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Intervention de Anne Lauvergeon

Réunion du 14 juin 2011 à 18h00
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Anne Lauvergeon, présidente du directoire d'Areva :

La situation de l'Italie, sortie du nucléaire à l'issue d'un référendum en 1985 et où le référendum de ces derniers jours a exprimé une réponse négative à 90 % ou 95 % aux trois questions posées, est particulière. Quant à la décision prise par Mme Merkel en Allemagne, elle n'est qu'un retour à la position prise par le chancelier Schröder. Areva n'a jamais compté sur le développement du nucléaire en Allemagne pour de nouvelles constructions.

On ignore par quoi l'Allemagne remplacera les 30 % de son électricité produits par le nucléaire. Si l'horizon de 2022 fixé pour la sortie du nucléaire laisse du temps, E.ON et RWE, les principaux électriciens allemands ont cependant déjà fait savoir que l'arrêt des huit premiers réacteurs interdisait de garantir qu'il n'y aurait pas de coupures dès l'hiver prochain.

Alors que, par définition, les énergies renouvelables, qui dépendent du vent ou du soleil, sont intermittentes, les particuliers et l'industrie veulent de l'électricité en permanence. Au Danemark, pays où la part de l'énergie éolienne est, avec 17 %, la plus importante d'Europe, des centrales au gaz, au charbon ou au fioul doivent prendre la relève lorsqu'il n'y a pas de vent, ce qui suppose un double investissement dans les éoliennes et le back up et fait que le consommateur danois génère neuf fois plus de CO2 que son homologue français. Le champion du renouvelable n'est donc pas un champion du « sans CO2 ».

Bien qu'il y ait en mer beaucoup d'espace pour installer des éoliennes, on imagine mal qu'une nation industrielle telle que l'Allemagne puisse se contenter de cette forme de production d'électricité. L'abandon du nucléaire signifiera donc pour ce pays une dépendance accrue vis-à-vis de la Russie pour l'approvisionnement en gaz et l'achat d'électricité nucléaire auprès des pays voisins. Ceux-ci – République tchèque, Slovaquie, Slovénie, Pologne, Pays-Bas et France – ont tous des plans nucléaires et s'apprêtent à en fournir. La France doit-elle redevenir fortement exportatrice d'électricité ? Cette question doit faire l'objet d'un grand débat, qui a sa place dans le débat sur le nucléaire. De fait, si l'exportation d'électricité, quatrième poste du commerce extérieur français, a été très utile au cours des vingt-cinq dernières années, elle est allée diminuant à mesure qu'augmentait la consommation nationale. Faut-il faire le pari de l'exportation ? D'autres pays limitrophes de l'Allemagne l'ont déjà fait.

Quant à savoir si l'exemple allemand fera tache d'huile, je reste dubitative, car la situation est comparable à celle que nous avons connue en 2000, lors de la décision du gouvernement Schröder d'abandonner le nucléaire. Il va nous falloir attendre avec intérêt ce qui va se passer.

L'extension de la durée de vie des centrales est une question qui relève de la responsabilité de l'État. Il appartient à l'Autorité de sûreté nucléaire d'en décider et je ne puis, déontologiquement, interférer dans ce débat.

Nous sommes présents dans trois filières d'énergie renouvelable et dans le stockage d'énergie.

Pour ce qui est de l'éolien, après les problèmes d'acceptation que nous avons rencontrés à terre – onshore –, nous avons décidé de nous concentrer sur l'éolien au large – offshore.

Areva construit aussi des installations solaires thermiques, c'est-à-dire des installations de concentration pour lesquelles, à la différence du photovoltaïque, la barrière technologique à l'entrée est très élevée. Nous avons commencé en Californie et en Australie, nous avons des discussions au Moyen-Orient et en Inde, et j'espère bien que nous poursuivrons en Europe.

Le groupe fabrique également des centrales à biomasse, qui sont de petites installations de 3,5 mégawatts, très peu technologiques, destinées aux populations isolées qui n'ont pas accès à l'électricité. Dans ce secteur orienté vers le développement durable, notre filiale Koblitz est le numéro un du marché brésilien.

Enfin, nous sommes présents sur le marché du stockage de l'énergie – piles à combustible – via deux start-up françaises.

Sans doute ai-je été un peu rapide en ce qui concerne l'Asie, tant il est évident pour moi que les programmes nucléaires n'y seront pas modifiés. L'Inde, la Chine, le Vietnam, la Thaïlande, l'Indonésie sont totalement engagés dans le nucléaire. Ils vont passer à la génération 3, ce qui est une bonne nouvelle pour Areva, mais aussi une bonne nouvelle collective : étant donné l'accroissement du nombre de centrales, il est préférable que leur conception soit la meilleure possible.

Très clairement, l'Asie sera le marché le plus important des années à venir. Nous estimons qu'elle représentera 50 % des nouvelles capacités construites en 2025.

