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Intervention de Aurélie Filippetti

Réunion du 9 juin 2011 à 9h30
Ouverture du mariage aux couples de même sexe — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAurélie Filippetti :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je suis fière d'être parmi vous ce matin, aux côtés de Patrick Bloche, pour défendre cette proposition de loi.

Notre société a changé, n'en déplaise à certains de nos collègues de droite, et la République ne saurait plus longtemps l'ignorer. Le droit français doit épouser et accompagner la société réelle.

Il n'existe pas une famille mais une pluralité de familles aux multiples visages : recomposées, monoparentales, homoparentales. En fait, en a-t-il été un jour autrement ? Des siècles d'oppression des femmes et des homosexuels, de tous ceux aussi qui refusaient de se fondre dans le modèle d'une société patriarcale violente pour ceux qu'elle reléguait à ses marges, laissaient pourtant vivre et se développer des amours, des couples, des histoires qui devaient malheureusement se retrancher sous le secret du tabou social.

Nous avons la chance de vivre à une époque où nous pouvons, dans cet hémicycle, débattre d'une avancée majeure de la société en termes d'égalité des droits.

Depuis les années 1960, l'égalité entre les hommes et les femmes a progressé en ce qui concerne le partage de l'autorité parentale. De nos jours, plus de la moitié des enfants naissent hors mariage et la distinction entre les enfants dits « légitimes » et les enfants dits « naturels » a été effacée.

L'ouverture du mariage aux personnes de même sexe est donc une revendication légitime, une évolution du droit nécessaire, parce que la loi ne peut pas ignorer, refuser, rejeter la société réelle. Que certains, à droite, le veuillent ou non, nos concitoyens ne supporteront plus longtemps de se voir priver du type d'union de leur choix.

En 1994 déjà, puis en 2001 et en 2003, le Parlement européen a adopté des résolutions demandant l'abolition de « toute forme de discrimination – législative ou de facto – dont sont encore victimes les homosexuels, notamment en matière de droit au mariage et d'adoption d'enfants ».

En 2004, l'Union européenne a accepté la redéfinition du terme de famille, en y incluant les couples de même sexe. En 2010, enfin, la Cour européenne des droits de l'homme, s'appuyant sur la Charte des droits fondamentaux, a estimé que « rien ne s'opposait à la reconnaissance des relations entre personnes de même sexe dans le cadre du mariage ».

Aujourd'hui, les Français se prononcent à une large majorité en faveur d'une ouverture du mariage aux personnes de même sexe. Nous avons cité tous les pays, européens et autres, où le mariage homosexuel est aujourd'hui possible. De plus, en Belgique, en Espagne et en Norvège, le droit à l'adoption est reconnu aux couples homosexuels.

À l'heure actuelle, la France semble être la seule à faire prévaloir les prétendues vérités biologiques sur les réalités vécues, les réflexes et les traditions sur les idées politiques.

Lors des débats sur les lois bioéthiques, il y a peu, nous avons été confrontés à ce même argument : la nature, le retour de mère nature ! Mais laissez la nature là où elle est !

Pour avoir dit « Deus sive natura » – « Dieu, c'est-à-dire la nature » –, le grand philosophe Spinoza a été mis à l'index. Aujourd'hui, la droite renverse l'argument et répète : « La nature, c'est-à-dire Dieu. » Ce faisant, elle réintroduit ses convictions religieuses dans un débat qui doit être laïque. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Comme l'expose si bien le sociologue Éric Fassin : « Le fondement même des normes sociales ne relève plus d'une transcendance (Dieu, nature ou science). Leur justification est immanente : c'est la société qui les (re)définit et la délibération démocratique qui les fonde. »

Nous n'avons pas à condamner des pratiques qui ne nuisent pas à autrui. Dans les sociétés démocratiques, nous sommes contraints à remodeler indéfiniment les institutions qui nous définissent à la lumière changeante de nos valeurs.

Oui, la loi change. Oui, nous devons la faire changer. Les coups de butoir de la liberté permettront un jour d'ouvrir les portes de bronze de l'hémicycle au mariage des personnes de même sexe. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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