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Intervention de Paul Acker

Réunion du 24 mai 2011 à 16h00
Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Paul Acker :

Le matériau béton a enregistré une véritable révolution ces deux dernières décennies, les sauts technologiques ayant porté à la fois sur les propriétés mécaniques – celles qui interviennent dans la résistance au séisme, au feu, aux chocs – et sur les propriétés physiques, essentiellement la durabilité. Dans ce contexte, Lafarge est le leader mondial des matériaux de construction : elle est numéro 1 du ciment et des granulats et numéro 3 du béton et du plâtre. Peut-être convient-il d'ailleurs de rappeler que le ciment n'est pas un matériau, mais une poudre avec laquelle on fabrique du béton, celui-ci étant composé d'eau, de sable, de cailloux et de ciment, ce dernier réagissant chimiquement avec l'eau pour former une sorte de colle. Aujourd'hui, les bétons sont beaucoup plus high tech, avec parfois douze voire dix-huit constituants. Lafarge est également un centre de R&D car le Groupe fonde sa stratégie sur l'innovation. C'est là un outil unique au monde dans le domaine des matériaux de construction puisque c'est le seul qui réunisse toutes les disciplines de la science des matériaux. Notre présence, enfin, est répartie sur tous les continents, particulièrement en Inde, mais aussi en Chine où se situe la première business unit du Groupe.

Le béton représente aujourd'hui 30 milliards de tonnes par an. Non seulement c'est de très loin le matériau le plus utilisé sur la planète – après l'eau, bien sûr –, mais il est en pleine croissance et l'on peut tabler, avec l'accroissement de la population, sur une augmentation d'encore 50 % dans les deux décennies qui viennent. Aucun autre matériau n'est capable de fournir à la construction ne serait-ce que 0,5 milliard de tonne : il n'existe donc pas de matériau alternatif pour répondre aux besoins de la population mondiale en logements décents. Il ne pose en outre aucun problème de disponibilité : pour faire du ciment, il suffit d'avoir du calcaire et de l'argile, deux matières premières que l'on trouve partout en quantité quasiment illimitée, de même que le sable, les cailloux et l'eau, à la différence de tous les autres matériaux – bois, acier, etc. Il présente également un excellent bilan environnemental en termes de mètre carré de plancher, par exemple – il est même très souvent le meilleur sur le plan de l'unité fonctionnelle.

Après une évolution très lente au cours du XXe siècle de la performance mécanique jusque dans les années 1980, liée notamment au simple déploiement des bonnes pratiques et à la normalisation, l'approche scientifique de la formulation des bétons s'est ensuite accélérée. C'est ainsi que, depuis la construction du pont de l'île de Ré par Bouygues en 1987-1988 – premier ouvrage au monde utilisant des bétons de haute performance, en l'occurrence 80 mégapascals, soit une résistance deux à trois supérieure à celle d'un béton ordinaire –, toutes les grandes entreprises ont suivi. C'est ainsi qu'aujourd'hui, avec une résistance de 200 mégapascals accessible industriellement, ce matériau a été utilisé pour les structures internes des aéroréfrigérants de la centrale nucléaire de Cattenom : alors qu'il y connaît les pires conditions que l'on puisse imaginer en termes de fluctuation de température et d'humidité, il ne montre absolument aucun vieillissement visible.

En même temps que l'on construisait le pont de l'île de Ré, ce matériau était, pour la première fois concernant un grand ouvrage de génie civil, dimensionné en termes de durée de vie. Je veux parler du tunnel sous la Manche qui, commandité par un groupement de banques sur la base d'un montage financier de 120 ans, nécessitait d'ajouter au cahier des charges du matériau une durée de vie équivalente. Pour autant, bien que les normes en la matière soient aujourd'hui bien établies, ce matériau ne concerne que les grands ouvrages et non le simple bâtiment alors que sa prise en compte entraînerait une amélioration significative, rapide, efficace et non coûteuse de l'ensemble du patrimoine bâti.

Le béton Ductal est le résultat d'une combinaison de performances physiques et mécaniques. Sa résistance en compression est 8 à 10 fois supérieure à celle d'un béton ordinaire, grâce simplement à l'utilisation de concepts scientifiques, la science ayant permis de multiplier par 5 ou même par 10 certaines propriétés physiques avec les mêmes constituants. Si, dans les années cinquante, les 200 mégapascals avaient pu être obtenus en laboratoire mais pas à l'échelle industrielle, cela tenait à ce que l'on appelle la robustesse en milieu industriel : c'est parce que vous disposez des lois scientifiques que vous pouvez régler la fluctuation des matières premières et donc la régularité des propriétés de votre produit à l'échelle industrielle.

Aujourd'hui, le matériau béton est celui qui est le plus utilisé. Tous les mécanismes de dégradation – 17 – sont répertoriés. Ils sont traités par des normes qui font l'objet de travaux avec des scientifiques et sont discutés chaque année lors de congrès scientifiques. Les trois derniers grands séismes au Japon ont montré l'efficacité d'un tel système de normes : tout ce qui a été construit après 1987, année de mise en application de leurs normes parasismiques, est debout à pratiquement 99 %, alors que tout ce qui a été construit avant est détruit. En outre, le béton présente l'énorme avantage d'avoir une très grande universalité, ce qui permet de constituer un référentiel technique et d'élargir la puissance d'analyse en croisant les référentiels entre les différents pays. Bien sûr, le contrat intègre les valeurs clés des calculs – sans oublier l'importance du contrôle.

Lorsque l'on fait l'analyse des grands accidents, la faute ne peut jamais être attribuée à la partie technique. Pour que le système fonctionne, il faut d'abord une gouvernance, notamment une indépendance entre maîtrise d'oeuvre et maîtrise d'ouvrage, ainsi que nous l'ont fait remarquer des collègues anglo-saxons à la suite de l'effondrement du terminal 2E à Roissy.

Il faut ensuite une analyse des risques. Dans l'incendie du TransManche, l'erreur a été de ne pas voir que deux risques pouvaient être couplés : à un incendie de wagon, situation dans laquelle la consigne est de sortir du tunnel, s'est ajouté un problème de vérin où il est alors conseillé de s'arrêter pour détacher ce dernier.

Il faut par ailleurs une définition du cahier des charges : si les Twin Towers avaient été dimensionnées pour une résistance au feu d'une heure – l'une s'est d'ailleurs effondrée après 58 minutes, l'autre après 1 heure 10 –, on sait aujourd'hui qu'une heure est un délai beaucoup trop court pour évacuer de tels bâtiments.

Il faut aussi un contrôle rigoureux. Pour prendre l'exemple de la Turquie, ce pays pourtant évolué avec des universitaires et des ingénieurs de très haut niveau n'arrive pas à résoudre ses problèmes de séisme faute de parvenir à créer un corps de contrôleurs de chantier, maillon pourtant essentiel dans le dispositif, à côté des normes, des mesures, des calculs, de l'ingénierie et du cahier des charges.

Enfin, il faut la transparence et la traçabilité de l'ensemble. Le génie civil est un domaine dans lequel on travaille au minimum à 6 ou 8 partenaires, chacun apportant sa compétence, ce qui pose pour les très grands ouvrages un problème de travail en équipe.

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