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Intervention de Audronius Ažubalis

Réunion du 31 mai 2011 à 17h30
Commission des affaires étrangères

Audronius Ažubalis, ministre des affaires étrangères de Lituanie :

C'est pour moi un grand plaisir de m'adresser à votre Commission. Pendant mes quatre mandats parlementaires, j'ai toujours siégé à la commission des affaires étrangères et, comme vous pouvez le constater, mon intérêt pour ces questions ne s'est jamais démenti.

C'est ma première visite en France en ma qualité de ministre des affaires étrangères de Lituanie, mais j'ai le vif souvenir d'une précédente visite dans votre pays. Nous étions alors en 1998, et je venais évoquer avec M. Jack Lang, président de la commission des affaires étrangères, la difficile question de l'ambassade de Lituanie en France. Le bâtiment était alors occupé par les diplomates russes, et je demandais que nous puissions récupérer nos locaux ; une solution a finalement été trouvée, et notre ambassade à Paris est à présent sise en un autre lieu.

Vingt ans, c'est une période très courte pour construire un pays, mais nous y sommes parvenus. Nous sommes maintenant membres de l'ONU et de l'OTAN, et notre exemple pourrait inspirer d'autres pays qui voudraient devenir membres de l'Union européenne. Nous participons à plusieurs missions sécuritaires décidées par la communauté internationale, notamment en Afghanistan, où nos soldats combattent au Sud ; à l'Ouest, nous appuyons les autorités afghanes dans la province de Ghor, l'une des plus pauvres du pays. Par ailleurs, nous apportons une aide humanitaire aux pays d'Afrique du Nord ainsi qu'au Japon. Nous sommes donc passés en deux décennies du stade de pays receveur à celui de pays contributeur ; nous en sommes très fiers.

Cela étant, nous avons subi de plein fouet la crise économique de 2008, qui a fait chuter notre PIB de 15 %, le taux de chômage atteignant 19 %. Nous avons alors adopté de strictes mesures d'austérité qui nous ont conduits à réduire toutes les dépenses possibles, y compris le montant des pensions de retraite. Ces mesures nous ont permis de rebondir sans que nous ayons dû demander l'aide du FMI ou de l'Union européenne. Notre économie est actuellement très dynamique : la Banque mondiale prévoit pour la Lituanie une croissance de 4,3 % en 2011; au premier trimestre, elle a été de 6,7 %, et nous sommes revenus à une situation proche de ce qu'elle était en 2008, avant le déclenchement de la crise. Notre économie est principalement fondée sur les exportations ; nos marchés principaux étant la Russie, l'Allemagne et, dans une moindre mesure, les pays scandinaves, tous pays dont les économies sont restées assez solides, nos exportations ont pu reprendre.

L'autre défi qui se présente à nous actuellement est celui des évolutions en cours en Afrique du Nord et des migrations qui pourraient en résulter. Je me suis entretenu aujourd'hui avec M. Alain Juppé, et nous nous sommes trouvés d'accord sur la politique migratoire. Il n'y a pas de stress test dans la zone Schengen. Une fois qu'un pays est membre de l'espace Schengen, il n'y a plus rien à faire. Cela signifie, pour le ministre français des affaires étrangères comme pour moi, que l'Union européenne doit renforcer sa politique d'immigration. Nous nous félicitons que les frontières entre la Lituanie et la Biélorussie d'une part, la Russie d'autre part, soient très sûres. Nous soutenons la position française en matière d'immigration, comme devraient le faire tous les membres de l'espace Schengen ; les traités sont toujours perfectibles, la Convention de Schengen comme les autres.

J'exerce depuis cinq mois la présidence de l'OSCE. Au cours de cette période, je me suis rendu là où la situation est compliquée- la Tunisie, la Moldavie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, la Tchétchénie, la Russie, l'Ukraine, l'Afghanistan… J'y ai rencontré les chefs d'État et de gouvernement mais aussi des représentants des organisations non gouvernementales, des medias et de la société civile. De ces rencontres multiples j'ai retenu que sans un effort collectif nous ne parviendrons pas à gérer convenablement la question des frontières entre les pays d'Asie centrale et l'Afghanistan, frontières dont la porosité permet trafics d'êtres humains et d'armes.

L'Académie nationale afghane des services douaniers, dont les étudiants sont formés par des membres de l'Alliance, a été récemment inaugurée à Kaboul. Nous attendons beaucoup de cette formation. Vingt pour cent de l'héroïne entrant en Europe arrivent de cette région ; de toute évidence, des garde-frontières efficaces sont indispensables.

Au Kirghizistan, l'OSCE est intervenue avec l'ONU et l'Union européenne pour promouvoir l'initiative de sécurité communautaire destinée à rétablir le calme après que cent Ouzbeks ont été tués en 2010 au cours de conflits interethniques. L'OSCE s'attache à rétablir la confiance entre les communautés et elle obtient quelques résultats, puisque la triste commémoration des événements intervenus l'an dernier n'a donné lieu à aucune manifestation, contrairement à ce que l'on pouvait attendre.

