C'est un grand honneur pour moi de porter à la connaissance de votre Commission, en ma qualité de Premier président, l'acte de certification des comptes de l'État de 2010 et le rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'État, qui accompagnent le projet de loi de règlement.
Le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, que je vous présenterai le 22 juin, prendra en compte l'ensemble des administrations publiques et envisagera les perspectives d'évolution à court et moyen terme des finances publiques dans leur ensemble. Mais auparavant, il faut être sûr de ce qu'est la situation actuelle de l'État, dont la place demeure centrale.
Les deux documents que nous vous présentons ont été élaborés par la formation interchambres, présidée par Christian Babusiaux, dans des délais particulièrement contraints. S'agissant de la préparation du rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'État, il est paradoxal que le raccourcissement de la période complémentaire ne se soit pas répercuté sur les délais de réponse de l'administration ou de production des documents budgétaires. La transmission à la Cour des rapports annuels de performance ne s'est achevée que le 26 avril et le projet de loi de règlement ne lui est parvenu que le 12 mai au soir.
L'acte de certification porte seulement, vous le savez, sur la comptabilité générale de l'État, et il a pour unique objet d'attester la régularité, la sincérité et l'image fidèle que donnent les comptes.
L'optique du rapport sur les résultats et la gestion budgétaire est plus large. Il examine la comptabilité budgétaire qui retrace les dépenses et les recettes, c'est-à-dire les seules opérations de caisse ; il analyse aussi les trois résultats définis par la LOLF et que vous devez approuver ; il examine également les résultats de la gestion par mission et par programme.
Depuis la LOLF, ces deux documents contribuent à éclairer le Parlement au moment du vote de la loi de règlement. Loin d'être une simple formalité, ce vote constitue désormais la clef de voûte du dispositif garantissant la fiabilité des comptes de l'État, si importante dans les circonstances actuelles. La certification et le rapport sur les résultats sont une application concrète du principe essentiel de transparence : transparence vis-à-vis des citoyens, des contribuables, et de leurs représentants au Parlement, qui votent chaque année un budget qui engage souvent l'État au-delà de l'exercice annuel ; transparence aussi vis-à-vis des investisseurs, qui achètent des titres de dette et sont en droit d'attendre, en retour, une information claire et fiable sur la situation financière et patrimoniale de l'État.
J'en viens à l'acte de certification. La France est actuellement le seul État de la Zone euro à s'être engagé dans une démarche de certification de ses comptes. Ils sont établis, qui plus est, selon des principes comptables tenant compte des spécificités du secteur public mais reprenant pour le reste ceux du secteur privé, ce qui est encore rare en Europe et dans le monde. Seuls sont certifiés les comptes des États-Unis, du Canada, de la Grande Bretagne et de la Nouvelle-Zélande. Nous constituons donc une exception dans la zone euro, mais une exception vertueuse. Compte tenu de la situation actuelle des marchés financiers et des tensions qui se sont révélées à la suite de la crise financière, le fait qu'un auditeur externe, totalement indépendant, comme la Cour des comptes, puisse attester de la régularité, de la sincérité, de l'image fidèle des comptes de l'État constitue assurément un atout pour notre pays.
Pour ce qui concerne la comptabilité patrimoniale de l'État, cette nouvelle comptabilité en droits constatés créée par la LOLF, vous aurez à examiner le compte général de l'État, arrêté par le ministre du budget le 17 mai dernier, qui sera, aux termes de l'article 54 alinéa 7 de la LOLF, joint au projet de loi de règlement. Le Parlement, qui est désormais chargé d'approuver les comptes en droits constatés, doit pouvoir le faire en toute connaissance de cause en s'appuyant sur la certification délivrée par la Cour dans le cadre de sa mission d'assistance au Parlement.
La forme de la loi de règlement elle-même ne tire pas encore toutes les conséquences des évolutions en matière de comptabilité patrimoniale. Je citerai deux exemples, tirés de la version encore provisoire de l'avant-projet de loi que nous a transmis le Gouvernement.
Premièrement, le bilan qui figure dans le corps de l'avant-projet de loi de règlement est incomplet : il y manque les comptes relatifs à 2008 et 2009, retraités de façon à être comparables avec ceux de 2010, c'est-à-dire, dans le vocabulaire comptable, les comptes pro forma. Ce n'est pas anecdotique : 2010 est en effet la première année où l'État a établi, conformément aux normes, ces comptes pro forma, qui permettent d'apprécier de manière pertinente l'évolution des états financiers de l'État sur les trois derniers exercices, à périmètre et méthodes comparables.
