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Intervention de Pierre Ferdinand

Réunion du 24 mai 2011 à 16h00
Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Pierre Ferdinand, directeur de recherche au CEA, Laboratoire d'intégration des systèmes et des technologies :

Mon exposé portera sur l'apport des capteurs à fibre optique dans l'amélioration de la sûreté des installations nucléaires.

Le point commun entre l'éruption du Vésuve en 79 après Jésus-Christ et la catastrophe de Fukushima est le manque d'informations : les habitants de Pompéi ne savaient que faire et, dix-huit jours après le tsunami, l'opérateur Tepco ignorait toujours ce qui se passait dans ses réacteurs. – ce qui avait conduit l'Autorité de sûreté nucléaire française (ASN), à déclarer que ses informations étaient « partielles et incomplètes ». Sans préjuger l'avenir, il est probable que l'ASN accroîtra ses exigences en matière de sûreté, au moins pour les réacteurs du futur, qu'il s'agisse de la fiabilité et de la redondance des moyens de mesure ou des instrumentations.

Les apports des mesures par fibre optique pour la sûreté nucléaire sont divers : en situation normale, ces capteurs assurent la surveillance thermomécanique de l'enceinte de confinement, la surveillance thermique des piscines ou des conduites de vapeur ; en situation accidentelle ou post-accidentelle, ils permettent la détection du percement de la cuve du réacteur, le suivi de l'avancée du corium, la surveillance thermomécanique de l'enceinte de confinement, la surveillance thermique des piscines, des conduites de vapeur et autres circuits primaires, la détection d'incendie dans le bâtiment ou la surveillance radiologique de l'enceinte par dosimétrie.

La fibre optique présente, pour les capteurs, de multiples avantages : de petit diamètre, son intrusivité est faible ; elle est également dotée d'une immunité électromagnétique ; elle autorise un déport de plusieurs kilomètres du système de mesure ; elle offre une bonne tenue en milieu hostile ; enfin, compte tenu du volume de production pour le marché des télécommunications, son coût est faible.

Par ailleurs, elle améliore les performances de l'instrument de mesure, lui permet d'adresser plusieurs paramètres de mesure simultanément et autorise le multiplexage d'un grand nombre de capteurs. Elle intéresse donc tout particulièrement la surveillance, la sécurité et la sûreté des matériaux et des structures.

La méthode classique de mesure distribuée consiste à relier de multiples capteurs par des fils dont le déploiement rend plus complexe la gestion des données. Or, une seule fibre optique permet de remplacer un très grand nombre de capteurs : on peut donc relier quelques fibres à un instrument de mesure lui-même contrôlé à distance et situé hors de toute zone de danger.

Un réseau de capteurs à fibre optique utilise la technique de la « réflectométrie », équivalent du radar optique inventé par les Anglais au cours de la Seconde Guerre mondiale : le temps mis par un signal pour effectuer l'aller-retour vers une cible permet de calculer la distance entre celle-ci et le radar. Dans le cas présent, l'impulsion se propage dans la fibre optique et, en rencontrant des molécules de silice, génère une réflexion. On analyse alors les échos. On pourrait ainsi, par exemple, mesurer la température, mètre par mètre, d'une fibre déployée sur un circuit de trente kilomètres.

Les performances métrologiques sont élevées – 1°C ; 1 mètre en localisation – ; de surcroît, les fibres optiques peuvent endurer des doses de rayonnement importantes, et permettent d'assurer les mesures même en cas de panne d'électricité, puisque le système de mesure est déporté.

S'agissant du percement de la cuve et du suivi du corium, la problématique post-accidentelle est la surveillance à distance du radier, afin de déterminer une stratégie visant à assurer un fonctionnement même dégradé en cas de perte d'énergie électrique. Les nécessités sont donc de déporter l'instrument de mesure, et d'assurer un fonctionnement sans alimentation ainsi que la redondance, aussi bien des points de mesure que des câbles, en prévision d'une éventuelle destruction de l'installation.

