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Intervention de Rachel Silvera

Réunion du 11 mai 2011 à 14h00
Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Rachel Silvera :

Tout ce que l'on a pu dire dans les années quatre-vingt-dix se confirme : le travail à temps partiel reste la forme d'emploi la plus féminisée, qui a connu le développement le plus rapide depuis les années quatre-vingts. Il représente toujours environ 30 % de l'emploi féminin et seulement 6 % de l'emploi masculin. La féminisation du temps partiel reste une caractéristique européenne. En France, 82 % des travailleurs à temps partiel sont des femmes.

Avant la crise récente de 2008, plusieurs experts avaient remarqué une stagnation du temps partiel dans notre pays : il ne dépassait pas le seuil des 30 %, alors même que dans d'autres, il décollait au-delà des 40 %. Mais depuis 2008-2009, les données de Pôle emploi montrent qu'il y aurait, depuis la crise, deux figures : d'un côté, un chômage masculin plus visible, et de l'autre, une précarité plus développée chez les femmes, en raison d'une reprise du temps partiel. Vous pouvez vous reporter aux récents travaux de Françoise Milewski de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) relatifs à l'effet de la crise sur l'emploi des hommes et des femmes. Ceux-ci mettent en évidence un ralentissement du taux de chômage des jeunes femmes par rapport au taux de chômage des jeunes hommes, qui s'accompagne, malheureusement, d'un accroissement très rapide du temps partiel chez les jeunes filles : de 32 à 38 % depuis la crise. Ces données sont pour nous très inquiétantes : d'une part, la réussite scolaire des filles ne leur profite toujours pas ; d'autre part, le temps partiel ne correspond pas forcément à l'âge des contraintes familiales, puisque les jeunes femmes visées ont moins de vingt-quatre ans et n'ont pas, ou ont peu d'enfants. Il s'agit donc là d'un temps partiel contraint.

Nous avons publié dans notre revue Travail, Genre et Sociétés, un dossier intitulé « Maudite conciliation ». J'y fais un tour d'horizon de ce qui se passe dans tous les pays européens. Vous y trouverez des données récentes sur la question du temps partiel comme opportunité possible.

La moyenne européenne est à l'heure actuelle de 31,1 % de l'emploi des femmes. En France, elle est un peu en dessous, mais elle dépasse largement 40 % dans six pays – Royaume-Uni, Suède, Autriche, Allemagne, Belgique et Pays-Bas – et même 75 % aux Pays-Bas.

Le temps partiel reste beaucoup plus faible dans les pays du Sud, et surtout dans les nouveaux pays entrants, où il n'est pas un modèle. Néanmoins, en Espagne et en Italie, il a augmenté et dépasse au moins 20 %.

Je distingue cinq logiques différentes du temps partiel – reprises dans le rapport du Conseil économique et social sur le temps partiel, l'année dernière – qui cohabitent parfois au sein d'un même pays.

Première logique : le temps partiel a été, ou est encore, un moyen d'intégrer les femmes au marché du travail – comme aux Pays-Bas. Il résulte d'un compromis social passé entre mouvements de femmes, syndicats et entreprises, pour que l'accès des femmes au travail ne se fasse pas à plein temps.

Cette logique, différente de celle de la France, s'explique aux Pays-Bas par la prégnance d'un modèle très traditionnel et par le fait que l'émancipation des femmes n'y passe pas forcément par le travail. Travailler à temps plein n'est pas le modèle idéal par rapport à leur situation personnelle et familiale. Elles ont donc revendiqué que les ménages passent à un salaire et demi lorsque, en raison des contraintes économiques, un seul salaire n'a plus suffi. Et elles ont plutôt réussi puisque, dans ce pays, les tâches sont davantage partagées au sein des couples

La deuxième logique est commune à l'ensemble des pays : le temps partiel répond à un mode de gestion de la main d'oeuvre et à la demande de certaines entreprises dans certains secteurs : la grande distribution, le nettoyage, les aides à la personne et, dans une moindre mesure, l'hôtellerie-restauration. Il permet en effet de limiter les coûts liés aux fluctuations d'activité. Mais les secteurs concernés sont très féminisés et constituent les maillons faibles de la négociation et de la défense des salariés. De tels compromis n'auraient jamais été possibles dans des secteurs plus industriels et plus représentés d'un point de vue syndical.

La troisième logique est celle de la politique de l'emploi. Le dispositif du temps partiel vise alors à « enrichir le contenu de la croissance en emplois ». La France a donné l'exemple en recourant, notamment, aux exonérations de charges sociales. L'Europe a encouragé cette tendance. Pendant toute une période, l'emploi s'est développé sans que l'on s'interroge vraiment sur sa qualité, essentiellement sous la forme du temps partiel.

Cette logique de la politique de l'emploi a suscité l'intérêt des entreprises. Mais contrairement à ce que pensait l'État, le temps partiel s'est développé, par effet d'aubaine, dans les secteurs où il existait déjà. Il a très peu mordu dans les secteurs plus industriels et plus masculinisés, et le taux de temps partiel des hommes est resté extrêmement faible.