La situation nette de l'État, c'est-à-dire la différence entre ses actifs et ses passifs, s'est alourdie de 200 milliards d'euros entre 2008 et 2010, malgré une augmentation de 70 milliards de l'actif net immobilisé. Vous voyez là notamment les effets directs de la hausse de la dette financière – + 210 milliards d'euros –, engendrée notamment par les déficits budgétaires successifs, ainsi que l'impact immédiat du plan relatif aux investissements d'avenir, qui génère à la fois des actifs – 28 milliards d'euros d'immobilisations financières et 6,6 milliards d'euros de créances – et des passifs – 34 milliards d'euros de trésorerie passive.
Deuxièmement, le tableau des flux de trésorerie de l'État. Certes la LOLF ne prévoyant pas explicitement ce tableau, il n'est pas prévu que vous l'approuviez. Il n'en constitue pas moins l'un des quatre états financiers de l'État, au même titre que le bilan, le compte de résultats et l'annexe aux comptes. Il met en évidence que, en 2010, l'activité de l'État et ses opérations d'investissement ont entraîné un besoin de trésorerie net de 146 milliards d'euros, qui a été couvert in fine par de l'endettement financier à court terme à hauteur de 64 milliards et à long terme pour 82 milliards. Autrement dit, ce besoin n'a pas été couvert seulement par une augmentation de la dette financière au sens du traité de Maastricht, mais aussi par des moyens de trésorerie.
J'appelle votre attention sur les informations que le Parlement peut désormais retirer du compte général de l'État pour l'exercice écoulé, des comptes pro forma des exercices précédents et de l'annexe qui rassemble maintenant une masse considérable d'informations financières, par exemple, les engagements fiscaux ou de retraite.
J'en viens à la position de la Cour sur les comptes de l'État de 2010, y compris dans leurs aspects pro forma.
La Cour certifie qu'au regard des règles et principes comptables qui lui sont applicables, le compte général de l'État de l'exercice clos le 31 décembre 2010 et arrêté le 17 mai 2011 est régulier et sincère, et donne une image fidèle de la situation financière et du patrimoine de l'État, sous sept réserves substantielles.
Deux réserves, dont l'une était qualifiée l'an dernier de substantielle, ont été levées, et plusieurs autres partiellement levées.
Un mot de la réserve substantielle relative à la Caisse d'amortissement de la dette sociale – CADES –, que nous levons cette année. Cette décision est le résultat d'un travail conjoint de la Cour, du Gouvernement et du Parlement, qui s'est poursuivi jusqu'aux derniers instants puisque le Gouvernement a pris très récemment les textes réglementaires qui permettent au nouveau conseil d'administration de fonctionner. Grâce à la loi organique votée en 2010, la CADES est désormais bien ancrée dans la sphère de la sécurité sociale. Si la Cour a été le moteur de cette clarification, le Gouvernement et le Parlement en ont été les acteurs principaux, dans une convergence d'esprit que je souligne. Voilà un effet direct du travail législatif sur les comptes de l'État.
Une des tâches des équipes de certification est, en effet, d'exploiter au mieux les travaux législatifs et de vérifier leur traduction dans les comptes, au-delà même des lois de finances. Ainsi, la loi « Hôpital, patients, santé, territoires » a transformé les établissements publics de santé en établissements publics nationaux, sans que l'administration en ait tiré les conséquences en les comptabilisant comme des participations. La Cour a donc pris l'initiative d'examiner les conséquences d'une telle réforme, comme elle l'a fait pour d'autres dispositions législatives récentes, qu'il s'agisse du prêt à la Grèce, du Fonds européen de stabilisation financière, de la réforme de la taxe professionnelle ou de la réforme des retraites.
L'acte de certification explique en détail les raisons pour lesquelles certaines réserves ont été levées, totalement ou partiellement. Il faut y voir les effets des progrès importants réalisés par l'administration, avec l'aide de la Cour, dans un contexte difficile. L'attention de l'administration a été absorbée par les réformes en cours, parmi lesquelles la réforme de l'administration territoriale de l'État, la RGPP, la réforme des bases de défense et des commissariats. Mais, en cinq ans, un chemin important a été parcouru, en bonne intelligence entre la Cour et l'administration.
