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Intervention de Mouldi Kefi

Réunion du 10 mai 2011 à 10h00
Commission des affaires étrangères

Mouldi Kefi, ministre des affaires étrangères de la République de Tunisie :

Un peuple, monsieur Janquin, doit d'abord compter sur lui-même. La première mesure prise par le gouvernement tunisien a été la mise en place immédiate d'un programme de sauvegarde de l'économie. C'est dans ces conditions que notre budget, je vous l'ai dit, a été révisé notamment afin de réallouer les investissements vers les zones défavorisées. Mais parce qu'il n'est pas possible d'applaudir avec une seule main, dans ce moment crucial de la révolution, nous avons fait appel à nos amis et à nos partenaires. Ainsi avons-nous pu apprécier les manifestations de bonne volonté ainsi que les gestes d'amitié, les promesses qui ont été faites et les décisions qui ont été prises, dont, notamment, celles de la France à l'occasion de la venue de M. Juppé, lequel a annoncé le déblocage d'une somme de 350 millions. Nous espérons qu'elle pourra être utilisée le plus rapidement possible, sur les deux ou trois prochaines années. MM. Berlusconi et Frattini ont également annoncé un investissement comparable, tout comme les États-Unis et l'Union européenne nous ont aussi promis une aide substantielle – les commissaires Füle et Malmström ont évoqué une somme entre 120 et 140 millions. Encore faut-il que cet argent soit disponible le plut tôt possible afin que nous puissions créer des emplois et désenclaver certaines régions.

En ce qui concerne le G8, nous avons préparé un petit mémorandum mentionnant l'ensemble des requêtes de la Tunisie pour les cinq prochaines années. Pour reprendre la distinction marxiste, la superstructure démocratique est belle et bonne, mais l'infrastructure doit être également solide : la démocratie et la liberté ne seront effectives que si l'économie fonctionne. Nous formulerons donc des demandes précises au cours de cette réunion et nous espérons que les grandes puissances répondront à notre appel.

Notre pays a connu un calme relatif après la partie de ping-pong entre le Gouvernement et la Haute instance à propos de l'exclusion des membres de l'ancien parti unique, le RCD. Un ex-ministre de l'intérieur, ignorant de son devoir de réserve, a alors été piégé ou manipulé – à moins qu'il n'ait été convaincu de la véracité de ses propos – et a fait sauter une bombe médiatique en se livrant à de la désinformation : « Il me semble que… Peut-être… » Supputations, conjectures, ragots accusant le général Rachid Ammar, chef d'état-major interarmées, ou le Premier ministre de s'être rendus en Algérie pour préparer un coup d'État militaire au cas où le parti Ennahda arriverait au pouvoir se sont alors répandus comme autant de balivernes sans fondement. Certains n'attendent que ces occasions-là pour descendre dans la rue et demander des éclaircissements au Gouvernement. Parmi eux, des casseurs et des pilleurs ont profité de ce climat d'insécurité pour s'attaquer aux marchés et aux grandes surfaces – je rappelle que le magasin Géant, du groupe Carrefour, est toujours sous la protection de l'armée. Au cours de la manifestation sur l'avenue Bourguiba, quelques journalistes étaient présents, mais certains d'entre eux, et ils l'ont d'ailleurs reconnu, avaient leur badge dans leur poche et ne pouvaient être identifiés comme tel. Les policiers ont également poursuivi quelqu'un à l'intérieur de l'immeuble du quotidien La Presse de Tunisie parce qu'ils avaient pensé, à tort, qu'il avait jeté une brique sur la tête d'un de leurs collègues.

Nous sommes en train d'apprendre la démocratie, mais dans tous les pays du monde les journalistes portent des signes extérieurs qui les distinguent quand les journalistes tunisiens, eux, ne disposent pas de gilet sur lequel le mot « presse » soit inscrit ! À la suite de ces malheureux incidents, le ministère de l'intérieur a donc décidé qu'il en irait autrement et que les journalistes devraient être désormais immédiatement identifiables.