Au demeurant, cela doit conduire les Européens à s'interroger : les pays asiatiques ont déjà des salaires inférieurs, ils n'ont pas de problème de retraites et les conditions environnementales y sont moins exigeantes ; si, en plus, le prix de l'électricité y devient moins élevé que le nôtre grâce au recours massif au nucléaire, il y a de quoi s'inquiéter. En tout état de cause, nous devons conserver notre avantage compétitif en matière d'électricité.

J'en viens aux questions concernant les besoins de l'entreprise.

Nous avons en effet acquis la société UraMin pour 2,5 milliards de dollars, soit 1,8 milliard d'euros. Contrairement à ce qui vient d'être indiqué, le montant de la prime est tout à fait classique : il s'est élevé à 21 % du cours moyen pondéré des vingt derniers cours de bourse et à 20 % du dernier cours avant l'offre. Je précise que c'est la banque Rothschild qui a mené l'opération.

Cette acquisition répondait à notre ambition de devenir le numéro un mondial de l'uranium, ce à quoi nous sommes parvenus à partir de 2008-2009. Nous pensons que la question est stratégique et que les réserves doivent se prendre maintenant, sachant qu'il s'écoule en moyenne quinze ans entre la détection d'uranium et l'ouverture de la mine. Dans cette perspective, nous avons triplé nos moyens d'exploration partout dans le monde. Notre politique est de gérer nos réserves : nous exploitons et nous développons à la vitesse qui correspond à nos besoins. Donner un trop grand confort à nos clients en accélérant le développement risquerait de faire baisser les prix.

Pour en revenir à UraMin, nous avons acheté par cette opération trois gisements, le premier à Trekkopje, en Namibie, le deuxième en Centrafrique, et le troisième en Afrique du Sud. La production de Trekoppje a commencé en 2010. Ce site est important pour nous, non seulement parce que la Namibie est un pays stable, mais aussi parce que notre production dépendait auparavant de deux pays seulement, le Canada, où toutes nos mines étaient en fin de gisement, et le Niger. Notre besoin de diversification nous a également amenés au Kazakhstan, en Mongolie, en Australie, et nous avons repris nos activités au Gabon. Cette diversité vise à garantir la continuité de notre offre, non seulement contre les risques politiques, mais aussi contre les risques fiscaux et environnementaux.

Dans un premier temps, il avait été question qu'un de nos clients chinois, l'électricien China Guangdong Nuclear Power Corporation (CGNPC) prenne une participation de 49 % dans UraMin et transforme lui-même l'uranium extrait en combustible. Mais le gouvernement chinois s'y est opposé car le monopole appartient à un autre acteur, China National Nuclear Corporation (CNNC), avec qui nous sommes en discussion au sujet d'autres mines.

Du fait du ralentissement volontaire du développement du site de Trekkopje, nous avons pris en 2010 une dépréciation de 126 millions d'euros. En 2010 également, nous avons constitué une provision de 300 millions d'euros par mesure de prudence face à la baisse du cours de l'uranium au second semestre. Bien que le marché, qui a été peu affecté par l'accident de Fukushima, soit remonté, nous avons décidé de conserver le dispositif.

En ce qui concerne la sûreté nucléaire, une labellisation mondiale serait bien entendu notre rêve. Mais cette idée se heurte à la volonté de chaque autorité nationale de conserver ses prérogatives. Cela dit, un des aspects positifs de l'après-Fukushima est que les autorités seront amenées à se parler beaucoup plus et à travailler en commun. C'est ainsi que l'Association des autorités de sûreté nucléaire des pays de l'Europe de l'Ouest – la WENRA – a publié un document commun consacré à la base installée et au nouveau nucléaire. J'espère que l'on va se diriger peu à peu, sinon vers une labellisation mondiale, du moins vers un système de critères communs. En tout état de cause, nous souhaiterions qu'un réacteur certifié dans un pays « sérieux » en matière de sûreté puisse faire l'objet, dans un autre pays « sérieux », d'une procédure d'agrément plus rapide. On éviterait ainsi de reprendre les vérifications à zéro et on gagnerait beaucoup de temps.

On parle beaucoup moins de l'EPR finlandais OL3. Il est vrai, monsieur de Rocca Serra, que nous avons beaucoup souffert à ce sujet. C'était en effet un prototype. De plus, les Finlandais n'avaient pas construit de centrale depuis vingt-sept ans. Mais si nous avons réalisé ce premier chantier en Finlande, c'est que nous avons attendu en vain une décision de la part de la France. De toute évidence, j'aurais préféré que le premier réacteur se fasse avec EDF. Fallait-il, pour autant, laisser General Electric construire la première centrale de nouvelle génération en Europe, ou abandonner le marché aux Russes ?

Une partie des retards, j'en conviens, nous est imputable, mais une autre est le fait du client. Alors que le prix de la vente était de 3 milliards d'euros, le coût final du projet s'élève à environ 5 milliards. Nous avons pris en compte la différence, et même plus, dans toutes nos provisions. Cela n'a pas été le cas du client, à qui nous demandons de partager ce coût.