Nous proposons, pour ce faire, une interrogation déportée par réflectométrie, ainsi qu'un maillage sous le réacteur, au niveau du radier, de câbles optiques sensibles à la température ou aux déformations. La redondance, quant à elle, est assurée par plusieurs fibres, et éventuellement par plusieurs sorties hors du bâtiment réacteur afin d'interroger les fibres par un chemin ou un autre en cas de destruction partielle. Ce dispositif permettrait une information en temps réel sur l'avancée du corium, l'état du radier et sa température, soit l'intégrité de la sous-couche réfractaire de zircone et la cinétique de refroidissement du corium. Il peut être installé, bien entendu, dans les bâtiments actuels aussi bien que dans l'EPR.

Ces technologies peuvent avoir d'autres applications, telles que la surveillance des conduites de vapeur, de la piscine du combustible usagé ou la détection d'incendie dans le bâtiment réacteur.

J'en viens à la surveillance de l'étanchéité de l'enceinte de confinement. Le Groupe permanent chargé des réacteurs nucléaires (GPR) avait proposé, il y a une dizaine d'années, que la paroi interne du bâtiment réacteur soit équipée d'une instrumentation adéquate afin de suivre avec précision la perte de précontrainte au cours du temps. En 2007, EDF avait rédigé un cahier des charges pour équiper Flamanville en ce sens, mais j'ignore où en est le projet : de fait, à l'époque, les câbles optiques sensibles nécessaires à sa réalisation n'étaient pas disponibles. En tout état de cause, nous proposons un câble utilisant trois fibres optiques, qui permettrait une mesure simultanée des tractions, des compressions, des températures, des courbures et des plans de courbure ; une fois relié à un bâtiment, il permet de mesurer son comportement à une grande distance. Le système d'interrogation s'appelle le réflectomètre Brillouin.

La dosimétrie à fibres optiques par technique dite OSL – Optically stimulated luminescence – consiste à placer un cristal en bout de fibre, lequel a la propriété, lorsqu'il est traversé par un rayonnement gamma, de piéger des électrons de manière définitive. Lorsque l'on éclaire le cristal avec la fibre optique, on « dépiège » l'électron, ce qui crée une luminescence que l'on peut alors capturer. L'intensité de la luminescence est proportionnelle au nombre d'électrons créés, ce nombre étant lui-même proportionnel aux photons gammas, de sorte que la mesure de la luminescence donne la mesure de la dose. On remet le niveau à zéro en vidant les pièges.

Cette technique permet donc de réaliser des mesures déportées de doses ou de débit de doses, avec une interrogation séquentielle, et ce sans alimentation. Elle présente également une bonne tenue aux radiations, sa cadence de mesure est ajustable, et les gammes de doses sont comprises entre 1 milligray et 10 grays. La remise à zéro séquentielle permet de mesurer des doses cumulées très importantes. Nous avons développé deux générations d'appareils : des systèmes à courte et à longue portée.

Les applications peuvent être le suivi multipoint dans le bâtiment réacteur et la surveillance des filtres de relâchement.

L'expertise du CEA en ce domaine concerne les transferts au profit du CEA-DEN et d'Areva NC – Nuclear cycle – à Marcoule, les applications diverses dans le démantèlement et la radioprotection, en particulier pour la surveillance de patients atteints du cancer.

En vingt-cinq ans, une sélection darwinienne s'est opérée dans le domaine de la fibre optique : les techniques les plus efficaces perdurent – réflectométrie, DTS Raman, système Brillouin ou techniques OSL – et sont déjà utilisées par l'industrie du pétrole et du gaz, pour la surveillance des tunnels ou encore par le génie civil.

Du point de vue de la demande, nous pensons que les applications pour la sûreté du nucléaire civil sont réelles. Installer ces technologies dans les bâtiments réacteurs nous semble donc souhaitable, d'autant que le surcoût est négligeable en comparaison du coût d'un accident majeur.

Grâce à ses spécificités, la métrologie peut améliorer la sûreté des tranches nucléaires : en fonctionnement opérationnel normal, la résilience des fibres peut être mise à profit ; en conditions post-accidentelles, le déport permet une transmission à distance, alors qu'aucune instrumentation traditionnelle ne peut fonctionner sans alimentation électrique.

LMP Ingénierie, qui est le chef de file de notre partenariat, assure le déploiement industriel ; ACOME fabrique et fournit les câbles sensibles ; quant au CEA LIST – Laboratoire d'intégration des systèmes et des technologies –, il est chargé de la recherche et développement.

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