Toutefois, ces progrès très réels ne doivent pas cacher les difficultés qui demeurent et qui justifient les sept réserves formulées par la Cour, toutes qualifiées de substantielles.
Elles tiennent en grande partie aux conditions de déploiement de Chorus, et plus généralement aux systèmes d'information, d'où la réserve n° 1. La Cour vous a communiqué à plusieurs reprises le résultat de ses travaux sur ce sujet – des rapports dits « 58-2 » ou un référé –, et a synthétisé ses constats dans son dernier rapport public, en février dernier. Le point majeur est qu'il faut utiliser à plein toutes les capacités de ce progiciel et le déployer dans de meilleures conditions que cela n'a été le cas jusqu'à présent.
En matière de contrôle et d'audit internes, des améliorations ont été constatées mais elles restent limitées – d'où la réserve n° 2 –, le contexte des réformes administratives en cours n'ayant pas été favorable. Néanmoins, une levée partielle de cette réserve pourra être envisagée pour certains ministères ou certains processus, si les progrès constatés sont poursuivis.
La réserve n° 3 relative aux produits régaliens tient à ce que le système d'information est actuellement essentiellement fondé sur le suivi des mouvements de caisse, alors que devrait être mise en place une véritable comptabilité patrimoniale, qui permette de suivre en temps réel les engagements réciproques de l'État et des redevables, et leur incidence financière réelle sur l'exercice. Face à une législation fiscale de plus en plus complexe et changeante, l'État ne dispose que d'outils informatiques anciens, qui ne sont plus en mesure de retranscrire correctement les évolutions décidées par le Parlement et de lui fournir les évaluations et projections nécessaires pour l'éclairer dans ses choix. Le cas de la réforme de la taxe professionnelle, sur laquelle je reviendrai, illustre cette situation.
La réserve n° 6, relative aux charges et passifs d'intervention, se justifie par l'incertitude qui pèse sur l'exhaustivité du recensement des charges et des passifs, ainsi que par des désaccords sur le Fonds de compensation sur la taxe sur la valeur ajoutée – FCTVA – et sur les contrats de désendettement et de développement – C2D. Sur ces points, l'État semble avoir la tentation de changer la norme pour réduire le montant des passifs comptabilisés à son bilan. Je souligne devant vous que cela porterait un coup d'arrêt à la dynamique vertueuse qui s'est enclenchée depuis cinq ans, et constituerait un recul incompréhensible : cette modification aboutirait à faire sortir du bilan de l'État une grande partie des 80 milliards d'euros de provisions pour charges d'intervention qui y sont aujourd'hui comptabilisées. L'apport même de la comptabilité générale, voulue par la LOLF, est de créer une comptabilité qui ne se limite pas aux encaissements et décaissements mais retrace les actifs et les passifs de l'État.
Les trois autres réserves substantielles formulées par la Cour concernent la fiabilité de certains postes du bilan, toujours insuffisante au terme de ce cinquième exercice.
Pour conclure cette première partie, je souligne que l'administration a pris des engagements précis, qui doivent permettre de progresser encore au cours de l'exercice 2011 et des exercices ultérieurs. Ces engagements s'inscrivent dans la relation de partenariat qui s'est créée entre l'administration et la Cour. La démarche d'accompagnement dans laquelle s'est engagée la Cour a porté ses fruits. Depuis le premier exercice de certification, le nombre de réserves est passé de treize à sept. Les motivations détaillées de la position de la Cour permettent aux lecteurs des états financiers d'identifier les axes de progrès que l'administration doit suivre pour parvenir, par étapes successives, à une certification sans réserve.
Un enjeu majeur réside aujourd'hui dans l'appropriation de Chorus par l'ensemble des services gestionnaires, la réussite de la bascule de la comptabilité générale dans Chorus au 1er janvier 2012 et la fiabilisation rapide des diverses données qui s'y déversent. À défaut, Chorus ne serait qu'un avatar d'Accord ou du projet Palier 2006, et ne permettrait pas de mettre en oeuvre l'ensemble des dispositions de la LOLF.
Il convient que l'administration cible les améliorations prioritaires en 2011, de manière à poursuivre la dynamique amorcée et à faire des comptes de l'État l'un des outils essentiels de sa gouvernance.
