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Intervention de Yves Durand

Réunion du 9 juin 2011 à 15h00
Lutte contre le décrochage scolaire — Discussion d'une proposition de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Durand, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l'éducation :

Monsieur le président, monsieur le ministre de l'éducation nationale, mes chers collègues, le décrochage scolaire n'est pas un phénomène nouveau mais, depuis quelques années, il est devenu le problème majeur de notre système éducatif. C'est ce qui justifie, à nos yeux, la présente proposition de loi.

Christian Forestier, président du Haut conseil de l'éducation, le notait il y a quelques mois : l'école marche bien pour les bons élèves et laisse de côté les décrocheurs. Ce sont ces 150 000 à 180 000 jeunes qui sortent du système éducatif sans diplôme ni qualification.

Les conséquences en sont insupportables pour une société qui se veut une société de la connaissance. Sur le plan économique, d'abord, nous n'avons jamais pris le soin d'évaluer le coût de l'échec et du décrochage scolaires. Sur le plan social, ensuite, l'échec et le décrochage scolaires sont à l'origine du creusement d'inégalités insupportables. Les récentes enquêtes, tant internationales que nationales, démontrent qu'il y a une corrélation entre inégalités sociales et inégalités scolaires, et celles-ci se creusent. Enfin, les conséquences se font ressentir sur le plan de la citoyenneté : alors que l'école de la République est le creuset où le citoyen se forme, les 150 000 élèves décrocheurs se trouvent du même coup exclus de la citoyenneté.

La situation va s'aggravant et montre que les politiques menées pour la combattre sont un échec. C'est l'échec de ce que j'appelle le mille-feuille de dispositifs devenus totalement illisibles, qui prétendent lutter contre le décrochage scolaire.

Pour autant, le décrochage et l'échec scolaires ne sont pas une fatalité. On ne naît pas décrocheur, on le devient pour des causes et sous des formes multiples. Le décrochage scolaire ne se réduit pas à l'absentéisme scolaire, qui n'en est qu'un symptôme. Penser apporter une réponse au décrochage scolaire par la simple lutte contre l'absentéisme, comme a proposé de le faire notre collègue Éric Ciotti dans une proposition de loi, est une aberration, une erreur, une illusion ! Il faut prendre les problèmes beaucoup plus en amont, considérer l'ensemble des causes du décrochage scolaire et y apporter des réponses nouvelles, individualisées et concentrées sur un objectif qui doit devenir prioritaire.

Quels sont les principes fondamentaux de notre proposition de loi ?

D'abord, prendre les problèmes en amont : prévenir vaut mieux que réparer. Lorsque le jeune a décroché, il est déjà trop tard. Il est nécessaire de détecter au plus tôt, dès la petite enfance, les prémices du décrochage que sont les difficultés psychologiques, linguistiques, sociales, affectives parfois. C'est une mission qui doit être remplie par un véritable service public de la petite enfance, que nous demandons et dont le pilier central serait l'école maternelle. Or, trop souvent, celle-ci joue dans vos budgets, monsieur le ministre, ce que l'administration de l'éducation nationale appelle pudiquement le rôle de variable d'ajustement. Voilà pourquoi nous demandons la scolarisation obligatoire dès trois ans.

Ensuite, prévoir un accompagnement personnalisé, individualisé : c'est à l'école de prendre un enfant en difficulté par la main. C'est pourquoi nous demandons la création de cellules de veille éducative dans chacun des établissements, de façon à mettre en place un suivi individuel, ainsi que l'extension des RASED, aujourd'hui mis en cause quand ils existent. Non seulement nous voulons en quelque sorte les sanctuariser, mais nous souhaitons les étendre jusqu'au collège, dans le cadre d'une continuité éducative de trois ans jusqu'à seize ans, pendant toute la durée de la scolarisation obligatoire.

Nous proposons d'instaurer un tutorat, pas seulement médiatique, mais constituant un véritable accompagnement de l'élève par un adulte, pas forcément enseignant. Ce tutorat se pratiquerait au sein même de l'école et pendant le temps scolaire. Nous avons condamné, et nous le faisons également dans la proposition de loi, tous les dispositifs, en particulier les fameuses deux heures dont vous vous glorifiez, monsieur le ministre, consistant à rajouter au temps scolaire. C'est à l'école et dans le temps scolaire qu'il faut apporter les remèdes à l'échec scolaire. L'institution scolaire doit être son propre recours.

Le troisième principe, peut-être le plus important pour nous, est de rétablir la confiance entre l'école et les parents. L'espèce de « guerre civile » que, selon le chercheur pédagogue – mot que vous n'aimez pas beaucoup sur certains bancs – Philippe Meirieu, se livrent l'école et les parents est intolérable. Il faut rétablir la confiance entre l'école, les parents et la nation.

Pour cela, il faut commencer par ne pas stigmatiser les parents en difficulté, ne pas faire de l'échec de leur enfant leur échec en les punissant par la suspension des allocations familiales. Ce faisant, on ne fait qu'accroître leurs difficultés. Ils doivent, au contraire, être reçus dans l'école, y être accueillis pour entendre autre chose que des remontrances sur leur enfant qui travaille mal, est absent ou chahute.

Dernier principe, combler le fossé qui se creuse entre la culture scolaire et la culture de la rue. Nous n'avons plus le mythe de l'école de Jules Ferry, qui d'ailleurs n'a jamais existé, chacun le sait. La société a changé, le public scolaire a changé ; l'école doit changer et répondre à cette extraordinaire hétérogénéité des élèves qu'elle reçoit. Grâce à l'éducation nationale, nous avons réussi à faire une école de masse, à accueillir tous les enfants de la République d'où qu'ils viennent. Avons-nous réussi à leur donner les mêmes chances de réussite d'où qu'ils viennent ? Non. Ce sera l'enjeu des prochaines années de transformer la massification en démocratisation pour que chacun ait la même chance.

Pour cela, on ne saurait se contenter de discours ni de bricolage d'un système aujourd'hui à bout de souffle malgré l'implication extraordinaire des enseignants, malgré le travail considérable qu'ils effectuent, quoi qu'on en dise. Au fond, il faut redonner du sens à l'effort demandé aux élèves.

Monsieur le ministre, nous ne sommes pas plus laxistes que vous.

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