Je concentrerai ma présentation sur la stratégie de Thales à partir d'un document qui vous a été distribué. Vous constaterez que pour les résultats annuels de 2010, il convient de faire la part des choses : les pertes ayant fait l'objet d'une couverture médiatique portent sur des contrats longs, complexes, signés voici plusieurs années, et pour lesquels la réalisation des engagements pris à l'époque se révèle plus coûteuse que prévu.
Le groupe Thales est un des grands acteurs technologiques de l'industrie française. C'est un leader mondial, employant 68 000 personnes dans une cinquantaine de pays, dont la moitié en France. Comptant 22 500 ingénieurs et chercheurs à la pointe de l'innovation, il est, derrière l'apparence d'une diversité de l'offre, assez homogène et présent sur deux principaux domaines : la défense et la sécurité, pour 57 % de son activité, et l'aérospatial et le transport, pour les 43 % restants. Ces deux secteurs ont en commun des technologies et un même type de clientèle, constituée de gouvernements, d'entités parapubliques ou de grands opérateurs de transport.
Il intervient sur cinq marchés principaux : la défense, qui représente un peu plus de la moitié de son activité, avec des équipements, des systèmes, certaines plates-formes – tels les blindés en Australie –, ou des systèmes de systèmes comme Scorpion ; le transport terrestre – contrôle du trafic ferroviaire, billettique – et trois marchés duaux, civilo-militaires, que sont l'aéronautique – avec le contrôle du trafic aérien et l'avionique –, l'espace – avec des équipements et des satellites – et la sécurité. Dans ce dernier domaine, nous nous concentrons sur deux segments : la protection des sites sensibles – telle que la protection des aéroports –, des frontières ou de grandes métropoles, et la cybersécurité.
Le groupe s'inscrit dans un monde de plus en plus ouvert, marqué par une mobilité croissante des personnes – entraînant un développement des transports aériens et ferroviaires et du contrôle du trafic associé –, un flux de plus en plus important des capitaux, des biens, des services et des données – se traduisant par un besoin accru d'informations – et le rôle critique des réseaux, c'est-à-dire des applications servant à relier les sources d'information avec les centres de décision. Ce monde est également plus complexe et vulnérable, avec de nouvelles menaces ou de nouveaux risques systémiques, rendant les prises de décision de plus en plus cruciales.
Notre ambition est de donner à tous nos clients la certitude de pouvoir prendre rapidement la bonne décision, dans un environnement critique – au sens où est mise en jeu la sécurité des personnes – et complexe, en raison de la profusion des données et de l'hétérogénéité technique des systèmes. Notre mission est fondée sur des savoir-faire reconnus en matière d'acquisition de l'information – par le biais de détecteurs acoustiques, de radars ou de caméras-vidéos notamment –, de traitement de celle-ci et de livraison des données sous forme fusionnée et simplifiée aux décideurs pour leur permettre de prendre des décisions pertinentes et rapides.
Je donnerai à cet égard trois exemples concrets de nos réalisations. D'abord, le centre national des opérations militaires aériennes de Lyon-Mont-Verdun, avec un dispositif de surveillance qui, pour un sommet de type G8 ou G20, couvre 160 000 kilomètres carrés et mobilise dix radars de surveillance et de défense aérienne connectés, dix systèmes d'armes « Crotale », une quinzaine d'avions et d'hélicoptères de défense et de sécurité, une vingtaine de postes de commandement et de contrôle interconnectés, avec une décision à prendre toutes les cinq secondes. Deuxièmement, dans le domaine du trafic aérien civil, le centre national de contrôle en route de Bruxelles, qui porte sur une superficie de 40 000 kilomètres carrés avec sept secteurs différents, 3 000 vols par jour – dans le cas d'une journée d'été, où le trafic est chargé –, 30 postes de contrôle opérationnels et une décision à prendre toutes les deux secondes. Enfin, la surveillance de la ville de Mexico – qui compte 22 millions d'habitants –, avec 8 000 caméras, 2 drones, 2 unités mobiles d'intervention, 6 centres de commandement et de contrôle, 175 stations de métro, 20 casernes de pompiers, 200 400 incidents gérés entre décembre 2009 et mars 2011 et, pour le centre d'opérations et de contrôle que nous sommes en train d'équiper, une décision à prendre toutes les quatre minutes.
