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Intervention de Mouldi Kefi

Réunion du 10 mai 2011 à 10h00
Commission des affaires étrangères

Mouldi Kefi, ministre des affaires étrangères de la République de Tunisie :

En effet, monsieur Tardy, « révolution.com » et « démocratie.com » sont aujourd'hui des réalités. La Tunisie a abrité voilà quelques années le sommet mondial sur la société de l'information (SMSI). Elle avait alors demandé aux Nations Unies de faire de 2010 l'année de la jeunesse. La conjugaison de ces deux éléments a contribué à notre révolution. Grâce aux nouveaux moyens de communication, mais aussi, à France 24, Al Jazeera, Al Arabia, l'opinion publique tunisienne et internationale a vécu les événements en direct. Les prises de position de certains pays amis, dont les États-Unis, ont également permis de faire cesser la censure et, devant une telle détermination, le Gouvernement tunisien a été contraint de fléchir.

Nous espérons, de surcroît, que cette révolution technologique contribuera à promouvoir l'esprit et les mentalités démocratiques mais, si notre télévision, qui est libre et qui sait s'opposer, les journaux et les radios développent une véritable pédagogie de la démocratie, on ne peut hélas en dire autant de Facebook et d'autres supports électroniques qui, aujourd'hui, colportent plutôt des rumeurs et désinforment : on y trouve tout et n'importe quoi ! De la même manière, j'ignore pour qui roulent les journalistes professionnels qui ont piégé, manipulé ou utilisé l'ancien ministre de l'intérieur mais ils doivent bien travailler pour des personnes dont les arrière-pensées sont évidentes.

Il convient donc que ces nouveaux instruments soient utilisés à bon escient, au profit de la démocratie et non de la zizanie et du chaos.

L'influence des islamistes, quant à elle, est relative. Il ne faut pas en avoir peur car l'islamisme radical appartient au passé, hors les quelques groupes terroristes ou salafistes, l'AQMI ou les reliquats d'Al Qaida qui n'ont aucun projet politique et dont les attentats ne visent qu'à faire parler d'eux, les enlèvements dont ils se rendent coupables ne tendant par ailleurs qu'à extorquer des rançons. Ennahda, en revanche, est un parti politique bien structuré et organisé qui s'est, certes, parfois montré violent dans les années 1980, mais qui, aujourd'hui, d'après ce que disent ses responsables – tiennent-ils un double langage ? l'avenir le dira –, est recommandable, favorable à la démocratie et s'inspire du modèle turc. Leur leader, Rached Ghannouchi, s'est d'ailleurs rendu à Ankara pour rencontrer M. Erdogan, dont il a affirmé vouloir suivre l'exemple. Pourquoi pas ?

Un gouvernement de coalition avec des islamistes espérons-le modérés et respectant la démocratie est possible. La situation ne sera pas comparable avec celle de l'Algérie dans les années 1989 et 1990, où le Front islamique du salut (FIS) d'Ali Belhadj voulait utiliser la démocratie afin d'arriver au pouvoir, et la supprimer une fois son objectif atteint.

J'espère, enfin, que l'armée qui n'a pas obéi à Ben Ali avant le 14 janvier et qui n'a pas tiré sur le peuple ne sera pas tentée par le pouvoir en faisant un coup d'État ou en rétablissant l'ordre brutalement. Elle devra laisser les politiques se débrouiller comme en ce moment même, alors que se déroulent des manifestations, et où elle veille à protéger la République et non à mâter les populations. Je gage qu'elle veillera à maintenir sa mission républicaine.

La Tunisie, en effet, a été isolée car, comme je l'ai dit, si nous avions des intérêts communs, il n'en était pas de même des valeurs. Aujourd'hui, mon pays adhère à ces valeurs universelles que sont la démocratie, les libertés d'expression, de réunion, de la presse. Nous voulons faire partie de ce club des démocraties anciennes ou récentes – la Tchéquie, la Pologne ou la Hongrie ne sont démocratiques que depuis une vingtaine d'années, ne l'oublions pas, quand l'Indonésie qui, à l'instar de la Turquie, compte parmi les pays membres du G9, n'est quant à elle démocratique que depuis moins de dix ans. Ces deux derniers pays témoignent qu'islam et la démocratie sont compatibles, et j'espère qu'il en ira de même en Tunisie.

Les communes ont été dissoutes et ce sont des notables locaux ou villageois connus pour leur sagesse qui ont été choisis pour gérer les affaires courantes en attendant les élections qui auront lieu dans les prochains mois.

Le ministre du tourisme de mon pays a assisté à plusieurs salons du tourisme et m'a confié que les voyagistes étrangers profitent de la situation et se livrent presque à du chantage auprès des hôteliers tunisiens : « Si nous n'obtenons pas ceci ou cela, nous ne viendrons pas. » Si chacun recherche son profit, qu'au moins celui-ci soit raisonnable ! Il n'est pas possible de revenir à la loi d'airain du XIXe siècle lorsque les ouvriers étaient saignés à blanc : « Ou tu travailles seize heures par jour pour 10 sous ou quelqu'un te remplacera ! » Une politique de sensibilisation auprès des élus français mais, également, d'autres pays, de la presse, des faiseurs d'opinion, devrait permettre d'attirer l'attention des touristes de manière qu'eux-mêmes fassent pression auprès des voyagistes pour soutenir l'expérience que nous menons. Des touristes canadiens ont ainsi refusé de se rendre dans les hôtels de Hammamet ou de Sousse pour aller à la rencontre des familles de Sidi Bouzid et de Kasserine afin de vivre au plus près des habitants. Des jeunes de bonne volonté sont prêts à les rejoindre.

Expliquer le printemps arabe, monsieur Guibal, nécessiterait une séance de plusieurs heures tant la philosophie de l'histoire est une discipline passionnante. Formé à l'université de Strasbourg, j'aurais tendance à mobiliser Zénon, Socrate, Hegel, Nietzsche, Arendt, Heidegger, mais nous n'avons pas le temps !

Quoi qu'il en soit, l'éclosion de ce printemps impliquait un certain nombre de conditions qui étaient présentes à l'état latent. La révolution tunisienne n'a pas surgi ex nihilo mais il fallait une étincelle pour qu'elle s'enclenche. En 1989, c'est la chute du Mur de Berlin qui a permis la révolution de velours en Tchécoslovaquie ou la victoire de Solidarność en Pologne. En Tunisie, il a fallu attendre que tombe le mur de la peur. Alors, sans peur, des jeunes ont désigné leur poitrine aux fusils parce que leur dignité avait été bafouée. Les révolutionnaires, en effet, ne voulaient pas seulement du pain : ils avaient faim de dignité. Les autres peuples, alors, ont pu se dire : « Pourquoi pas nous ? » J'ajoute que les armées égyptienne et tunisienne ont en l'occurrence joué un rôle extraordinaire en se rangeant du côté du peuple au service duquel elles se sont mises, ce qui, malheureusement, n'est pas le cas dans d'autres pays, dont j'espère malgré tout que la situation s'améliorera !

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