres médias. Il est possible de contrer cette évolution par une richesse et une créativité des programmes qu'ils n'ont pas aujourd'hui dans le domaine de la fiction.
Pour ce qui est du sport, j'avais, à tort, le sentiment qu'il était peu et mal représenté sur les chaînes du service public. En réalité, des disciplines peu familières du grand public y sont très bien présentées mais la communication à ce sujet est insuffisante, si bien que beaucoup l'ignorent. Le COM doit continuer d'affirmer cette vocation du service public et mettre en valeur les efforts faits en matière d'émissions sportives, notamment à l'occasion des Jeux olympiques.
La direction actuelle de France Télévisions a la ferme volonté de promouvoir le spectacle vivant. N'y est sans doute pas étranger le fait que Rémy Pflimlin lui-même en est passionné et que cela fait partie de sa culture. Une contractualisation permettra-t-elle de lui donner une meilleure visibilité et de sanctuariser les émissions qui y seront consacrées ? Un accord interprofessionnel spécifique est prévu.
Nous ne cessons de demander aux équipes de Rémy Pflimlin de veiller à établir de bonnes relations avec les acteurs du spectacle vivant, comme avec les fédérations sportives et les producteurs de fiction, et de construire avec eux des stratégies de long terme plutôt que d'avancer au coup par coup.
Nous aurons des garanties sur ce point, au même titre que pour l'animation. J'ai été littéralement soufflé lors du récent festival d'Annecy par la diversification et l'extrême richesse esthétique du film d'animation aujourd'hui – songeons aux longs métrages Persépolis ou bien encore Valse avec Bachir. Le film d'animation est devenu un média adulte qui attire des jeunes et suscite un engouement qui n'a rien de passager. On ne peut donc que se féliciter que France Télévisions s'apprête à lui accorder plus de place avec des moyens qui augmentent de manière significative.
Je termine par les moyens financiers de France Télévisions. Les recettes publicitaires ont atteint un niveau inespéré l'année dernière. Puis les choses se sont normalisées et on arrive à un montant de 410 millions d'euros. L'objectif de 425 millions d'euros paraît donc raisonnable. Cela étant, nul ne sait comment évoluera le marché. L'estimation de ce que devait rapporter l'ex-redevance a, elle, été sans doute surévaluée.
Au total, le besoin de financement de France Télévisions devrait s'établir cette année autour de 25-26 millions d'euros, si on se refuse à ce qu'elle réduise la voilure en matière artistique. Je rends hommage à la fois aux membres de la direction générale des médias et des industries culturelles, notamment Laurence Franceschini et son équipe, et à France Télévisions qui ont, ensemble, tout méticuleusement passé au crible pour établir cette prévision, qui comporte nécessairement une part d'incertitude vu qu'il est impossible de prédire le montant exact des recettes publicitaires. Nous attendons maintenant l'arbitrage du Président de la République et du Premier ministre dans les tout prochains jours.
Si d'aventure la publicité rapporte plus qu'escompté, le surplus ne doit pas être écrêté. Faut-il le répartir à moitié entre l'État et France Télévisions, comme le suggère votre rapporteur ? Faut-il ne pas y toucher, comme le propose votre présidente ? France Télévisions est une entreprise fantastique, qui possède des savoir-faire exceptionnels et une réactivité remarquable, qui tient vraisemblablement au bon équilibre entre la forte identité de chacune des chaînes et la puissance de la culture commune du groupe. Elle a à relever des défis que nous n'imaginons pas encore. Si elle gagne plus d'argent que prévu dans un domaine, elle ne doit pas être pénalisée. Il faut laisser ces moyens supplémentaires à sa disposition, tout en veillant à ce qu'elle les consacre à l'artistique car la clé de tout réside dans la création. Il y a tant à faire encore, de nouvelles grammaires numériques à inventer, de domaines annexes à la création à explorer…
Oui, la taxe télécoms, contestée par la Commission européenne constitue une bombe à retardement potentielle, vous avez eu raison de le rappeler, monsieur Bloche. J'ignore comment l'affaire se terminera et quand. Je puis seulement vous dire que les arguments préparés par le ministère et nos représentants à Bruxelles sont étayés et méritent considération.