J'en viens au rapport sur les résultats et la gestion budgétaire. Conformément à l'article 58-4 de la LOLF, la Cour a analysé le résultat budgétaire de l'exercice 2010, qui est le plus traditionnel ; le résultat patrimonial que nous certifions désormais ; et le résultat de trésorerie qui montre comment l'État a couvert son besoin de financement. Elle a également examiné l'exécution budgétaire par mission et programme. Vous en trouverez les résultats essentiels dans le rapport, mais je vous annonce d'ores et déjà que nous mettrons en ligne, dès le 1er juin, c'est-à-dire dès l'adoption du projet de loi de règlement par le Conseil des ministres, les synthèses des documents préparatoires que sont les 52 notes d'exécution budgétaire ainsi que les 10 notes analysant particulièrement certains programmes. L'intégralité de ces documents vous sera bien entendu adressée préalablement, comme c'est le cas depuis deux ans, mais les synthèses seront mises en ligne pour compléter l'information que le citoyen peut trouver dans le rapport lui-même. Ce sera la première année que nous vous transmettrons les documents aussi rapidement.
En 2010, le solde budgétaire s'est à nouveau détérioré et l'endettement de l'État a encore augmenté. L'exercice a été marqué par un nombre inhabituel de lois de finances rectificatives qui ont fortement affecté les caractéristiques de la gestion. La loi de finances initiale anticipait une amélioration après la forte dégradation du solde en 2009, mais la trajectoire budgétaire a dévié défavorablement sous l'effet du programme d'investissements d'avenir, des prêts consentis à la Grèce, et des ouvertures opérées par deux décrets d'avance et par la loi de finances rectificative de fin d'année. En définitive, le déficit de l'État s'est accru de 10,8 milliards d'euros par rapport au niveau déjà exceptionnellement élevé de 2009, pour atteindre 148,8 milliards. L'année 2010 s'est également caractérisée par un alourdissement de la dette de l'État de 81 milliards d'euros et par le programme d'émissions à moyen et long terme le plus important jamais réalisé – 210,7 milliards d'euros.
La réduction sensible de l'endettement à court terme, dont la Cour avait souligné la nécessité il y a un an, a contribué à mieux cantonner le risque de taux, et la tendance actuelle à la remontée des taux montre bien l'intérêt de cette recommandation.
Quatre événements particuliers, voire exceptionnels, doivent être pris en compte dans l'appréciation de la dégradation du solde budgétaire en 2010 : le programme d'investissements d'avenir, l'achèvement du plan de relance, l'aide à la Grèce et la réforme de la taxe professionnelle.
Les investissements d'avenir ont affecté le résultat budgétaire à hauteur de 34,6 milliards d'euros, alors même qu'ils n'ont donné lieu qu'à des dépenses réelles de 675 millions d'euros. Les prêts à la Grèce, qui procèdent de circonstances extérieures et sont une conséquence de la crise économique et financière, ont certes un impact négatif de 4,4 milliards d'euros sur le solde budgétaire, mais ils ne manifestent pas un manque de maîtrise dans l'évolution des dépenses. S'agissant de l'achèvement du plan de relance, l'absence de pérennisation des dispositifs confère un caractère exceptionnel à l'effort budgétaire de l'année, qui s'est monté à 6,8 milliards d'euros.
Les conséquences de la suppression de la taxe professionnelle sur l'exercice 2010 ont été examinées. L'impact de cette mesure sur le budget général – -17,9 milliards d'euros– a été réduit, selon le Gouvernement, par le solde positif du compte d'avances aux collectivités territoriales – + 10,2 milliards. Ce dernier résulte d'un surplus exceptionnel de recettes de taxe professionnelle sur exercices antérieurs. Certaines correspondent à de véritables recouvrements, d'autres à des recettes d'ordre, ayant pour contrepartie des dépenses d'ordre imputées sur le programme Remboursements et dégrèvements d'impôts locaux du budget général. Cependant, compte tenu de l'état du système d'information comptable, l'administration n'a pas pu déterminer la part des recettes réelles et celle des recettes d'ordre, ni rapprocher les recettes et les dépenses d'ordre enregistrées dans la comptabilité budgétaire de l'État. Quant à la comptabilité générale, les carences du système d'information rendent impossible un rattachement correct des ressources de la taxe professionnelle aux exercices antérieurs qui les ont générées. La charge nette ayant pesé sur le budget de l'État au titre de la première année de la réforme de la taxe professionnelle est en conséquence incertaine.
