Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, je tiens à vous dire, dans les dix ou quinze minutes qui me sont imparties, combien cette proposition de loi est fondamentale pour les départements et régions d'outre-mer, certes, mais combien elle est également essentielle sur le plan global. Je me permets de le faire, dans cet hémicycle, parce que se limiter à l'aspect purement opérationnel, technique et financier de ce texte serait quelque peu réducteur. Cela justifie ma position sur son application ou non à la France tout entière, et je m'en expliquerai tout en m'en remettant, bien entendu, à la rédaction du Sénat.
Cette proposition de loi est une avancée conceptuelle fondamentale, une reconnaissance éthique sur le plan de l'urbain et de l'humain, et c'est, enfin, une vision nouvelle de la solidarité dans le monde. Un milliard de personnes environ vivent dans ce que l'on appelle l'habitat informel ou insalubre. Selon les prévisions des Nations unies, trois milliards de personnes vivront, d'ici à 2050, et notamment dans le Sud, dans ce que l'on appelle l'habitat populaire, l'habitat informel ou insalubre. Le taux de croissance de cet habitat sera d'environ 4 à 5 % par an. Des villes – comme au Brésil – compteront 500 000, 800 000, voire un million d'habitants de ce type d'habitat. Cela signifie que la place de l'informel dans la production de l'habitat est essentielle. La procédure que nous engageons aujourd'hui est un exemple, un modèle, une technique, une reconnaissance d'une forme de « loger », d'une forme d'exister, d'une forme d'habitat, donc de mon point de vue d'un droit de propriété, puisque c'est ainsi qu'il faut l'appeler, minimaliste.
Mais nous n'avons pas associé droit de propriété et versement d'une indemnité. Nous avons franchi un premier pas : celui d'accorder un droit en cas de perte de jouissance de domicile. Reconnaître une perte de jouissance de domicile, c'est admettre que la maison existe depuis longtemps, que quelqu'un l'a construite et qu'elle n'est pas tombée du ciel. Si telle famille a construit une maison au Brésil, à Djakarta, en Afrique du Sud, à Nanterre comme il y a quelque temps, en Martinique ou en Guadeloupe, c'est parce qu'il y a un schéma de survie dans l'urbain qu'il convient absolument de reconnaître. Le processus d'appropriation de l'habitat résidentiel n'est pas le même pour tout le monde. Je le dis parce que cela concerne, dans nos pays, environ 70 000 maisons ou familles, donc près de 10 % de la population, soit 200 000 personnes. Je suis donc d'accord avec M. Torre qui considère que cette situation est indigne de la République et que la loi Besson – la loi MOLLE – et le caractère inaliénable et imprescriptible d'habiter dans un lieu décent n'ont aucun sens dans une telle République, si l'on n'apporte pas une solution adéquate.
Autre constat terrible : la lenteur avec laquelle sont menées ces opérations est insupportable. Je tiens à vous remercier, madame la ministre, ainsi que l'État, d'avoir accepté cette mission permettant de trouver des perspectives afin de sortir d'une telle situation. En effet, une opération de résorption de l'habitat insalubre de 200 logements dure dix, quinze, voire vingt ans. Cela n'a aucun sens. Maintenir un tel rythme serait s'engager pour des milliers d'années. Les familles concernées risquent donc de disparaître sans bénéficier d'une politique de l'habitat et du logement.
Je vous le dis clairement : cette proposition de loi est bienvenue. Elle est très technique. Je souhaite vraiment que vous mettiez toute la puissance nécessaire pour que les circulaires, notamment celle de 2004, soient modifiées. Je suis d'accord avec le Sénat, qui considère que ce texte est excellent mais que, sans une politique du logement et de l'habitat déterminée, sans une politique de financement du logement appropriée, cela n'aura pas de sens. Il en ira de même si nous ne conduisons pas une politique foncière localement appropriée et si nous ne menons pas une politique de gouvernance locale.
C'est pourquoi j'invite mes collègues à ne pas amender ce texte et donc à le voter conforme, même si nous ne sommes pas totalement d'accord sur quelques points. Ainsi, le Sénat a choisi de limiter le champ d'application aux départements et régions d'outre-mer. Je sais que, tout comme moi, vous n'êtes pas sur cette ligne. Le rapport qui m'a été demandé devait porter sur les départements et régions d'outre-mer. J'aurais pu égoïstement m'en tenir à nos pays. Je ne l'ai pas fait parce que je considère, en toute intégrité intellectuelle, que le droit au logement et à la dignité n'appartient pas qu'à une partie du peuple dans le monde, mais à tout le monde, que l'on soit ici, en France, ou ailleurs. En profiter, à la limite, pour reconnaître des droits à ceux qui vivent ici depuis plus de dix ans dans des conditions acceptables aurait été une bonne chose. Cependant, je considère qu'aujourd'hui un pas est franchi. Nous veillerons demain, comme vous je le suppose, à faire appliquer cette mesure sur l'ensemble du territoire national en utilisant tous les espaces nécessaires. Seules les procédures d'abandon manifeste s'appliquent sur l'ensemble du territoire national. Cela permettra peut-être d'accélérer et de reconquérir des espaces.
