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Intervention de Noël Mamère

Réunion du 24 mai 2011 à 15h00
Bioéthique — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNoël Mamère :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le ministre, chers collègues, notre assemblée doit se prononcer sur l'évolution du cadre législatif des questions bioéthiques.

En 1994, la France a choisi de confier la définition des règles collectives en matière de bioéthique à la représentation nationale, l'autorisant même à adopter une clause de révision du dispositif législatif. Cette décision signifiait que ces règles n'étaient pas intangibles, qu'elles n'étaient pas réductibles à quelque tabou, moral ou politique, que ce soit. Notre société a, au contraire, estimé qu'elles pouvaient à tout moment évoluer, en réponse aux aspirations sociales, et qu'il incombait au Parlement d'en être l'arbitre et le garant ; telle est donc sa fonction.

Depuis cette date, grâce notamment aux révisions des années 2000, de nombreux progrès ont été accomplis. La société a évolué ; de nouvelles aspirations se sont manifestées.

La chronologie des lois liées à la bioéthique en France comporte deux dates importantes : 1994 et 2004. Communément regroupées sous le qualificatif de « bioéthiques », ces lois recouvrent à la fois l'affirmation des principes généraux de protection de la personne humaine, introduits notamment dans le code civil ; les règles d'organisation de secteurs d'activités médicales en développement, telles l'assistance médicale à la procréation ou les greffes, ainsi que des dispositions relevant du domaine de la santé publique ou concourant à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches médicales.

Après en avoir débattu, le législateur a estimé qu'il fallait réexaminer certaines des dispositions adoptées en 1994 afin de tenir compte de l'évolution rapide des techniques et des enseignements que l'on pourrait tirer de leurs premières années d'application. Ainsi, l'article 21 de la loi du 29 juillet 1994, qui contient notamment les dispositions relatives à l'assistance médicale à la procréation et aux greffes, a prévu que cette loi ferait l'objet, après évaluation de son application par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, d'un nouvel examen dans un délai maximal de cinq ans après son entrée en vigueur.

En 1994, trois lois ont été promulguées : celle du 1er juillet relative au traitement des données nominatives ayant pour fin la recherche dans le domaine de la santé et modifiant la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ; les deux lois du 29 juillet relatives l'une au respect du corps humain, au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, l'autre à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal. C'est cette dernière loi qui a fait l'objet d'une révision en 2004.

Les principales dispositions de la loi de 2004 sont connues : interdiction du clonage reproductif ou thérapeutique ; principe d'interdiction de la recherche sur l'embryon et les cellules embryonnaires, sauf dérogation – ces recherches peuvent être autorisées pour une période limitée à cinq ans si « elles sont susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs » ; élargissement du cercle des personnes pouvant procéder à un don d'organe en vue d'une greffe ; brevetabilité d'« une invention constituant l'application technique d'une fonction d'un élément du corps humain » ; création de l'Agence de la biomédecine.

Dans le domaine juridique, il faut donc constater une codification du droit de plus en plus précise. Du point de vue démocratique, les modalités de la concertation et du débat public ont, elles aussi, progressé – mais pas assez à mon goût, pas assez non plus pour qui est attentif aux évolutions sociales et à l'exigence d'égalité qui est une constante de notre société.

Aujourd'hui, le Parlement doit trancher, puisque nous sommes appelés à revoir le dispositif législatif. Permettez-moi quelques remarques liminaires.

Nous sommes tous ici conscients du fait que les sujets débattus sont délicats et suscitent parfois les passions. Car l'assistance médicale à la procréation et son éventuelle ouverture aux couples homosexuels, la légalisation de la gestation pour autrui, la levée de l'anonymat du don de gamètes, l'autorisation de la recherche sur l'embryon et les cellules souches relèvent à la fois de la politique, au sens le plus classique et le plus noble du terme, et, sans doute plus que d'autres sujets, de notre conception la plus intime de la vie et de l'organisation sociale. De ce fait, les lignes de partage qu'ils suscitent ne recoupent pas toujours les frontières partisanes ; nous avons pu le constater au cours de nos débats.

Rappelons que, le 26 novembre 1974, la loi sur l'interruption volontaire de grossesse, dite loi Veil, fut adoptée dans une atmosphère d'une grande violence. Et force est de reconnaître que, trente ans après, le droit à l'avortement n'est toujours pas totalement acquis pour les femmes.

Sur ces questions, les progrès législatifs font rarement l'objet d'un consensus. Je le répète, les questions dont traite le projet de loi font débat. Or le Gouvernement donne l'impression d'avoir choisi le statu quo, donc une forme d'immobilisme, même sur les points à propos desquels le Sénat a ouvert des pistes et proposé les avancées que nous connaissons.

Le projet de loi présenté en conseil des ministres par Roselyne Bachelot, alors ministre de la santé, apportait des réponses gouvernementales très attendues, en raison des vives polémiques que les questions abordées suscitent sur la scène publique. Il s'agissait principalement du régime de recherche sur les embryons et les cellules embryonnaires, du choix entre le maintien ou la levée de l'anonymat sur les dons de gamètes ou d'embryon, des conditions d'accès à l'assistance médicale à la procréation ainsi que des techniques permises en la matière, c'est-à-dire, pour l'essentiel, de l'éventuelle admission de la gestation pour autrui.

En matière de recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires, le Gouvernement a fait le choix du principe d'interdiction, les recherches étant admises à titre d'exception. Le moratoire de cinq ans défini par la loi de 2004 n'est pas reconduit.

Si la proclamation de ce principe peut paraître rassurante au regard de nos valeurs fondamentales, elle semble illogique du point de vue juridique. En effet, de nombreux observateurs l'ont noté, elle réaffirme le maintien d'un principe vidé de toute sa substance par la portée de l'exception dont il est assorti. Or il est de l'intérêt des citoyens que la loi soit lisible.

Un régime d'autorisation précisément encadré tiendrait mieux compte de la réalité qu'un régime d'interdiction dont le domaine d'application n'est guère plus large que celui de l'exception. Mais, sur ce sujet comme sur les autres, le Gouvernement a choisi le statu quo. Après avoir ouvert le débat nécessaire au réexamen des lois bioéthiques, il cède aux composantes les plus conservatrices de sa majorité à l'approche des élections. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Réguler le champ des sciences de la vie en les confrontant à l'éthique et au principe de dignité de la personne humaine est une tâche complexe, mais aujourd'hui impérieuse. Aussi est-il légitime que nous réexaminions la législation applicable en la matière afin de chercher une nouvelle manière de concilier le développement des techniques biomédicales, la continuité des normes bioéthiques et l'état des évolutions sociales. Or le texte que le Gouvernement nous soumet en deuxième lecture ne parvient toujours pas à atteindre cet objectif.

Il s'agit davantage d'un texte d'ajustement, comme on l'a dit au Sénat, que d'un développement ou d'une réévaluation tenant compte des évolutions médicales et sociales. On ne peut que regretter cet immobilisme qui équivaut à de l'hypocrisie et témoigne d'un aveuglement à l'évolution de la société. Pourquoi ne pas avoir entendu les propositions parlementaires, notamment celles de nos collègues sénateurs ? C'est à se demander à quoi nous servons : tout semble se décider à l'écart de la représentation nationale. Nous éprouvons l'amer sentiment d'être réduits au rang de marionnettes, devenus acteurs d'un théâtre d'ombres. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

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