C'est pour moi un plaisir et un honneur de m'adresser aujourd'hui, quelques mois seulement après la révolution tunisienne du 14 janvier 2011, aux représentants élus du peuple français. J'espère que, dans quelque temps, la Tunisie disposera également de ses propres représentants démocratiquement élus et que nous pourrons vous recevoir, mesdames et messieurs, à l'Assemblée et au Sénat, vos collègues tunisiens pouvant quant à eux venir à votre rencontre à Paris pour discuter avec vous.
Je vous remercie, monsieur le président, pour les propos aimables de solidarité et de soutien que vous avez prononcés à l'égard de mon pays, lequel vit une nouvelle étape, inédite, de son histoire. Je me félicite des nombreux témoignages d'amitié de la classe politique française. Si M. Alain Juppé était à Tunis voilà trois semaines, où j'ai eu l'honneur et le plaisir de le rencontrer et de discuter avec lui des relations tuniso-françaises, nous avons aussi reçu de nombreux membres du Gouvernement français. Votre pays est celui qui, parmi tous les pays amis, a envoyé le plus grand nombre de hauts dignitaires et de responsables pendant ces trois derniers mois. La France est en effet notre premier partenaire et notre plus grand ami, non seulement en Europe, mais dans le monde. J'ajoute que la Tunisie a aussi reçu de hauts responsables du monde entier, de l'Australie aux États-Unis en passant par la Chine et le Japon, car notre petit pays où la révolution a eu lieu suscite aujourd'hui une curiosité sympathique : tout le monde souhaite voir ce qui s'y est passé !
Je vous remercie également, monsieur le président, ainsi que M. Cinieri, pour la visite que vous avez effectuée et qui a été perçue par le peuple tunisien comme un signe d'encouragement et d'amitié.
Le 14 janvier 2011, le peuple tunisien a donc décidé de tourner la page de vingt-trois ans de privations et de mensonges sous la férule d'un dictateur absolu. Le chômage et l'absence de libertés ont finalement porté le coup de grâce à un régime corrompu, haï, voué aux gémonies. Cette révolution de la liberté et de la dignité, unique en son genre, a été portée par le peuple tunisien, les jeunes et les vieux, les hommes et les femmes, qui ont décidé de secouer leur joug. Nous sommes convaincus qu'elle nous rendra notre place au sein de la communauté internationale parmi les pays fiers de leur patrimoine civilisationnel, ouverts sur le monde et défenseurs des valeurs universelles de démocratie, de justice, des droits de l'homme, et de la liberté de culte.
Je vous l'avais dit à Tunis, monsieur le président, et je le répète aujourd'hui : avant le 14 janvier, nous avions des intérêts communs ; aujourd'hui, nous sommes fiers de pouvoir partager les valeurs communes nées de la Révolution française de 1789.
Révolution n'est pas pour autant synonyme de démocratie, comme en témoigne d'ailleurs l'histoire de votre pays. Le processus de transition de la dictature vers une démocratie ouverte et transparente est un long chemin semé d'embûches – vous venez d'en mentionner certaines –, qui, fort heureusement, ne sont ni structurelles ni insurmontables. La Tunisie commence ainsi une phase nouvelle de son histoire marquée par les aspirations légitimes de son peuple à instaurer un État de droit démocratique respectant l'universalité des libertés fondamentales et des droits de l'homme et assurant un partage équitable des richesses ainsi que des fruits de la croissance.
Dans cet esprit, le Gouvernement transitoire s'est donné deux objectifs principaux.
Il s'agit, tout d'abord, de préparer l'avenir politique du pays. Le peuple a choisi la voie de l'élection d'une Assemblée constituante le 24 juillet prochain. Celle-ci sera chargée de réfléchir sur le type de régime à instaurer, de rédiger une nouvelle constitution et de préparer les futures échéances présidentielles et législatives. La Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution a quant à elle élaboré et présenté au Gouvernement un nouveau code électoral qui ouvrira la voie aux prochaines élections, auxquelles près de soixante-dix partis politiques participeront. Les Tunisiens sont fermement et solidairement engagés pour la réussite de ce processus irréversible et montrent par la maturité dont ils font preuve qu'il sont à la hauteur de leurs ambitions démocratiques. Il est certain que la Tunisie dispose des principaux ingrédients pour réussir, et éviter les écueils de l'extrémisme : les droits des femmes, qui datent de 1956, un niveau d'alphabétisation supérieur à 90 % de la population, un esprit de tolérance et d'ouverture.
