Monsieur le président, monsieur le président, chers collègues, cette proposition de résolution sur la laïcité, nous donne une nouvelle occasion d'évoquer notre pacte républicain, mais aussi ce qui le menace ou l'effrite. Elle doit aussi servir, demain, à juger des actes non en fonction des engagements solennels, mais surtout des politiques mises en oeuvre.
Quelques petits rappels nous semblent nécessaires. La conjonction de l'universel et du singulier est au coeur d'une idée très française définie et rappelée tout à l'heure : celle de République. En France, l'abolition des privilèges en 1789 s'est concrétisée, un siècle plus tard, dans la séparation des églises et de l'État. L'oeuvre de laïcisation a accompli précisément une double mission : d'une part, la promotion de l'universalité des droits et, d'autre part, la sauvegarde de la liberté de conscience.
À l'occasion de la discussion de ce jour, j'ai relu Ferdinand Buisson, que j'avais déjà cité lors du débat sur l'identité nationale et qui fut l'un des maîtres d'oeuvre de la loi du 9 décembre 1905 de séparation des églises et de l'État.
Comment ne pas être en accord avec lui quand il affirmait, il y a plus d'un siècle, que la séparation de la foi et de la loi assure « à tout individu » la liberté de penser et de manifester sa croyance ou son incroyance sans autre limite que l'interdiction d'opprimer une autre pensée ? Il ajoutait qu'en garantissant ainsi la liberté de conscience, la République postule que « l'individu est indépendant de la communauté ». De la sorte, un acte de conscience ne relève que de l'individu et la collectivité doit reconnaître qu'elle ne peut avoir prise sur sa vie intérieure.
La même exigence de respect des consciences prévaut dans d'autres domaines. Nous pouvons citer l'enseignement, la famille, le travail.
Selon Ferdinand Buisson, cet individualisme de la conscience s'oppose à un individualisme concurrentiel. Tandis que le premier s'appuie sur la loi du devoir, le second repose sur la force et se fonde sur ce que Hobbes nomme « la passion de la gloire ». Cette passion naît lorsque nous estimons, selon Buisson, « notre propre pouvoir supérieur au pouvoir de celui avec lequel nous disputons ou nous comparons ». L'esprit concurrentiel peut, en effet, mettre l'individu hors de lui-même en le plaçant sous la dépendance du succès et du regard d'autrui. On est loin de l'individualisme de concurrence aujourd'hui valorisé et vanté dans les médias, incarné par des jeux de téléréalité ou illustré par tous ces exemples de réussite par l'argent ou par la notoriété ! Si on est laïc, il faut donc proposer une morale de la conscience plutôt qu'une morale de la puissance. C'est l'école, l'éducation et l'exemple social qui doivent nous permettre de ne pas succomber à cette possible épidémie d'individualisme concurrentiel.
La laïcité apparaît donc bien comme une idée au service des individus, qui doit être au coeur de l'école et de l'éducation et qui devrait servir d'exemple et de référence. Pourtant cette idée est bien remise en cause, y compris au sommet de l'État ! Dès 2007, le Président de la République a posé de la plus mauvaise façon qui soit, me semble-t-il, la question de la laïcité, indiquant que les origines de notre pays seraient « essentiellement chrétiennes » et expliquant qu'« une morale laïque » serait insuffisante.
C'est mal connaître les fondements de la France moderne, qui fait de la laïcité un fondement du pacte républicain depuis la Révolution française.
Ferdinand Buisson, père de l'enseignement public, disait en 1903 : « Cet enseignement moral porte la claire notion du devoir, des idées de justice et de bonté, l'habitude de la réflexion, la culture de la conscience, l'amour du travail, le sentiment des droits de l'homme et de la dignité humaine... distribué sous forme purement laïque par l'école Républicaine. »
La laïcité a pour finalité de respecter tous les Français, sans différence d'origines et de religions, et doit aider les individus à être autonomes par la conscience, comme le pensaient déjà les pères de la République.
Pourtant, force est de constater que l'école publique, laïque et gratuite, celle qui crée un lien social indispensable, qui permet aussi de garantir la cohésion sociale, est aujourd'hui menacée par des choix politiques.
Ses moyens sont en diminution, et plusieurs milliers d'emplois sont supprimés chaque année, y compris en milieu rural.
Sous cette législature, la loi a institué une obligation de financement sans accord préalable pour un élève inscrit dans une école privée hors de sa commune de résidence, introduisant une logique de marché scolaire sans référence aux valeurs.
Aujourd'hui, la laïcité est triplement menacée : elle est menacée par des religions qui veulent soumettre la conscience des individus ; elle est menacée par un modèle de réussite personnelle et sociale qui rend les individus dépendants et, à ce titre, il appartient aux institutions publiques et laïques de réagir, ce qui suppose que l'État reconnaisse la place et le rôle du milieu associatif laïque, qui promeut les valeurs du don, de la réciprocité, du bien commun ou du respect hors d'une seule morale religieuse ; elle est enfin menacée par le recul de l'école publique.
Le message de laïcité a de l'avenir si l'on sait promouvoir une culture partagée et non ambiguë, si l'on respecte les valeurs des institutions qui la portent, si l'on reconnaît qu'il faut des moyens pour la faire vivre et la diffuser dans un monde qui n'y est pas naturellement porté. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)