Ils lui ont donné une notoriété et une efficacité que l'on n'imaginait sans doute pas au départ. M. Jean-Paul Delevoye m'a confié qu'il apportera toute son aide au futur Contrôleur général. Le projet de loi, amendé par le Sénat, prévoit d'ailleurs qu'il pourra le saisir.
Le second point sur lequel je souhaite insister concerne l'étendue et les modalités du contrôle : les missions du contrôleur général s'exerceront à l'égard de tous les lieux de privation de liberté.
C'est, me semble-t-il, la force du projet présenté par le Gouvernement. Mais c'est aussi son originalité.
La mission du Contrôleur général porte bien au-delà des frontières du monde carcéral.
La sanction pénale n'est pas la seule cause de privation de liberté. On peut aussi retenir quelqu'un contre sa volonté, pour le protéger de lui-même et d'une fragilité qui le met en danger à l'extérieur.
C'est pourquoi le projet de loi concerne tous les lieux de privation de liberté sur le territoire de la République, depuis les zones d'attente des aéroports jusqu'aux secteurs psychiatriques des établissements hospitaliers. On a recensé 5 788 lieux. Le projet de loi évite leur énumération. Il en donne une définition suffisamment large pour s'adapter à toute évolution.
Ces lieux dépendent de différents ministères : 219 relèvent du ministre de la justice. Les autres relèvent des ministres de l'intérieur, de l'immigration et de l'intégration, de la défense, de la santé et du budget.
Ces lieux n'ont pas les mêmes raisons d'être. Leurs populations n'ont parfois rien en commun, sinon un trait essentiel : la dignité humaine que chacun conserve, malgré sa situation, malgré la sanction pénale, malgré la maladie mentale.
« Une société se juge à l'état de ses prisons », disait Albert Camus. En ce début de XXIe siècle, nous devons étendre ce constat à l'ensemble des lieux d'enfermement. Il sera à l'honneur de la France de faire respecter les droits fondamentaux partout où se trouvent des personnes privées de liberté.
Les établissements pénitentiaires ne sont pas les seuls à répondre de cet impératif. Les étrangers en centre de rétention doivent être pris en charge avec dignité. Un interprète doit pouvoir être présent pour les aider à comprendre leur situation.
Les personnes gardées à vue ont des droits fondamentaux, qu'il convient de respecter. La vulnérabilité des malades dans les hôpitaux psychiatriques appelle un surcroît particulier de vigilance pour le respect de leurs droits. Leur faiblesse ne doit pas interdire le maintien de relations avec le monde extérieur. Ils doivent avoir la possibilité de garder une vie de famille. La mission du Contrôleur général sera d'y veiller. C'est une mission globale, confiée à une autorité nouvelle. Nous aurions pu faire d'autres choix. Le Protocole facultatif à la Convention de l'ONU nous en donnait la possibilité.
Je crois sincèrement qu'il était nécessaire de donner une lisibilité à l'action des différents organismes qui veillent déjà au respect de la dignité humaine dans les lieux de privation de liberté.
Des mécanismes de contrôle interne existent déjà depuis longtemps. Ils se doublent de contrôles extérieurs. Je pense par exemple à la Commission nationale de déontologie de la sécurité. Depuis 2001, ses avis et ses rapports ont eu un impact réel sur les services et les lieux qu'elle a visités.
Comme la CNDS, les organismes et les inspections qui font du contrôle accomplissent un travail rigoureux et indispensable. La fréquence variable des interventions, la diversité des modes de saisine, la disparité des compétences posent problème. Elles expliquent l'effet d'éclatement de la perception de leur mission.
Le Contrôleur général n'aura pas vocation à se substituer à ces organes. Il travaillera, au contraire, en coordination avec eux. En prêtant un nom et une voix forte à leur cause, il renforcera l'efficacité de leur action. La voix d'un homme porte plus haut et plus loin que les conclusions d'un rapport.
J'étais, en juillet, avec Philippe Goujon, à Londres. Nous avons rencontré Mme Anne Owers, Inspectrice en chef des prisons britanniques.
En Grande-Bretagne, cette fonction existe depuis 1981. Mme Owers nous a fait partager ses observations. Son analyse m'a confortée dans le choix d'un contrôle concentré autour d'une personnalité unique et d'une équipe pluridisciplinaire. Le modèle britannique a inspiré notre projet. Il m'amène à évoquer les visites et les pouvoirs du Contrôleur général.
En Grande-Bretagne, chaque visite de l'Inspecteur en chef donne lieu à une information préalable, puis à un rapport, accompagné de recommandations aux autorités : 95 % de ces recommandations sont admises par l'administration ; 75 % en moyenne sont suivies d'effet dans les deux ans. L'Inspecteur en chef le vérifie à l'occasion d'une visite inopinée.
Vous le savez, il y a eu un débat en France sur cette possibilité de « visites inopinées ». Le Sénat a souhaité que toute ambiguïté soit levée. Le Gouvernement a donné un avis favorable à un amendement permettant au Contrôleur général, sous réserve de motifs graves et bien identifiés, d'effectuer des visites à tout moment.
Mesdames et messieurs les députés, j'ai conscience des efforts que la mise en oeuvre de ce contrôle demandera aux administrations concernées. Je suis convaincue qu'un dialogue bénéfique pourra s'établir à l'occasion des investigations. Ce dialogue est d'ailleurs la meilleure promesse de résultats concrets.
« L'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme sont les seules causes des malheurs publics ». Je vous propose de marquer ensemble un nouveau progrès aujourd'hui, en veillant au respect des droits fondamentaux jusque dans les lieux où l'on est privé de sa liberté. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)