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Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 25 septembre 2007 à 15h00
Contrôleur général des lieux de privation de liberté — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, le projet de loi instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté nous paraît receler plusieurs vices de conformation nécessitant son renvoi en commission. En l'occurrence, nos critiques portent à la fois sur la forme et sur le fond.

Sur la forme, le Gouvernement propose la création d'une énième autorité administrative indépendante, cet « objet juridique non identifié », pour rependre le titre du rapport établit en 2006 par l'Office parlementaire d'évaluation de la législation. Une nouvelle autorité alors que les juristes n'arrivent déjà pas à se mettre d'accord pour établir une liste précise de celles qui existent déjà…

En sus, à nos yeux, ces autorités administratives posent un épineux problème, qui s'apparente même à une contradiction majeure : comment une autorité administrative pourrait-elle être réellement indépendante alors que la Constitution place l'administration sous le contrôle hiérarchique du Gouvernement ?

Pourtant, il s'en crée environ une par an, sous diverses appellations, ce qui vient encore compliquer les choses : autorité indépendante, autorité administrative indépendante, autorité publique indépendante... Reste qu'elles ont ceci de commun que le Parlement les dote de pouvoirs parfois importants sans avoir pour autant les moyens d'exercer sur elles un contrôle efficace.

Nous pourrions, en outre, nous demander si la multiplication inconsidérée de tels « démembrements de l'État » ne risque pas, à terme, de discréditer ce dernier. La question se pose alors, inévitablement, de savoir s'il est bien raisonnable de proposer d'en créer une nouvelle.

En l'espèce, notre collègue Christophe Caresche a souligné à juste titre que le Médiateur de la République pourrait parfaitement se voir confier les missions que le projet propose d'attribuer au Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Nous aurions ainsi témoigné de notre volonté de ne pas contribuer inutilement à l'empilement des structures administratives, et autorisé une économie de moyens non négligeable, compte tenu des dépenses que ne manquera pas d'occasionner la mise à disposition de locaux à la nouvelle instance.

On nous rétorquera qu'il convient de distinguer les fonctions de contrôle et celles de médiation. Paru en 2000, le rapport – très cité – de Guy Canivet, alors Premier président de la Cour de cassation, préconisait pourtant leur cohabitation au sein d'un même organisme, qui aurait compris tout à la fois un « contrôle général des prisons » indépendant et un corps de « médiateurs des prisons » organisé à l'échelle des régions pénitentiaires. C'est d'ailleurs bien dans cette perspective qu'en octobre 2006 votre prédécesseur, madame la ministre, avait annoncé la décision de confier le contrôle extérieur et indépendant des prisons au Médiateur de la République.

Il était prévu que cette mission serait totalement distincte de l'activité de médiation confiée aux délégués du Médiateur dans les prisons et qu'elle nécessiterait la mise en place d'un corps spécifique de collaborateurs. M. Delevoye a d'ailleurs réalisé un travail considérable sur la question des lieux privatifs de liberté, rencontrant nombre de personnalités, étudiant à la loupe les dispositifs mis en oeuvre à l'étranger. Or, de son importante étude publiée cette année, il ressort notamment que, dans nombre de pays, la fonction de contrôle relève bien du champ de compétences du Médiateur.

Peut-être d'ailleurs eût-il été possible de procéder de manière encore plus simple. Comme on l'a longuement répété, les prisons – pour se limiter à elles – font d'ores et déjà l'objet de multiples contrôles de la part des magistrats, de la commission de surveillance, de l'inspection des services pénitentiaires, des députés et des sénateurs, auxquels on peut ajouter le Médiateur de la République, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité ou encore le Défenseur des enfants.

Chacun s'accorde à reconnaître que l'action de ces diverses structures reste trop souvent ponctuelle et leur impact réel limité. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement, plutôt que de proposer la création d'une nouvelle structure, aurait pu s'appliquer à renforcer la coordination de ces différents instruments de contrôle, en quête d'une efficacité accrue. Elles ne manquent en effet ni de compétence, ni d'expérience, ni de bonne volonté – seulement d'un cadre cohérent et rationalisé leur permettant de susciter des synergies prometteuses.

Autre critique de forme sur votre projet, madame la ministre : nous regrettons que vous n'ayez pas cru devoir saisir, pour avis, la Commission nationale consultative des droits de l'homme, en dépit du courrier qu'elle vous avait adressé le 16 avril dernier. Sans réponse de votre part, elle a donc été contrainte de publier un avis seulement le 14 juin, après avoir pris connaissance des premiers éléments rendus publics sur le projet après son passage devant le conseil des ministres. Le 19 juillet dernier, le Gouvernement n'ayant toujours pas répondu à sa demande de rencontre, elle a réitéré ses voeux avant d'être entendue par les commissions des deux Assemblées.

J'en viens aux critiques sur le fond, qui mériteraient donc que nous puissions en débattre à nouveau en commission.

Certes, tous reconnaissent, ce qui est une satisfaction, la nécessité d'un contrôle extérieur des lieux de privation de liberté. Le temps n'est plus où l'un de vos prédécesseurs – qui d'ailleurs siège maintenant sur ces bancs – se disait « réservé » sur cette question, tant « la définition » de la fonction de Contrôleur général lui « semblait floue ». Malheureusement, le Gouvernement estime visiblement avoir fait l'essentiel en proposant de créer la structure. Il ne s'agit pourtant là que d'un projet minimaliste qui pourrait utilement être enrichi, à condition, madame la ministre, que vous acceptiez d'intégrer les amendements de bon sens que propose l'opposition. Nous avons, en effet, la curieuse impression que ce Contrôleur général est imposé de l'extérieur, sous la pression internationale, et que, faute de pouvoir s'opposer à son émergence, on est bien décidé à lui rogner les griffes autant que faire se peut.