La quatrième logique répond à une pénurie de places d'accueil des enfants, face à un modèle culturel encore « familialiste ». Que ce soit ou non un choix, comme au Pays-Bas, le temps partiel est essentiellement destiné aux mères. En Allemagne, en Autriche, en Belgique et aux Pays-Bas, on est encore très loin de couvrir l'ensemble des besoins des familles en matière d'accueil des jeunes enfants. Cela dit, les modes d'accueil reflètent aussi les choix de société. En France, où ils sont relativement développés, l'école maternelle correspond au modèle d'une famille où les deux parents peuvent travailler, même à plein temps. Ce n'est pas le cas chez certains de nos voisins où le modèle et la pression sociale sont tels que les mères, même les cadres, n'ont pas le choix de pouvoir travailler à temps plein. En ce sens, nos voisines sont moins gâtées que nous.

La cinquième logique est malheureusement rare : le temps partiel est vraiment un choix d'aménagement des horaires, à certaines phases du cycle de vie. Aux Pays-Bas, une loi votée en 2006 permet à un salarié de demander d'allonger ou de réduire son temps de travail en fonction de ses choix personnels ; c'est sans doute une des raisons qui font que 75 % des Hollandaises travaillent à temps partiel. En France, il y aurait beaucoup à dire sur la question.

Pour compléter vos informations sur le temps partiel en France, je vous invite à consulter la dernière édition de l'ouvrage « Travail et emploi des femmes » de Margaret Maruani. Elle y confirme que le temps partiel, dans son développement actuel, correspond surtout à des emplois peu qualifiés et à des horaires atypiques, morcelés, décalés, peu compatibles avec une vie de famille « normale » – situation expérimentée et racontée par Florence Aubenas dans son ouvrage « Le quai de Ouistreham ».

Les durées du travail sont en moyenne de 23 heures, mais avec une frange importante aux deux extrémités. Certains salariés, notamment des femmes, travaillent moins de quinze heures par semaine.

Les rémunérations sont extrêmement faibles.

En termes horaires, l'écart est de 18 %, du fait de la structure des emplois, moins qualifiés dans le temps partiel que dans le temps complet.

En termes mensuels, les travaux sur les bas et très bas salaires ont montré que l'écrasante majorité des personnes qui gagnent moins de 800 euros par mois travaille à temps partiel. Et la plupart du temps, ce sont des femmes.

On considère bien souvent que cette situation est compensée au niveau des ménages, parce que les femmes qui travaillent à temps partiel ne vivent pas forcément dans des ménages pauvres. En supposant que le salaire de leur conjoint leur permet d'échapper à la pauvreté, on perpétue l'idée que le salaire féminin n'est un salaire d'appoint, ce qui justifie que la femme, même à travail égal, puisse gagner moins qu'un homme.

Je suis en train de préparer un ouvrage sur l'histoire et la persistance de cette idée du salaire féminin comme salaire d'appoint, qui renvoie à l'image de l'homme, père ou mari, subsistant aux besoins de la femme. Or une telle image est fausse : aujourd'hui, même à bas salaires, dans plus de 60 % des cas, la rémunération de ces femmes est vitale à leur ménage, soit parce qu'elles sont seules – famille monoparentale – soit parce que leur conjoint gagne très peu.

Contrairement à ce que l'on espérait, le temps partiel ne gagne pas parmi les postes qualifiés et très qualifiés. Être cadre à temps partiel reste quasiment impossible dans notre société. D'où ce paradoxe : des femmes, souvent peu qualifiées, qui voudraient travailler davantage, ne se voient proposer qu'un temps partiel ; d'autres, très qualifiées, avec de grandes responsabilités professionnelles, qui souhaiteraient mieux gérer leur temps, ne l'obtiennent pas.

On a tendance à dire – pour reprendre l'exemple du début – que la caissière n'a pas eu le choix de travailler autrement qu'à temps partiel, tandis que la fonctionnaire l'a fait par choix personnel. Je voudrais remettre en cause temps cette opposition temps contrainttemps choisi.

Pour apprécier le temps partiel contraint, on utilise l'indicateur du sous-emploi, en prenant en compte le nombre de personnes qui sont à temps partiel et qui souhaiteraient travailler davantage. On note alors que seulement 27 % des personnes sont dans ce cas. Voilà pourquoi de très nombreux rapports aboutissent à la conclusion que le temps partiel est plutôt le résultat d'un choix.

Le problème est que l'on se contente de demander aux salariés s'ils souhaitent travailler davantage. On ne leur demande pas pourquoi ils ne souhaitent pas travailler davantage, ni ce qui les amènerait à travailler davantage, comme : un mode d'accueil convenable pour les enfants le mercredi, supportable financièrement par le ménage ; un conjoint, ou un conjoint qui travaille moins ; de meilleures conditions de travail, etc. Ces questions n'étant jamais posées, on apprécie mal ce qui relève ou non d'un choix. De fait, parmi les personnes qui demandent un temps partiel, nombreuses sont celles qui le font par contrainte, notamment parce qu'elles n'ont pas, pour leurs enfants, de mode d'accueil correspondant à leur situation.