Le Sénat a également modifié les mesures de clarification sur les modalités de versement de l'aide. Nous y souscrivons. Nous ne pouvons pas verser une aide forfaitaire sans relogement. Les personnes qui ont construit sur les terrains d'autrui ne doivent pas bénéficier d'une aide si elles ne procèdent pas au relogement effectif des locataires. Enfin, le Sénat a décidé de faire passer de trois à six mois la contribution forfaitaire, ce qui me semble être une bonne chose.
S'agissant des conditions d'éligibilité au Fonds Barnier dans le cas de terrains soumis aux risques naturels, nous nous sommes tous accordés pour dire qu'il fallait conserver ce dispositif. Je demande à l'Assemblée de maintenir cette aide. En effet, il serait terriblement incohérent, alors que l'on sait qu'il existe des zones à risques, de ne pas prendre des dispositions pour que les familles puissent quitter ces lieux.
Bien entendu, il faudra configurer un budget et établir un cadre budgétaire précis, au titre du projet de loi de finances de l'année prochaine. Nous proposons que ces dispositions soient maintenues, comme l'a souhaité le Sénat, du reste.
J'en viens au quatrième point important : la suppression par le Sénat de l'article 13 relatif à la création de groupements d'intérêt public, laquelle nous paraissait indispensable. Le Sénat, quant à lui, a voulu faire du juridisme – tant pis ou tant mieux – en se réfugiant derrière les articles 98 à 102 de la loi Warsmann qui vise à établir un cadre législatif général pour les GIP. Il n'en demeure pas moins que notre objectif était de fédérer les moyens pour mieux accélérer les procédures, sachant que les fonds proviennent du département, de la région, de l'État et de divers ministères. Nous ferons avec : nous créerons dans chaque département ces groupements, même si la loi ne le prévoit pas.
Cinquième point : des garanties de procédure ont été données en matière de procédures de carence. Le Sénat a modifié le texte de façon à rapprocher la procédure de déclaration en état d'abandon manifeste de la procédure existant en matière d'état de carence. Il me semble utile que les procédures d'abandon manifeste soient rapidement mises en oeuvre de manière à éviter la situation que l'on trouve dans la plupart des villes d'outre-mer où la multiplication des dents creuses, des maisons et des terrains abandonnés empêche de créer les conditions d'une esthétique urbaine remarquable.
Le sixième point concerne le repérage. Christiane Taubira avait proposé qu'obligation soit faite, dans un délai donné, de repérer les habitats indignes ou insalubres ; le Sénat a prévu une rédaction autre, qui vise à ce que le travail de repérage débute dans un délai d'un an. Je le dis à mes amis guyanais, il existait un risque d'interprétation possible, compte tenu du niveau d'immigration à Mayotte et en Guyane. Je le dis très clairement, cette loi n'est pas faite pour cautionner des squattérisations ou des occupations illicites. Les possibilités de soutien et d'aide ne sont prévues que dans le cadre d'un aménagement urbain d'initiative publique. C'est uniquement dans ce cadre-là que l'aide visant à compenser la perte de domicile est reconnue. L'encadrement du dispositif ne peut donc en aucune façon faire obstacle aux politiques mises en oeuvre en matière d'immigration. Une personne occupant un terrain, que ce soit en métropole, en Martinique ou en Guyane ne se verrait pas appliquer ce dispositif, sauf dans le cas où le maire, le préfet ou un EPCI décideraient de mener des opérations d'aménagement.
J'aimerais conclure, monsieur le président, en disant clairement que si ce texte est voté aujourd'hui – ce que je souhaite profondément –, il n'y aura pas de décret ministériel particulier, mis à part l'arrêté interministériel relatif au barème de l'aide financière de la section 1. Pour tous les dispositifs pour lesquels l'État s'est engagé, je propose que des circulaires de simplification soient publiées, car le texte est compliqué, et que des conventions soient mises en place pour ce qui est des nouveaux dispositifs opérationnels.
Tout cela renvoie à un triptyque : le premier volet, législatif, reposant sur les quatorze propositions de mon rapport, est acquis ; le deuxième volet, le dispositif de réforme de la circulaire, est en cours et nécessite une accélération ; le troisième volet, enfin, est constitué par la mise en place locale d'un programme de résorption de l'habitat insalubre et par un renforcement du pilotage et de la gouvernance des politiques de résorption de l'habitat insalubre.
Deux romans m'ont particulièrement marqué : Bahia de tous les saints du Brésilien Jorge Amado et Texaco de Patrick Chamoiseau, sur un quartier de Fort-de-France. Ces romans, qui ont tous deux remporté des prix littéraires, sont des symboles d'une conception nouvelle. En ce troisième millénaire, nous serons confrontés à de grands enjeux mondiaux : guerres, changement climatique, reconnaissance de la diversité comme élément fondamental. Mais si, dans le monde, en France, dans nos départements d'outre-mer, nous ne savons pas reconnaître ce qui fait partie de notre patrimoine et de notre culture, nous nous abandonnerons nous-mêmes. En ce sens, cette loi est le point de départ d'une nouvelle ère en matière de reconnaissance de l'urbain populaire, des petits peuples ayant investi les territoires de la ville pour survivre. À partir de ces pratiques, gageons que nous pourrons construire d'autres formes de solidarités, au-delà des seuls mécanismes du rendement et du profit. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)