Nous avons noté avec intérêt les propos de M. le rapporteur, qui nous a affirmé que la loi devrait respecter au mieux les stipulations du Protocole facultatif de l'ONU. Cette louable et positive intention n'est, pour le moment, pas totalement suivie d'effet. J'énumérerai à cet égard l'imposante liste des mesures qui, inscrites dans le projet de loi, entrent en contradiction avec le Protocole facultatif.

Premier élément, le champ d'investigation du futur Contrôleur général est réduit au seul territoire de la République, ce qui exclut les lieux de privation de liberté placés sous la responsabilité d'une autorité civile ou militaire française à l'étranger. Or, à l'inverse, le Protocole facultatif, en son article 4, enjoint les États parties à autoriser les visites « dans tout lieu placé sous sa juridiction ou sous son contrôle ». Si la restriction géographique induite dans le texte français tient à des raisons de sécurité – c'est ce que l'on nous a indiqué –, comment expliquer, par exemple, qu'il entre dans les prérogatives de l'ombudsman finlandais de superviser les différentes unités des forces de maintien de la paix à l'étranger ? Qu'on nous dise pour quelle impérieuse raison, dans un tel cas de figure, notre pays ne serait pas, lui, en mesure de garantir l'intégrité physique de ses ressortissants !

De nombreuses associations de défense des droits de l'homme, à l'instar d'Amnesty International, ont déploré la frilosité presque suspecte du projet de loi sur ce point. Ne nous y trompons pas, elle conduira à laisser penser, comme l'a d'ailleurs déclaré Robert Badinter au Sénat, qu'il existerait, en Côte d'Ivoire ou en Afghanistan, par exemple, « des espaces réservés où le contrôle ne pourrait pas s'exercer, comme si l'on avait des doutes sur les actes qui pourraient s'y commettre ». Nous ne pouvons nous permettre une telle maladresse, qui ternirait notre image auprès de la communauté internationale.

Deuxième élément qui diffère du Protocole facultatif : le projet de loi multiplie inconsidérément les motifs permettant à une autorité de s'opposer à la transmission de pièces ou d'informations dont le Contrôleur général demanderait communication. Pourtant, l'article 14 b du Protocole facultatif ne prévoit aucune restriction aux « renseignements relatifs au traitement de ces personnes [privées de liberté] et à leurs conditions de détention ». De même, l'article 8-2 de la Convention européenne pour la prévention de la torture fait obligation à l'État concerné de « fournir toute autre information [...] qui est nécessaire au comité pour l'accomplissement de sa tâche ».

Par ailleurs, le droit d'obtenir des informations est essentiel à l'efficacité du pouvoir d'alerte et d'influence des autorités administratives indépendantes. Mme Marie-Anne Frison-Roche, dans son rapport à l'Office parlementaire d'évaluation de la législation, a souligné à cet égard que les secrets professionnels devaient être écartés pour que les autorités disposent des informations requises. Elle a estimé, plus globalement, que le maniement de l'information devait être présenté « davantage comme un pouvoir que comme une obligation ». L'Office parlementaire d'évaluation de la législation a, quant à lui, considéré que la capacité des autorités administratives indépendantes à obtenir de la part des administrations ainsi que des personnes physiques ou morales des informations pertinentes conditionnait l'exercice de leur mission et, par conséquent, leur utilité.

On pourrait évidemment – nous aurons l'occasion d'y revenir lors de l'examen des amendements – s'interroger sur l'éventuel maintien des exceptions liées au secret médical. Cependant, même sur ce point, l'expérience démontre que la levée d'une telle restriction se révèle hautement souhaitable. D'ailleurs, lors des auditions auxquelles a procédé la commission, le comité européen de prévention de la torture a reconnu avoir toujours considéré dans ses différents rapports d'inspection que le secret médical ne lui était pas opposable, au motif que l'accès au dossier médical et aux données à caractère médical lui était nécessaire pour prévenir tout mauvais traitement.

Troisième élément de différence, le projet de loi n'évoque nullement la question des moyens – qui, en revanche, a été plusieurs fois abordée cet après-midi – alors que ce sujet est central. Vous en êtes d'ailleurs si consciente, madame la ministre, que, lors du débat au Sénat, vous avez indiqué, comme à l'instant, que le futur Contrôleur devrait disposer, au départ, d'un budget de 2,5 millions d'euros et d'un effectif de dix-huit personnes – même si vous venez de reconnaître que tout cela pourrait évoluer.

Vous nous pardonnerez notre scepticisme, mais nous n'arrivons pas à comprendre comment dix-huit personnes pourraient exercer un contrôle efficace sur les 5 880 sites que vous avez cités. Dans une telle configuration, chaque Contrôleur aurait la charge de 321 locaux. Et un esprit cartésien pourrait même calculer que, pour préparer sa visite, pour se rendre sur place, pour effectuer l'inspection, pour revenir à sa résidence administrative, pour rédiger son rapport puis pour le soumettre à sa hiérarchie avant d'en assurer le suivi, chaque Contrôleur disposerait de cinq heures.

La tâche s'avère bien évidemment insurmontable, ce qui est là aussi en complète contradiction avec le Protocole facultatif, qui, dans son article 18, alinéa 2, stipule que « les États parties s'engagent à dégager les ressources nécessaires au fonctionnement des mécanismes nationaux de prévention ».

Le quatrième élément a trait au mode de nomination du Contrôleur général, qui, à tout le moins, nous paraît aisément perfectible.

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