Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, en matière de recherche sur les cellules souches embryonnaires, il est difficile de contenter, d'un côté, ceux qui, par idéologie, veulent interdire toute recherche sur les cellules embryonnaires et, de l'autre, les chercheurs convaincus qu'il faut autoriser des travaux de recherche pour mieux comprendre les premiers instants de la vie.
Comment, à partir d'une première cellule indifférenciée et du même patrimoine génétique obtient-on, quelques divisions cellulaires plus tard, des cellules spécialisées ? Comment des cellules nerveuses, osseuses, hépatiques, épithéliales ou musculaires peuvent-elles être issues d'une même cellule indifférenciée ? La réponse à ces questions ne peut être trouvée que si nous travaillons sur les premiers instants de la vie. Et c'est précisément ce travail qui fera sans doute progresser la médecine.
Pourtant, alors que la recherche sur la personne humaine est aujourd'hui autorisée – même les essais thérapeutiques encadrés sont possibles – ainsi que les prélèvements sur les personnes décédées, il est très étonnant que l'on veuille interdire la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Je montrerai que cette position est due à une incompréhension.
Personnellement, je suis plus d'autant plus convaincu que les propositions d'autoriser la recherche sur les cellules souches embryonnaires qui vous ont été faites n'enfreignent en rien le principe de la dignité de la personne humaine que vous autorisez ces recherches à titre dérogatoire.
La connaissance et la recherche ont toujours constitué le moteur du progrès. L'accès à la santé, à l'énergie et à l'alimentation a fait progresser l'humanité, mais la seule véritable question qui se pose est celle du partage du progrès sur la planète.
Monsieur le ministre de la santé disait, en introduisant notre discussion, que le débat devait faire avancer les idées. Je veux évoquer deux idées qui me paraissent fausses. Elles le sont, en tout cas, telles qu'elles sont exprimées dans les documents publiés par ceux qui, aujourd'hui, ont réussi à convaincre la majorité qu'il fallait maintenir l'interdiction de la recherche sur les cellules souches embryonnaires.
Première idée fausse : contrairement à ce qui est souvent relaté de façon infidèle, personne ne propose d'autoriser des recherches sur l'embryon et il ne s'agit pas de créer un embryon pour faire de la recherche. Les recherches portent, en fait, sur des cellules prélevées sur des embryons surnuméraires qui, en dehors de tout projet parental, sont destinés à être détruits.
Ces éléments réduisent à néant certains des arguments qui ont pu être exprimés dans cet hémicycle.
Aujourd'hui la loi permet de détruire ces embryons après cinq ans de conservation ; comment imaginer qu'elle ne permette pas d'utiliser ces cellules souches pour les progrès de la médecine ? En quoi y a-t-il manquement à la dignité humaine dans ce travail sur les premiers instants de la vie ?
Pour certains députés, il ne faut pas se contenter de ne pas prélever de nouvelles cellules souches embryonnaires en France et de ne pas en importer de l'étranger : ils sont allés jusqu'à déposer des amendements, repoussés par la commission spéciale, demandant l'arrêt de toute recherche sur les lignées de cellules souches embryonnaires existantes.
Pourtant, je le répète, une cellule souche embryonnaire n'est ni un enfant, ni un embryon, ni un zygote, ni un oeuf : en aucun cas elle ne peut être considérée comme une personne humaine. Malheureusement, cette dernière idée s'est instillée dans le débat. Un certain nombre d'associations la reprennent, même si c'est de manière subliminale. Permettez-moi de vous lire des extraits de ce qu'elles écrivent dans les luxueux documents qu'elles nous font parvenir. « La recherche sur l'embryon entraîne sa destruction », prétendent-elles. C'est faux. La recherche sur l'embryon n'entraîne pas sa destruction. À preuve, dans le cadre du diagnostic préimplantatoire, on peut prélever une cellule lorsque l'embryon est au stade où il en compte huit, sans empêcher le développement de celui-ci. Je poursuis ma lecture : « L'embryon, être humain, ne peut-il être qu'un projet pour d'autres ? […] Le stockage d'embryons surnuméraires contourne l'obstacle de l'interdiction de la production d'embryons pour la recherche. […] Est-il convenable de congeler un être humain ? » Je ne peux qu'être en désaccord avec de telles assertions, que certains membres de la majorité ne sont pas loin de partager.
La deuxième idée fausse consiste à faire croire qu'il peut exister des alternatives à la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Ainsi, on peut lire dans la même brochure : « La conservation du sang de cordon ombilical nous semble préférable. La plupart des chercheurs s'accordent aujourd'hui à estimer que la recherche sur l'embryon est inutile sur le plan thérapeutique. » Certains prétendent en effet que les cellules souches du cordon ou les cellules souches adultes pourraient être redifférenciées. Or c'est précisément la recherche qui permettra de comprendre si, en dédifférenciant une cellule souche musculaire afin de la différencier à nouveau, on peut effectivement revenir au point zéro de sa programmation. Pour l'instant, on ne sait pas si cette redifférenciation est possible. En n'autorisant pas ces recherches, on empêche la compréhension de ces phénomènes et l'on s'interdit, comme le disait René Frydman, de développer l'innovation thérapeutique.
Troisièmement, il est évident qu'une telle interdiction brouille notre image au plan international. Est-il en effet logique d'importer des cellules souches, comme le souhaitent certains, dès lors que nous avons des embryons surnuméraires appelés à être détruits ?
Non, madame la secrétaire d'État, il n'y a pas de recul de la civilisation, comme je l'ai lu aujourd'hui. Le recul, ce serait de renoncer à comprendre les premiers instants de la vie. L'histoire de l'humanité est fondée sur la quête de connaissance. Certes, la loi doit fixer des garde-fous ; c'est ce que nous avons fait en 2004, lorsque nous avons refusé le clonage reproductif, qui a été qualifié de crime contre l'espèce humaine. Mais « interdire avec autorisation » – le président de la commission n'a pas voulu le dire, tout à l'heure –, c'est tout de même faire preuve d'une certaine forme d'hypocrisie…