– L'alerte est le premier acte en cas d'accident. Les sirènes PPI sont mises en oeuvre par le préfet, voire par le directeur de la centrale nucléaire en cas d'événement à cinétique rapide. Elles ont une portée de 2 kilomètres théoriquement – moins, en fait, car le son est étouffé dans les bâtiments. Le réseau national d'alerte – les sirènes du mercredi – sera refondu d'ici 2017.
Moyen le plus moderne, le SAPPRE, système d'alerte des populations en phase réflexe, consiste à appeler par automate tous les numéros fixes dans un rayon de 2 kilomètres. En l'occurrence, à Gravelines, le périmètre a été étendu à toute l'agglomération. On sait qui a répondu et reçu l'alerte – uniquement ceux dont les coordonnées figurent dans l'annuaire universel. Le 18 janvier, 6 000 abonnés au téléphone ont été appelés en cinq minutes ; si personne ne décrochait, l'appel a été renouvelé, six fois. Finalement, environ 71% des appels ont abouti. Le système a été imaginé pour les événements à cinétique rapide, mais il est à envisager également en cinétique lente, car les deux types de crise comportent une phase réflexe – il faut le prévoir dans le plan particulier d'intervention de la centrale.
Il y a aussi les conventions passées avec les médias locaux ou nationaux, ici les radios France Bleue Nord et Delta FM. Le 18 janvier dernier, l'expérience a été un succès. La collaboration en amont est essentielle ; le message doit être ferme, mais pas anxiogène ; le cahier des charges simplifié prévoit une alerte diffusée toutes les 15 minutes, insérée intelligemment dans les émissions. Des véhicules avec haut-parleurs sillonnent aussi les zones concernées pour donner des consignes sur le comportement à tenir.
Après l'alerte, les mesures de protection de la population consistent essentiellement en l'évacuation et la mise à l'abri. La doctrine nationale est concrétisée dans les PPI, qui distinguent, dans la phase d'alerte, un scénario à cinétique rapide, avec mise à l'abri de la population dans un rayon de 2 kilomètres, et deux scénarios lents, dans lequel la population est évacuée dans les 5 kilomètres ; au-delà de 5 kilomètres, il s'agit non d'évacuation, mais de mise à l'abri. Le préfet peut adapter les mesures, décider par exemple l'évacuation d'une zone excédant 5 kilomètres.
Dans les périmètres où la mise à l'abri consiste en un confinement au domicile, il faut éteindre les systèmes de ventilation, boucher les ouvertures, écouter la radio. Le 18 janvier, la population s'est pliée à l'exercice au point que la presse a parlé de Gravelines comme d'une « ville morte ». Le travail de préparation mené avec le maire et la CLI a été relayé par le SAPPRE et les radios.
La mise à l'abri de la radioactivité ambiante ne règle pas définitivement la question de la protection de la population. Au fur et à mesure des rejets radiologiques, l'efficacité des mesures tend à diminuer. Du point de vue de la communication, il convient d'éviter que les recommandations soient perçues comme attentistes, éloignées des grandes manoeuvres d'évacuation spectaculaires. On considère qu'il n'est pas possible de recommander aux gens de se calfeutrer chez eux pendant plus de 48 heures, pour des raisons psychologiques.
Or l'évacuation, en milieu urbain, exige un positionnement préalable des forces de l'ordre, pour organiser la circulation sur les routes. A Gravelines, l'évacuation, à proximité de la mer, de la Belgique, excède le cadre départemental. Le préfet ne l'ordonne que si l'atmosphère n'est pas contaminée, d'où l'intérêt des mesures.
L'exercice du 13 mars 2007 ne comprenait pas une évacuation réelle, mais il a mis en évidence le fait que la population évacuait par elle-même, spontanément. La question est donc de savoir comment accompagner les flux. Le travail conjoint mené sous l'autorité du préfet a abouti à un dispositif réaliste. L'exercice de 2011 incluait l'évacuation réelle, soit 1 750 foyers et 1 000 écoliers.
Sont présents, dans les centres de regroupement, du personnel municipal et des secouristes. Le maire de Gravelines a voulu qu'un élu soit présent dans chaque centre de regroupement et qu'une traçabilité des personnes soit organisée, afin de pouvoir informer les proches via la cellule du département. Ce travail très lourd gagnerait à être automatisé, grâce à Sinus, système d'identification des victimes numérique standardisé. Des autocars ont emmené les personnes hors de la zone.
Les gens, contrairement à ce qui avait été escompté, ont peu participé à l'exercice, peut-être parce que celui-ci avait lieu en journée et dans une zone résidentielle où se trouvaient peu de personnes. Quelques centaines au maximum ont été évacuées. Mais il a été ainsi possible d'étudier la typologie des personnes qui dépendent des secours, personnes âgées, ou ne possédant pas de voiture. Un dispositif plus léger, s'adressant aux personnes dépendantes, a donc été jugé préférable et confié aux maires.