Nous avons toujours agi en totale transparence. Que l'on prenne Boeing ou Airbus, les premières réalisations de grands projets technologiques sont toujours difficiles. Pour nous, la difficulté était double. À la différence de l'aviation, qui peut amortir les frais de recherche et de développement sur 100 ou 200 appareils, nous sommes obligés d'amortir la plupart de ces frais sur le premier réacteur. C'est ce qui explique une partie des provisions que nous avons prises.

Nous construisons trois autres EPR, un à Flamanville avec EDF, selon une configuration différente, et deux en Chine, qui répondent aux mêmes conditions, au même plan et au même niveau de qualité et pour lesquels nous en sommes à quarante-six mois de construction. Pour donner un ordre de grandeur – sachant également qu'OL3 en est à quatre-vingt-douze mois –, la durée moyenne de construction des derniers réacteurs EDF construits en France, les N4 de Civaux et Penly, est de cent dix-huit mois. Pour les réacteurs américains, cette durée moyenne est de cent cinq mois. Si bien que l'EPR, contrairement à tout ce que l'on a dit, apparaît comme un réacteur tout à fait constructible, et dans des délais rapides.

On nous demande souvent quelle est la part des centrales que nous savons le mieux réaliser. S'agissant d'OL3, nous sommes chargés de 75 % du sujet et Siemens des 25 % restants, à savoir la turbine. À Flamanville, nous construisons la chaudière. Dans les centrales chinoises et, prochainement, en Inde, nous sommes chargés de l'îlot nucléaire, c'est-à-dire de la partie nucléaire de l'édifice, et je crois que c'est là notre bon point fort. Les projets clé en main nous conviennent moins. Cela dit, nous l'avons fait en Finlande parce que nous n'avions pas le choix et parce que, j'y insiste, nous n'avions à l'époque aucune visibilité : en 2003, il n'existait en France aucune volonté de prendre une décision à ce sujet. Il a fallu attendre 2007 pour qu'arrive la commande de Flamanville par EDF. Or nous n'aurions jamais remporté les marchés chinois si nous n'avions pas lancé OL3. Je n'ai donc aucun regret à ce sujet même si, à titre personnel comme à titre collectif, l'épreuve a été rude.

J'en viens à la question, en effet essentielle, de la refondation du partenariat stratégique avec EDF à l'aune de l'évolution des deux entreprises et de leur développement international.

Les conclusions du Conseil de politique nucléaire, présidé par le Président de la République, sont très positives : l'EPR est confirmé comme modèle de référence, notre actionnaire principal réaffirme son soutien à la stratégie du groupe Areva et à son modèle industriel intégré, l'ATMEA est mis à l'étude.

Nous avons développé ce dernier réacteur, d'une puissance de 1 000 à 1 100 mégawatts, à partir de 2007. Étant donné qu'EDF, que nous avions contacté en premier, montrait une totale indifférence pour les réacteurs de moyenne puissance, nous avons démarré le projet avec Mitsubishi, non seulement pour faire des économies – partenariat à 50-50 –, mais aussi pour nous ouvrir des marchés en Asie. Cette collaboration est une réussite.

GDF-Suez, qui avait été dissuadée de réaliser un EPR en France, a souhaité se joindre au projet d'ATMEA. Le Conseil de politique nucléaire estime qu'EDF doit également travailler à la licence d'ATMEA. C'est une très bonne chose, je crois, que les trois entreprises françaises se penchent ensemble sur le berceau.

Le Conseil de politique nucléaire s'est aussi prononcé en faveur de l'« export à la carte », en fonction de la demande des clients. Nous avons en effet besoin de flexibilité pour répondre aux demandes très différentes de clients très différents.

En outre, quand EDF est demandée comme chef de file, il est évident qu'elle doit être chef de file.

Enfin, un comité stratégique offrira une instance de concertation utile aux acteurs du secteur.

Toutes ces orientations nous conviennent. Que le chef soit toujours le client me paraît la meilleure solution quand on a quelque chose à vendre !

Par ailleurs, nous avons beaucoup travaillé sur différents sujets. S'agissant du retour sur la base installée, nous sommes prêts.

Pour ce qui est du partenariat avec la Chine, qui suppose un accord entre pays, M. Bernard Bigot est mandaté pour élaborer un partenariat global. Pour notre part, nous avons déjà passé deux partenariats stratégiques avec CNNC et CGNPC et nous sommes prêts à prendre toute notre part dans ce projet de long terme. Il est désormais clair que les réacteurs de moyenne puissance destinés au marché chinois seront de génération 3. Dans l'idéal, nous pensons à l'ATMEA, mais il faut prendre en compte les souhaits des Chinois.

Sur tous ces sujets, l'État est tout à fait dans son rôle de stratège.

Alors que l'EPR et l'ATMEA sont des réacteurs « post-Fukushima » parfaits, nous travaillons en R&D sur de petits réacteurs de 100 mégawatts qui ne seraient plus construits sur site mais, comme dans l'aéronautique, en usine, avant d'être transportés sur site. Bien que plus coûteuses, ces constructions modulaires correspondent à un marché. Tout le monde n'a pas besoin d'une puissance de 1 000 ou 1 500 mégawatts. En outre, dans certains endroits, ces réacteurs serviraient de puissance d'appoint.

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