La réussite du projet démocratique en Tunisie – c'est là le deuxième objectif fondamental du Gouvernement provisoire – appelé à avoir un impact au-delà de ses frontières, repose également sur une ambition de développement et sur une croissance économique durable et forte, créatrice de richesses et d'emplois, fondée sur la transparence et une bonne gouvernance. Il s'agit ainsi de redonner à tout un peuple l'espoir de la réussite, surtout dans les régions défavorisées, là où la révolution a commencé. La prospérité économique confortera ainsi le processus politique démocratique et constituera un bouclier face aux courants extrémistes et anti-démocratiques. Réinstaurer la confiance dans les secteurs économiques et financiers, améliorer l'environnement des affaires et relancer les investissements ainsi que l'initiative privée sont autant d'objectifs essentiels. Les régions intérieures, où le taux de pauvreté et de chômage dépasse la moyenne nationale, demandent un surcroît d'efforts eu égard à leurs besoins spécifiques en termes d'emploi et d'amélioration des conditions de vie.
Sur le plan social, le chômage constitue l'un des problèmes urgents auquel nous devons faire face. Le nombre de chômeurs est estimé à 700 000, dont 170 000 détiennent un diplôme de l'enseignement supérieur. Ces chiffres sont en hausse constante en raison des revendications sociales qui se sont produites après la révolution, de la baisse attendue de la croissance et de l'investissement, de la fermeture de certaines unités de production, mais aussi du retour forcé des Tunisiens travaillant en Libye. Afin de surmonter ces difficultés et de limiter leur portée, le Gouvernement de transition a adopté un programme de relance économique et sociale pour accélérer la croissance et stimuler les investissements, créer plus d'emplois et sauvegarder la cohésion sociale, facteur déterminant pour la réussite et la pérennité du processus de transition démocratique.
Les relations entre la France et la Tunisie ne datent pas d'hier. Forgées par des décennies et même des siècles, elles demeureront toujours amicales pour faire face à toutes les tempêtes ou à toutes les vaguelettes qui, parfois, apparaissent, mais qui sont heureusement conjoncturelles et s'évanouissent rapidement grâce à nos efforts communs. La France a pris immédiatement la mesure des événements qui se sont produits dans mon pays à la suite de la révolution du 14 janvier, même s'il a fallu attendre un peu pour que le premier membre de votre Gouvernement – en l'occurrence Mme Christine Lagarde – se rende chez nous. L'ont alors suivie de nombreux ministres, comme M. Wauquiez, M. Juppé, M. Mitterrand, Mme Kosciusko-Morizet, M. Lellouche, et d'autres encore, ainsi que des parlementaires comme vous, messieurs Poniatowski et Cinieri, accompagnés d'une délégation du groupe d'amitié France-Tunisie.
Nous avons également reçu de nombreux engagements et promesses d'appuis en cette période si décisive de notre histoire. Nous souhaiterions les voir se concrétiser très rapidement compte tenu du contexte prévalant dans notre pays et sa région. Des gestes d'amitié seront toujours les bienvenus. Je pense également au rôle primordial que peuvent jouer la coopération décentralisée et les liens établis entre les régions, départements et villes de France avec leurs homologues tunisiens afin de soutenir la transition démocratique, notamment dans les régions et les zones les plus défavorisées.
Aujourd'hui, nous sommes en train de jouer en Tunisie une « symphonie inachevée » qui, forte de votre soutien, se transformera en une « ode à la joie ».
Ce qui se passe chez nous, j'y insiste, dépasse le cadre de notre petit pays. Lorsque l'on voit le printemps tunisien gagner d'autres pays de la région et bien au-delà, cette expérience qui a commencé le 14 janvier se doit d'être un succès, non seulement pour le peuple tunisien, mais aussi pour tous les amis de la Tunisie. Faillir à notre mission serait un coup dur pour la région et pour le reste du monde. L'Histoire ne nous pardonnerait pas l'échec de cette expérience démocratique qui autoriserait toutes les dictatures à avoir le dernier mot.
Je ne doute pas que tous les peuples épris de liberté et les élus de votre honorable Assemblée se tiendront aux côtés de la Tunisie et nous aideront à traverser cette période critique.