Le 18 janvier, 55 autocars avaient été affrétés. La direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) tient à jour une base de données des entreprises de transport et des entreprises de travaux publics avec des coordonnées pour les joindre jour et nuit. Leur participation est de plus en plus importante dans la gestion des crises : ainsi, pendant l'épisode neigeux, des autocars ont été mobilisés pour aller secourir les automobilistes bloqués par la neige.
Il y a toujours des refus d'évacuer. En l'occurrence, peut-être était-ce dû au fait qu'il s'agissait d'un exercice ? Mais il faut prévoir cet aspect. Pour les établissements scolaires, un plan particulier de mise en sûreté est prévu et l'on demande aux parents de ne pas venir chercher leurs enfants à l'école. On peut douter du respect de cette consigne… Sous la conduite du maître, les élèves sont conduits vers d'autres établissements scolaires. Les classes forment le public idéal pour les exercices d'évacuation, puisqu'il s'agit d'un public qu'on peut dire captif.
Les plans d'évacuation des maisons de retraite et maisons médicalisées sont établis en concertation avec l'Agence régionale de santé (ARS). En janvier dernier, deux personnes étaient intransportables. Il faut prévoir une présence médicale pour celles-là.
Quant aux activités industrielles non interruptibles, Gravelines compte essentiellement des entreprises sidérurgiques comme Rio Tinto Alcan. Il y a aussi Total. Ces deux entreprises sont du reste représentées au sein de la CLI, qui a mené des travaux innovants et conduit des actions d'information en mai 2008, septembre 2009 et décembre 2010 – nous avions alors distribué à une soixantaine de chefs d'entreprise les fiches prévues dans le PPI et établies par la Dreal. Ces documents comprennent des recommandations sur la prise en compte du risque nucléaire dans les plans d'organisation interne, les dispositions à prendre pour être certain de recevoir une alerte, la mise à l'abri du personnel, son évacuation, la distribution de comprimés d'iode. Un fonctionnement minimum des entreprises industrielles est prévu dans le plan particulier. Le sous-préfet de Dunkerque gèrera cela de manière fine.
Commandant Laurent Maillard, référent risques radiologiques, SDIS du Nord. – Notre mission, dans de telles crises, est de présenter un état radiologique des territoires. Cette aide à la décision dans l'action menée en direction de la population s'efforce de conforter ou corriger les évaluations fournies par l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), dans la phase de menace, la phase d'urgence et la phase post-accidentelle. La direction des opérations de secours s'appuie d'abord sur les données fournies par des balises fixes implantées en périphérie du centre comme à un, cinq et dix kilomètres autour de Gravelines. Des cellules mobiles du SDIS effectuent aussi des relevés, tout comme des détachements de la sécurité civile, les équipes mobiles de l'exploitant, de l'IRSN, du CEA, du groupe Intra-intervention robotique sur accident… Les mesures et les prélèvements sont tous effectués en des points prédéterminés, inscrits dans le PPI.
L'IRSN dispose d'un outil informatique (Criter) capable d'intégrer tous les résultats, quels que soient les moyens de mesure, quelle que soit l'origine des mesures. On peut ensuite, par photographie aérienne, suivre l'évolution : les balises qui apparaissent en jaune sur les clichés signalent une radioactivité anormale. On connaît alors le périmètre dans lequel se répandent les émissions. On peut de la même manière connaître l'heure de début – et de fin – des émissions radioactives. Le suivi des résultats intervient quasiment en temps réel, les données étant transmises aux centres opérationnels départementaux et nationaux.
Docteur Patrick Hertgen, médecin-chef adjoint du SDIS du Nord. – Dans la phase pré-hospitalière, les opérations de sauvetage ont lieu en milieu dangereux, contaminé ; les sauveteurs sont équipés en conséquence. Dés que possible, des soins médicaux sont administrés aux victimes, sur le lieu même de la contamination. Il n'y a pas seulement les radiations, mais aussi des blessures. L'identification et le suivi des victimes prises en charge est utile, pour assurer une « traçabilité ». Dans les points de regroupement des personnes contaminées, on procède à un tri médical. Il y a en effet les urgences absolues, nécessitant une intervention chirurgicale – les personnes sont alors évacuées avant décontamination, enveloppées dans deux feuilles de vinyle pour éviter la dispersion des particules radioactives, et emmenées vers le CHU de Lille ou un autre hôpital. Il y a ensuite les urgences relatives : les personnes passent par des chaînes de décontamination, puis sont transportées vers un établissement de soins. Les moyens d'intervention sont fournis par le Samu et les sapeurs-pompiers.