En outre, il est vrai que certains agents des forces de l'ordre n'ont pas changé de mentalité : pour eux, tabasser un journaliste fait, si j'ose dire, partie de leur formation professionnelle. Heureusement, ils ont été identifiés et ils sont en train d'être jugés, le ministre de l'intérieur ayant lui-même présenté aux journalistes et à l'opinion publique ses plus plates excuses en assurant qu'il oeuvrerait à faire changer les mentalités parmi les forces de l'ordre : un journaliste, lorsqu'il rapporte la vérité, fait son travail – et, aujourd'hui, personne n'a peur de la vérité – pour lequel il doit être protégé et non passé à tabac. Un policier, quant à lui, doit protéger l'ordre public. Tout cela constitue un long apprentissage et il faut donner du temps au temps. Inch Allah !

Nous avons applaudi à la proposition de création de l'UPM par le Président Sarkozy. Après le départ de Moubarak et la démission du secrétaire général jordanien, les événements actuels doivent nous inciter à réfléchir à un nouveau départ pour cette structure à partir de nouvelles bases tenant compte de l'émergence des démocraties tunisienne et égyptienne. Nous soutenons ce projet car l'UPM joue un rôle important à travers ses actions, qu'elle soient centralisées ou décentralisées, et nous souhaitons que ce partenariat régional gagnant-gagnant puisse aboutir.

La Tunisie a toujours soutenu la création d'un État palestinien libre et indépendant – après tout, l'existence du Kosovo ou de Vanuatu a bien été reconnue – aux côtés de l'État d'Israël car cela constituerait un facteur de stabilité dans la région. Une fois ce problème résolu, les peuples de cette contrée envisageront ensemble leur avenir. Je suis sûr qu'Israéliens et Palestiniens sont très proches l'un de l'autre et qu'ils parviendront à travailler la main dans la main pour leur bien commun.

Nous suivons les événements en Libye depuis le début, mais ils ne relèvent pas tant, pour nous, de la politique étrangère que de la politique intérieure tant les liens entre nos deux peuples sont étroits, y compris d'ailleurs sur le plan dialectal. Nous avons donc ouvert notre frontière afin d'accueillir l'ensemble des réfugiés, qu'ils soient libyens ou non – ils sont plus de 300 000 aujourd'hui dont presque la moitié ont quitté notre territoire après avoir transité quelques jours ou quelques semaines avec l'aide de nombreux pays, dont la France, mais aussi du Haut commissariat aux réfugiés et de l'Organisation internationale pour les migrations. Ce sont 50 000 Égyptiens et 30 000 Bangladais qui, parmi beaucoup d'autres, ont ainsi pu revenir chez eux. Le problème le plus important, aujourd'hui, est celui des familles libyennes qui fuient les combats. Nous comptons sur notre territoire 130 000 Libyens qui ne peuvent être renvoyés chez eux. C'est en l'occurrence le peuple tunisien seul, sans aide extérieure, qui s'efforce de les prendre en charge. Nous espérons que cette tragédie se terminera le plus tôt possible afin que ces personnes puissent revenir chez elles.

Le régime corrompu de Ben Ali a saigné à blanc l'économie et le peuple tunisiens. Selon les experts, nous avons réalisé une croissance de 5 % qui aurait pu être supérieure de deux points sans les dilapidations et la corruption ; et, avec 7 %, le chômage aurait disparu. Cette famille a fait au peuple tunisien un mal incommensurable. Grâce à l'appui de nombreux pays et organisations internationales, y compris TRACFIN, ses avoirs ont été gelés. Ce n'est pas toutefois à la diplomatie tunisienne de récupérer cet argent, mais aux juges, au ministère de la justice. Cependant, ces derniers ne pourront présenter des dossiers bien ficelés qu'après que toutes les preuves auront été réunies : il n'est pas question de revenir aux anciennes pratiques consistant à accuser n'importe qui de n'importe quoi ! Aujourd'hui, la justice indépendante tient à ce que la transparence règne. Quand les preuves nécessaires et suffisantes auront été rassemblées, nous présenterons les dossiers à une sorte de commission rogatoire qui comportera des juges et des avocats. J'espère, bien entendu, que les sommes spoliées pourront être récupérées le plus rapidement possible.

J'insiste : les manifestations en cours n'ont aucun caractère politique. Des jeunes, y compris âgés de dix ou onze ans, profitent du climat actuel pour descendre dans la rue. Ou il s'agit d'écervelés qui ne savent pas ce qu'ils font, ou ils sont manipulés et payés. Derrière eux se cachent en fait des pilleurs et de nombreux repris de justice qui parviennent à semer le trouble un peu partout dans le pays. Les forces de l'ordre, avec les moyens dont elles disposent, essaient quant à elles de ramener le calme.

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