J'appartiens, en tant experte Française, au réseau « Genre et emploi » de la Commission européenne. Chacun d'entre nous y a été chargé d'une petite étude sur le système périscolaire de son pays. J'ai rencontré quelques difficultés, car il n'existe pas de données harmonisées, les collectivités territoriales jouissant d'une liberté quasi totale en la matière. Malgré tout, j'ai pu consulter une enquête réalisée par la Direction de la recherche, des études, de l'évolution et des statistiques (DREES) d'où il ressort que les Français sont assez chanceux : existence de l'école maternelle, grande amplitude horaire, cantines pour 60 % des enfants, etc. Chez certains de nos voisins, la famille doit se débrouiller dès deux heures de l'après-midi.

Reste que les enfants ne vont pas forcément à l'étude le soir ou au centre de loisirs le mercredi et pendant les petites vacances. Il arrive souvent que leur mère soit amenée à adapter ses horaires, même lorsqu'elle travaille à temps plein – par exemple, elle sera infirmière de nuit et pourra garder ses enfants le mercredi. Mais choisir un temps partiel pour s'adapter aux contraintes familiales n'est pas non plus forcément l'idéal.

Les contraintes familiales sont souvent avancées pour justifier le choix du temps partiel, d'autant que, pour une femme, la démarche est considérée comme « normale ». Or il arrive qu'un tel choix s'explique, en fait, par l'usure ou la difficulté des conditions de travail : passer à temps partiel est ainsi le moyen de « souffler ». Mais dans l'entreprise, cela ne se dit pas. La situation est encore plus délicate pour les hommes, qui ne peuvent même pas utiliser l'argument des contraintes familiales, toujours suspect en ce qui les concerne. Voilà pourquoi, même s'ils en ressentent le besoin, ils ont du mal à accéder au temps partiel.

Je terminerai par quelques suggestions.

Premièrement, mieux connaître les salariés qui demandent à travailler à temps partiel, et les raisons pour lesquelles ils le font. On pourrait se pencher plus particulièrement sur le mode de garde des enfants quand il s'agit de mères, ou sur les conditions de travail du salarié quand on s'aperçoit qu'elles sont peut-être liées à leur demande de temps partiel. Par ailleurs, pour que le temps partiel se diffuse autrement et soit mieux adapté aux besoins des parents, il faut faire en sorte qu'il puisse être davantage utilisé par les pères – ils ne sont encore que 6 % à y recourir. Cela suppose que l'on poursuive le travail déjà engagé sur la question de la parentalité et que l'on réfléchisse à des modes d'accueil et à des aménagements du temps compatibles non seulement avec les contraintes familiales, mais aussi avec les contraintes et les choix personnels.

Deuxième suggestion : en finir avec le temps partiel subi. Je ne comprends toujours pas pourquoi le travail précaire bénéficie de primes de précarité, alors que le temps partiel subi, avec des horaires décalés et des conditions de travail difficiles, etc. n'est pas apparenté à une forme de précarité. Je suggère que l'on travaille réellement sur cette question. Le rendez-vous sur le temps partiel subi, prévu en novembre 2007 à la Conférence sociale tripartite, n'a jamais eu lieu.

Il est temps d'envisager, soit d'accorder une prime aux salariés victimes de ce temps partiel, ce qui risque de le faire perdurer, soit de faire payer aux entreprises qui en abusent une surcotisation, laquelle pourrait contribuer à ouvrir des droits pour les personnes à temps partiel, au moment de leur retraite. Il faudrait engager une vraie négociation en s'intéressant à ce qui existe déjà dans certains secteurs. Ainsi, la grande distribution a commencé à réfléchir à une réduction des temps de pause et à l'allongement du temps partiel par le biais de la polyactivité. Dans certaines entreprises, les caissières peuvent, à certains moments de la journée, passer au libre-service, remplir les rayons ou exercer une autre activité pour allonger leur temps de travail. La CGT m'a dit qu'elle était farouchement opposée à cette polyactivité, qui ne s'est accompagnée d'aucune revalorisation salariale, alors même que les secteurs concernés sont plutôt en bonne situation économique. Pour les chercheurs que nous sommes, la polyactivité est un plus, dans la mesure où elle peut motiver les salariés, en leur donnant davantage de responsabilités. Mais ce n'est pas forcément ce qu'ils souhaitent. Il conviendrait donc de mieux accompagner ces démarches.

Troisièmement, renforcer l'accès aux droits sociaux pour tous les salariés à temps partiel – notamment pour ceux qui sont sous ou autour des quinze heures hebdomadaires –, d'autant que les réformes des retraites n'ont pas favorisé leur situation. Certes, en 2003, il avait été question de leur permettre de cotiser sur la base d'un temps plein, moyennant un abondement de l'entreprise. Mais il me semble que cet outil n'a pas été utilisé. Sans doute est-il inefficace et trop coûteux – au moins pour le salarié.

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