L'analyse du résultat patrimonial de l'État – -112 milliards d'euros – complète l'analyse du solde budgétaire. Certains événements exceptionnels de l'exercice – investissements d'avenir ou prêts à la Grèce – n'ont pas d'impact sur le résultat comptable dès lors qu'ils ne constituent pas des charges mais possèdent une contrepartie à l'actif du bilan.
La dégradation de 12 milliards d'euros par rapport à 2009 du résultat patrimonial, qui confirme celle de la situation financière de l'État, résulte d'une hausse des charges nettes de l'État non compensée par celle des produits régaliens nets. Ce constat rejoint celui de l'exécution budgétaire.
Les recettes fiscales nettes se sont redressées en 2010, ce qui marque un point d'arrêt par rapport à la baisse continue constatée depuis 2005. Cependant, le rebond a été modeste. Hors incidences du plan de relance, de la réforme de la TP et des mesures de périmètre, la croissance spontanée des recettes est demeurée limitée à 8,6 milliards d'euros. Elle a en outre été réduite par l'impact de mesures nouvelles, notamment l'abaissement de la TVA dans la restauration – 1,9 milliard d'euros d'impact supplémentaire en 2010 pour un impact total de 3,15 milliards – et le coût supplémentaire – 0,6 milliard d'euros – de la loi TEPA. Les recettes non reconductibles provenant de la cellule de régularisation fiscale – + 0,9 milliard – n'ont pu totalement compenser le coût de ces mesures.
Ce constat confirme la nécessité impérieuse de préserver la ressource fiscale. Or, la baisse des dépenses fiscales en 2010 résulte principalement de la baisse de régime du plan de relance et de la réforme de la taxe professionnelle. Sans ce double effet, les dépenses fiscales auraient encore augmenté de 2,5 milliards d'euros.
Avec une hypothèse d'inflation de 1,2 %, la norme de dépenses définie par le Gouvernement correspondait à une progression des dépenses, des prélèvements sur recettes et des affectations de recettes, de 4,4 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale de 2009. Dans ce périmètre et hors plan de relance, les dépenses ont progressé de 1,3 % en 2010 pour atteindre 352,5 milliards d'euros. La règle du « zéro volume » a donc été respectée en apparence.
Mais elle l'a été grâce à des éléments conjoncturels. La charge de la dette s'est révélée moindre que prévu en raison de la faiblesse des taux d'intérêt, de même que les prélèvements sur recettes au profit de l'Union européenne et des collectivités territoriales hors compensation au titre de la réforme de la taxe professionnelle. Ces moindres dépenses ont permis que, à plafond inchangé, puissent être financés sur la loi de finances rectificative de décembre 2010, les crédits nécessaires à des missions budgétaires qui ont connu une forte croissance de leurs dépenses. La bonne surprise sur les taux d'intérêt n'a pas été mise à profit pour réduire le déficit.
Ensuite, des mesures ont été exclues de façon contestable du calcul de la norme : l'utilisation de ressources affectées pour apurer les dettes à l'égard de la sécurité sociale, ce qui a évité de faire apparaître des dépenses ; le recours à des comptes spéciaux pour des opérations qui auraient pu relever du budget général de l'État ; l'augmentation de la dépense relative au revenu de solidarité active, ignorée au motif qu'elle s'accompagnerait d'une diminution de la dépense fiscale sur la prime pour l'emploi ; la non-prise en compte des dépenses effectivement décaissées dans le cadre des investissements d'avenir. En intégrant ces éléments, dont l'impact global s'élève à 3,3 milliards d'euros, les dépenses ont augmenté de 2,2 % en valeur et non de 1,3 %. En volume, elles ont progressé de 0,7 %, compte tenu de l'inflation constatée de 1,5 %.
D'une manière générale, rien ne justifie que les dépenses correspondant aux investissements d'avenir échappent à la norme, sinon à considérer que celle-ci devrait prioritairement porter sur des dépenses de fonctionnement et de personnel, les investissements se voyant appliquer un traitement dérogatoire sans contrepartie dans des économies sur d'autres postes. L'effort effectué via les investissements d'avenir pour augmenter le potentiel de croissance de l'économie française, doit s'inscrire dans une perspective budgétaire réaffirmée de contrôle de la dépense. La Cour propose donc, pour que la norme de dépenses ne soit pas, de longues années durant, contournée ou susceptible de contestations, d'ajouter chaque année la consommation de dotations consommables aux dépenses entrant dans le champ de la norme.