Nous disposons de plusieurs atouts forts. En premier lieu, une culture de l'innovation, qui remonte aux origines de Thales, avec une R&D représentant environ 20 % du chiffre d'affaires, 300 inventions par an et un portefeuille de 11 000 brevets. Nous avons aussi une politique d'innovation ouverte sur les autres acteurs de la technologie, au travers de laboratoires coopérant avec des campus universitaires – par exemple ceux dont nous disposons sur le plateau de Saclay à côté de l'École polytechnique – et au sein desquels se trouvent des unités partagées avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Nous partageons également un laboratoire avec Alcatel-Lucent et, depuis mars 2011, le CEA-Leti, sur les semi-conducteurs III-V, qui ont des applications notamment pour nos radars.
Deuxième atout : des positions de leader sur les marchés civils et militaires. Thales est ainsi numéro un mondial pour les constellations de satellites de télécommunications – nous avons conclu aux États-Unis le contrat Iridium, le plus gros passé dans ce domaine, pour 72 satellites en orbite et 9 en rechange, par le biais de notre filiale Thales Alenia Space (TAS), ainsi que pour le contrôle du trafic aérien et les sonars. Le groupe est numéro deux mondial dans le contrôle du trafic ferroviaire – même si nous y sommes relativement peu présents en France pour des raisons historiques –, le multimédia de bord pour l'aéronautique – qui est en forte croissance – et les radiocommunications tactiques militaires, tels le PR4G, vendu dans une quarantaine de pays à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires. Nous sommes également numéro trois mondial pour l'avionique – qui concerne les calculateurs à bord des avions commerciaux et pour laquelle nous sommes le seul groupe non américain parmi les cinq premiers mondiaux – et les radars de surface, qu'ils soient de défense aérienne ou civils.
Troisième atout : une présence internationale forte, caractérisée par un ancrage dans de nombreux pays, depuis plus de trente ans pour beaucoup. Dans ceux-là, nous gagnons maintenant des marchés de rééquipement et de renouvellement d'infrastructures, comme à la fin de 2010 où nous avons remporté le marché allemand de renouvellement des radars de défense aérienne qui avaient été fabriqués à l'origine par Thomson-CSF. Les pays émergents représentent environ 30 % de nos revenus en 2010 – ce qui est encourageant pour nos perspectives de croissance.
Notre objectif est de poursuivre notre croissance et de franchir à l'horizon 2020 le seuil de 20 milliards d'euros de revenus. Nous poursuivons plusieurs actions à cet effet : confirmer notre dualité sur le civil et le militaire – avec 4 % de croissance moyenne par an pour le premier et une certaine stabilité espérée pour le second, compte tenu de la baisse prévue des commandes en Europe et de l'augmentation des exportations vers les autres continents – ; aller chercher la croissance dans les pays émergents ; développer les services, dont nous souhaitons faire passer la part de 16 % à 25 % de nos revenus – pour nous rapprocher de la situation d'autres sociétés de notre secteur –, sachant que ces contrats de services offrent des ressources plus régulières et permettent d'entretenir les compétences ; étendre nos positions à tous les niveaux de la chaîne de valeur, des équipements aux systèmes de systèmes, notamment en matière de défense où la contraction des budgets devrait s'accompagner d'une consolidation du paysage industriel.
Les trois piliers de notre stratégie sont : le développement de l'international, le renforcement de notre offre et l'amélioration de notre performance. Les deux premiers permettent de favoriser notre croissance, le troisième d'accroître notre compétitivité. Au cours des dix dernières années, les analystes financiers ont observé que Thales a été en deçà des performances économiques de ses concurrents européens : nous souhaitons que le groupe atteigne le même niveau de compétitivité.
Les marchés en croissance sont pour nous principalement le Brésil, l'Inde, la Chine – notamment en matière ferroviaire, avionique et de contrôle du trafic aérien –, le Mexique, l'Asie du Sud-est ou le Moyen-Orient. La plupart de ces pays ont des ambitions industrielles ; leurs nouvelles richesses leur autorisent des exigences accrues en termes de localisation d'activités industrielles y compris de R&D, qu'ils font souvent figurer dans les appels d'offres de leurs marchés publics. Nous mettons donc l'accent sur ce critère, de plus en plus décisif, lorsque nous répondons à ces appels d'offre.
Le marché international ne doit donc plus être vu comme offrant, ainsi que lors des décennies précédentes, des opportunités d'exportations directes, mais de plus en plus des contrats prévoyant une part importante de localisation sur place – sous peine de ne pas obtenir les marchés.