Au Nagorno Karabakh, un enfant a été tué en mars dans un village proche de la ligne de contact, où sévissent de nombreux tireurs embusqués. J'ai malheureusement le sentiment qu'une génération entière de jeunes Arméniens et de jeunes Azéris a grandi dans cette région sans rien connaître qu'un conflit incessant : les gens s'entretuent, et l'on s'en tient là. Il se trouve aussi que les deux parties sont fournies en armes – en grande quantité – par la Russie. On observe que ces armes transitent par la Géorgie, en dépit du conflit qui oppose les deux pays. Autant dire que plusieurs pays et plusieurs entreprises profitent de la persistance des troubles. Même si le Groupe de Minsk de l'OSCE, où siège un représentant de la France, fait un excellent travail, de puissants intérêts sont en jeu qui rendent les décisions difficiles. On notera toutefois que le Président Medvedev s'est engagé personnellement en faveur du règlement de ce conflit, en tentant une médiation. Sa tâche ne sera pas facile.

Le gouvernement lituanien est reconnaissant à la France d'avoir pris une initiative visant à la sortie de crise en Géorgie. Malheureusement, le plan en six points de règlement du conflit russo-géorgien sur lequel les présidents Sarkozy et Medvedev s'étaient accordés n'est pas appliqué. Je me suis rendu il y a quelques mois en Géorgie, à la frontière administrative avec l'Ossétie du Sud, une région dans laquelle j'étais allé l'année précédente, et j'ai eu la grande déception de constater que des bunkers avaient été construits et des tranchées creusées, comme si le conflit devait s'éterniser.

En Asie centrale, j'ai constaté que tous les dirigeants sont très préoccupés par les retombées du « printemps arabe » ; tous ont peur de la démocratisation, y compris un pays qui se veut une démocratie parlementaire comme le Kirghizstan.

La Lituanie s'efforce de maintenir de bonnes relations de voisinage avec la Biélorussie. Nous nous sommes efforcés de maintenir la présence de l'OSCE à Minsk. Cependant, le Président Loukachenko est ce qu'il est, et l'on a l'impression que la Biélorussie s'enfonce dans l'isolement et se rapproche petit à petit de la Russie. Pour l'instant, Loukachenko est dans l'impasse. L'objectif principal de l'OSCE en Biélorussie est d'atteindre la société civile. La communauté internationale a beaucoup investi à cette fin, mais les investissements ont été faits isolément, sans concertation entre les pays, ce qui nuit aux résultats. Il faudrait parvenir à diffuser des chaînes de télévision et de radio puissantes. Or, actuellement, en Biélorussie, on ne peut entendre que Radio Liberty, quelques heures par jour seulement, et avec un signal faible. Dans ces conditions, comment atteindre la population ? Ces résultats décevants sont sans commune mesure avec les fonds investis. Notre seul motif de satisfaction est d'avoir réussi à convaincre Minsk de laisser des observateurs de l'OSCE assister aux procès en cours ; ainsi des témoins pourront-ils dire la manière dont le Président Loukachenko traite les prisonniers politiques. Au-delà, personne ne sait comment faire pour que la situation s'améliore en Biélorussie.

Les relations entre la Lituanie et la Russie sont équilibrées, et trente pour cent des échanges commerciaux de la Lituanie se font avec la Russie. Cependant, la Russie essaie de maintenir la Lituanie dans sa zone d'influence, notamment pour ce qui concerne l'énergie. À ce jour, notre seul fournisseur de gaz est Gazprom, mais nous projetons la construction d'un terminal d'importation de gaz naturel liquéfié qui devrait être achevé en 2014, et nous travaillons à la mise en place d'un marché de l'électricité des pays baltes et d'un réseau avec la Suède. D'autre part, un projet de construction d'une centrale nucléaire qui concernera, outre notre pays, la Lettonie, l'Estonie et la Pologne, est déjà très avancé. Nous sommes en négociation avec des investisseurs, mais la Russie fait tout ce qu'elle peut pour nous empêcher de mettre au point un tour de table. Les Russes ont en effet commencé de développer un projet de centrale nucléaire dans la région de Kaliningrad, mais aussi un projet intergouvernemental de coopération avec la Biélorussie pour y construire également une centrale nucléaire. Cela sème le doute dans l'esprit des investisseurs potentiels en Lituanie qui, de ce fait, se tiennent à l'écart. Malgré tout, notre projet, soutenu par l'AIEA et par les États-Unis, progresse. J'ai par ailleurs signé aujourd'hui avec mon homologue français le plan d'action conclu dans le cadre du partenariat stratégique entre la Lituanie et la France, et je me félicite que la France soutienne les projets d'énergie nucléaire de la Lituanie.

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