La masse salariale de l'État, hors pensions, a progressé moins que la norme : +0,7 % à périmètre constant. Des tensions importantes sont cependant apparues en gestion, liées à la surestimation initiale du nombre de départs en retraite. Cette erreur a été corrigée tardivement, sous la forme contestable d'un décret d'avance qui a ouvert 760 millions d'euros de crédits en toute fin d'exercice. En outre, l'exacte compréhension de l'évolution des dépenses de personnel suppose de constater que les versements du budget général au CAS Pensions ont augmenté de 1,8 % à périmètre courant, mais de 5,2 % à périmètre constant.
La règle du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux a été quasiment respectée. Elle a contribué à ralentir la croissance de la masse salariale. Cependant, les politiques et mesures catégorielles d'accompagnement doivent être compatibles avec l'objectif de stabilisation de la masse salariale que se fixe le Gouvernement. La rétrocession aux agents d'une partie des économies les a réduites de 47 %. L'économie nette n'a donc été que de 428 millions d'euros, sans prendre en compte le coût des heures supplémentaires, dont nous ne disposons pas pour 2010 mais qui avoisinait 260 millions d'euros en 2009. La situation globale du budget de l'État implique que les efforts engagés récemment pour renforcer le pilotage et le contrôle de la masse salariale, y compris chez les opérateurs, soient poursuivis.
L'importance du déficit, le rebond limité des recettes, l'augmentation persistante des dépenses fiscales, le non-respect de la norme « zéro volume » d'augmentation des dépenses, constituent des motifs de préoccupation.
Le rapport fait cependant ressortir un deuxième registre de constatations : les fortes limites que présente encore l'ensemble du système budgétaire et comptable de l'État.
Premièrement, les différentes comptabilités de l'État et leur articulation continuent à présenter des insuffisances. La Cour a audité la concordance des comptabilités et vérifié la fiabilité du tableau de passage du résultat budgétaire au résultat patrimonial. En dépit des progrès réalisés, les différentes comptabilités de l'État et leur articulation continuent de présenter des insuffisances. En évoquant tout à l'heure la réforme de la taxe professionnelle, j'ai mentionné les limites du système d'information sur les recettes fiscales, qui ne permettent pas de rattacher les ressources à l'exercice d'origine.
En matière budgétaire, la comptabilité des engagements constitue un élément important de la prévision et de la maîtrise de l'évolution des dépenses. Pourtant, l'examen de la comptabilité met en évidence que le suivi des engagements n'est pas satisfaisant. Le croisement avec la comptabilité générale montre que, cinq ans après l'entrée en vigueur de la LOLF, le recensement des engagements juridiques de l'État n'est pas encore exhaustif et qu'ils ne sont pas soumis dans leur intégralité au vote du Parlement. Ainsi, l'utilisation de ressources non retracées en comptabilité budgétaire pour apurer une partie de la dette à l'égard de la sécurité sociale a évité d'ouvrir et de consommer des autorisations budgétaires à hauteur de 1,2 milliard d'euros. De même, la contribution française à l'Agence spatiale européenne – 360 millions – n'a pas fait l'objet d'une budgétisation suffisante en autorisations et en crédits de paiement alors que la charge à payer était recensée dans la comptabilité de l'État. Globalement, les cas de ce type représentent environ 4,7 milliards d'euros.
Le rapport relève aussi le problème de construction du tableau de financement, les limites de la comptabilité d'analyse des coûts, ou encore l'imperfection des systèmes d'information utilisés pour produire les indicateurs de performance de nombreux programmes.
Deuxièmement, l'articulation de la démarche de performance avec la programmation et la gestion budgétaire est trop rarement réalisée. Dans un contexte de tensions budgétaires, les outils de mesure de la performance auraient cependant vocation à participer au pilotage de la dépense de l'État. L'analyse des résultats ne doit pas seulement porter sur le solde budgétaire et le résultat patrimonial, mais aussi sur les résultats concrets obtenus par les gestionnaires de programme qui doivent être mentionnés dans les rapports annuels de performance. D'après notre analyse, ces derniers rendent encore trop mal compte de la gestion et ne permettent pas de bien mesurer les résultats. Si les outils techniques ont continué à être améliorés, la réalité budgétaire est restée insuffisamment reliée à cette démarche. La mise en place d'une comptabilité analytique qui puisse jouer le rôle d'outil de pilotage et d'aide à la décision demeure indispensable.