Notre stratégie à l'international consiste dès lors à donner davantage de valeur ajoutée locale, en développant les filiales existantes et en créant des partenariats avec des groupes locaux pour conquérir de nouveaux marchés. Notre nouvelle organisation mise en place en 2010 devrait nous aider à être plus performants en la matière, même si cette conquête est un processus lent et difficile – la construction de compétences locales n'étant jamais aisée.
Nous avons ainsi au Brésil une petite société spécialisée dans les radars civils de contrôle du trafic aérien : nous avons décidé d'étendre son offre de produits, afin de développer la valeur ajoutée locale, pour mieux accéder à des marchés perçus localement comme de souveraineté et de haute technologie.
Pour renforcer notre offre, nous souhaitons accélérer l'innovation en développant la transversalité des technologies – et ce, bien au-delà de la recherche amont. Avant mon arrivée, le groupe se limitait à mutualiser cette recherche amont, notamment dans le cadre d'un laboratoire situé à côté de l'École polytechnique. Depuis, j'ai nommé un directeur technique du groupe, membre du comité exécutif, chargé de développer les synergies entre la recherche amont et les produits finis – immense espace dans lequel on peut mettre au point des briques technologiques communes. C'est vrai dans le domaine du matériel, comme les modules d'antenne active, que l'on peut retrouver dans les radars de défense aérienne, les radars de surveillance maritime, les radars embarqués sur satellites.
Le monde du logiciel, qui mobilise près de la moitié de nos ingénieurs de R&D, peut aussi bénéficier de briques technologiques standard utilisables dans des centres d'opérations de défense, de sécurité urbaine ou ferroviaire avec – en dépit d'interfaces homme-machine différentes – les mêmes fonctions de fusion de données, d'aide à la décision ou de visualisation de capteurs lointains. Derrière les écrans des opérateurs, il y a des automates logiciels avec des millions de lignes de code, qui sont actuellement développés ici ou là de façon redondante et pourraient faire l'objet d'une politique commune.
Pour développer ces synergies, nous avons défini plusieurs domaines techniques clés et mis en place des actions d'innovation partagées, qui sont des groupes de travail transverses associant les experts travaillant dans différents domaines et produisant des calendriers de développement d'objets communs. Ma finalité est de produire davantage de choses pour un montant d'investissement donné ou autant de choses pour un coût moins élevé ; bref être plus productif s'agissant des laboratoires et de la R&D.
Renforcer notre offre passe aussi par la confirmation de notre activité duale. Ainsi, par exemple, Thales a regroupé depuis quinze ans les compétences qui ont permis de réaliser les familles de calculateurs modulaires de haute performance qui équipent à la fois les avions d'armes français et les avions de ligne Airbus. Nous disposons d'ailleurs dans ce domaine d'une des meilleures équipes du monde, reconnue au niveau international : elle travaille d'ores et déjà aux futures générations de produits, qui seront caractérisés par une convergence plus forte entre les secteurs militaire et civil. Et ce, pour deux raisons : les armées auront moins d'argent et seront plus enclines à choisir des produits réutilisant des briques d'origine civile ; et ces produits devront être certifiés selon les méthodes de l'aéronautique civile – nous le voyons déjà dans le domaine des drones, comme le montre le programme de drones tactiques Watchkeeper que nous réalisons pour les Britanniques.
Pour améliorer notre performance, nous entendons développer l'esprit d'équipe et la solidarité. Lorsque je suis arrivé à la tête du groupe, j'ai trouvé une organisation en six silos, dont chacun représentait environ 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel, soit un montant deux à trois fois moins important que celui de nos concurrents américains. Je souhaite faire de Thales un groupe intégré, à l'image de nos principaux concurrents. Cela suppose une collaboration plus transversale au sein du groupe, justifiée par les similarités caractérisant ses différentes activités. Cette coopération renforcée permettra aussi de mutualiser les compétences et de favoriser les échanges d'expériences.
Désormais, 20 % du bonus des cadres sont liés à la réalisation d'un objectif d'équipe. Nous avons par ailleurs redéfini les règles d'échanges internes entre sociétés pour les rendre plus équitables. Le système antérieur permettait par exemple à une société de Thales de faire payer des pénalités à une autre société du groupe en retard vis-à-vis d'elle alors même que le client final ne lui en faisait pas payer. Désormais, ce ne sera possible que si celui-ci les fait payer.
Enfin pour le développement de systèmes complexes supposant l'intervention de plusieurs sociétés du groupe, nous avons clarifié les responsabilités de chacune d'entre elles. En effet, certaines des pertes figurant dans les résultats de 2010, concernant des contrats passés, étaient liées à une vraie confusion en la matière.