Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la perspective dans laquelle s'inscrit une loi de bioéthique est d'avoir à se prononcer sur la pertinence éthique des possibilités nouvelles qu'ouvre la science, et non sur leurs mérites techniques. Il ne s'agit donc pas d'un débat d'experts. Il s'agit, pour le législateur que nous sommes, de mesurer les enjeux de civilisation qu'impliquent les différents procédés que la recherche rend possibles. Il s'agit de référer ces procédés aux valeurs qui sous-tendent notre société, à commencer par la dignité de tout être humain. Il s'agit de porter sur ces procédés un jugement éthique et, à partir de ce jugement, de nous prononcer sur ce que la loi doit permettre et ne pas permettre.
Or, nous nous trouvons aujourd'hui devant un projet de loi qui, à la suite des bouleversements introduits par le Sénat et la commission spéciale, est beaucoup plus transgressif encore que celui qui était issu de la première lecture par notre assemblée.
Il nous appartient donc de rééquilibrer ce texte, en pesant scrupuleusement les risques qu'un certain nombre de ses dispositions font courir à notre société.
J'en mentionnerai deux. La première dérive est la systématisation du diagnostic prénatal. Le texte qui nous est soumis systématise le DPN, ne l'assortit d'aucune conditionnalité et suppose que tout peut être dépisté. Si le texte est laissé en l'état, alors le DPN est appelé à se transformer en un véritable instrument de chasse au handicap. Notre société mènerait alors concomitamment deux politiques totalement contradictoires : une politique d'accueil envers les personnes handicapées pour qu'elles aient toute leur place dans la cité et une politique visant à ce qu'il ne puisse plus naître une seule personne handicapée. Cela porte un nom redoutable : cela s'appelle l'eugénisme.
La seconde dérive majeure est le basculement affectant la recherche sur l'embryon humain, domaine dans lequel le texte propose de passer d'un régime général d'interdiction à un régime d'autorisation. La levée du principe d'interdiction ouvre la voie à la banalisation complète de l'embryon humain, considéré désormais comme un matériau de laboratoire comme un autre, ne méritant plus aucune marque de respect. Le maintien du principe d'interdiction a une valeur symbolique, et il faut y revenir. D'un point de vue scientifique, la pression exercée sur nous et sur le Gouvernement en faveur d'une libéralisation complète de la recherche sur l'embryon humain est paradoxale, car les perspectives thérapeutiques sont ailleurs. Les méthodes alternatives enregistrent presque chaque jour des avancées prometteuses, qui ne sont pas des mirages médiatiques. Qu'il suffise de citer ici les découvertes toutes récentes effectuées à Boston sur les cellules souches adultes de poumon humain, ou à Paris et à Baltimore sur les cellules de moelle osseuse de mammifère adulte.
On ne peut donc qu'être fortement intrigué par l'acharnement mis à poursuivre à toute force une recherche sans réelles perspectives thérapeutiques. On ne peut manquer de s'interroger sur la question des intérêts financiers qui sont en jeu derrière cet acharnement, pour obtenir une libéralisation de la recherche sur l'embryon humain, comme ils sont en jeu derrière la volonté d'instaurer un dépistage prénatal systématique et généralisé.