Le constat global, pour la mise en place du dispositif de performance, est ainsi celui d'une année de stagnation malgré des progrès ponctuels.
De l'ensemble du rapport se dégage une troisième préoccupation, qui concerne le respect des grands principes budgétaires.
Le plan de relance répondait à des circonstances exceptionnelles. Les investissements d'avenir peuvent jouer un rôle utile de stimulation dans divers secteurs, même s'il convient d'en effectuer un suivi attentif. Cependant, l'enchaînement du plan de relance, du plan Campus, des investissements d'avenir, fait perdre de sa cohérence à notre système budgétaire : des volumes importants de dépenses ne sont pas pris en compte dans la norme d'évolution des dépenses, et échappent au budget.
Certes, un système particulier de performance et de suivi par le Parlement a été mis en place pour les investissements d'avenir, mais en dehors du cadre budgétaire, au risque d'affaiblir le principe d'universalité du budget.
Le programme d'investissements d'avenir déroge aussi au principe d'annualité budgétaire. Les crédits ouverts au sein de programmes budgétaires particuliers ont été transférés à des organismes gestionnaires dans le cadre de conventions signées avec l'État. Leur utilisation sera progressive sur une période de dix ans. La remise en cause de l'annualité budgétaire n'est pas un mal en soi, mais elle oblige à davantage de vigilance dans le suivi. Des risques de substitution entre programmes du budget général et investissements d'avenir ont été identifiés. Si les crédits ouverts à ce dernier titre constituent de nouveaux moyens, ils ne financent pas tous de nouveaux projets : certaines actions financent des projets préexistants, voire déjà engagés.
Quelques points doivent appeler une attention particulière. Certains organismes gestionnaires ont été chargés de projets qui n'étaient pas totalement dans leur champ de compétence. L'Agence nationale de la recherche aura du mal à porter la totalité des actions qui lui ont été transférées dans le cadre du programme des investissements d'avenir, et à gérer les 18,85 milliards d'euros qui lui ont été délégués. L'accompagnement de l'Agence dans le processus de réorganisation et de modernisation de ses procédures de gestion et d'évaluation conditionne en partie l'efficacité du dispositif. La complexité de certains montages conventionnels est susceptible d'affecter la lisibilité de certaines actions, par exemple quand les objectifs se recoupent. C'est notamment le cas des initiatives d'excellence et des laboratoires d'excellence, qui doivent s'articuler sans que les financements se cumulent. La cohérence devra être assurée entre les responsables de programme en charge des actions financées sur le budget général et ceux chargés des programmes d'investissements d'avenir.
La Cour a relevé plusieurs irrégularités ou anomalies au regard des principes budgétaires. Certaines affectent la répartition des dépenses entre le budget général et les comptes spéciaux. Plusieurs d'entre eux, notamment ceux de concours financiers, ne correspondent pas à la définition qu'en donne la LOLF. En allant au-delà des aménagements autorisés par la loi organique, ces pratiques de gestion portent atteinte au principe d'unité et d'universalité budgétaire.
En conclusion, la Cour ne méconnaît pas les efforts réalisés par l'État, au cours de l'exercice sous revue, pour assurer la gestion budgétaire dans un contexte que la crise a rendu très difficile ; ni ceux accomplis pour faire progresser la comptabilité générale. Quelles que soient les imperfections qui demeurent dans son système budgétaire et comptable, la France dispose d'une information riche et précise sur la situation financière de l'État, comme en témoigne l'audit réalisé par la Cour sur l'annexe au compte général de l'État.
Des progrès restent cependant à réaliser, aussi bien pour renforcer les mécanismes de maîtrise de la dépense et de préservation des recettes, que pour améliorer les différentes comptabilités de l'État et mieux articuler les dispositifs de performance et la gestion budgétaire. Ainsi que le montrera le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques que je vous présenterai en juin, la situation financière de l'État demeure centrale dans la problématique globale de nos finances publiques. Les analyses présentées aujourd'hui contribueront, je l'espère, à vous permettre de mieux apprécier la situation du budget et des comptes de l'État.