Cette question ne peut pas et ne doit pas être éludée. Il nous revient de la poser clairement et courageusement, et de réunir les éléments nous permettant de prendre des décisions éclairées. C'est pourquoi j'ai soutenu dès l'origine la proposition de notre collègue Jean-Marc Nesme de créer une commission d'enquête parlementaire spécifique sur les conflits d'intérêts potentiels en matière de biotechnologies. Certains des intervenants auditionnés par la commission spéciale nous y ont d'ailleurs invités, comme le professeur Jacques Testard, soulignant fortement devant nous le risque de « confusion entre des intérêts médico-scientifiques et des intérêts commerciaux ». Les pressions exercées par l'industrie pharmaceutique juste avant ce débat nous y invitent également. Elles cachent de moins en moins la couleur, nous enjoignant de ratifier purement et simplement l'autorisation introduite par le Sénat, car celle-ci « autorisera les chercheurs à travailler et les industriels à investir massivement sur le long terme ». Le président du syndicat des entreprises du médicament ne craint pas de conclure ainsi les lettres qu'ils vient d'adresser personnellement aux ministres de l'industrie et de la recherche ! J'espère que cette commission d'enquête, déjà demandée par plus de soixante députés, pourra être créée.
Quant aux chercheurs, ils ne constituent pas un bloc. Nombre d'entre eux sont extrêmement désireux que soit évitée toute assimilation entre leurs travaux de recherche et une transgression éthique. Car si, en France, certaines équipes ont, avec leurs commanditaires, tout misé sur l'expérimentation sur l'embryon humain, d'autres, au lieu de s'engager dans cette impasse, se sont tournés vers les cellules adultes reprogrammées en cellules souches, qui constituent l'un des champs les plus prometteurs de la biologie cellulaire actuelle. Ces chercheurs ne voient aucune forme d'obscurantisme dans le maintien de principe d'une interdiction de recherche sur l'embryon humain.
Il serait enfin paradoxal qu'une fois transposée la directive relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques notre législation assure à l'embryon animal une protection supérieure à celle dont bénéficie l'embryon humain. Si le texte qui nous est proposé était adopté, on se trouverait dans une situation où l'embryon humain est devenu un matériau de laboratoire banalisé, tandis que l'utilisation de méthodes alternatives à l'expérimentation sur l'embryon animal deviendrait obligatoire. La notion de bien-être animal, qui inspire la directive, l'emporterait alors sur celle de respect de l'être humain dès le commencement de sa vie, pourtant inscrite dans notre code civil. Ce serait là une inversion de valeurs sans précédent.
Je vous invite donc, mes chers collègues, à corriger les très graves dérives que comporte le texte qui nous est soumis et à n'accepter aucun compromis avec la mentalité eugéniste et la logique utilitariste qui inspire certaines des dispositions majeures qui y ont été introduites.