Les délais qui nous ont été impartis par le Conseil constitutionnel pour mettre en place un contrôle judiciaire du maintien en hospitalisation complète des personnes faisant l'objet de soins sans leur consentement, qui doit être effectif à compter du 1er août prochain, nous conduisent à discuter dès ce soir, en deuxième lecture, des dispositions du projet de loi adopté par le Sénat vendredi dernier. Je déplore comme vous ce calendrier très serré, mais nous devons absolument avancer sur ce texte.
Je voudrais d'abord vous rappeler les dispositions que nous avons introduites en première lecture : le droit à l'oubli pour les personnes déclarées pénalement irresponsables ou ayant séjourné en unité pour malades difficiles ; la possibilité de recourir au juge en cas de désaccord entre le psychiatre et le préfet concernant la levée de la mesure de soins, ou encore l'organisation de la prise en charge des urgences psychiatriques et la mise en oeuvre du suivi des patients faisant l'objet de soins en dehors du cadre d'une hospitalisation complète.
Après s'être longuement interrogés sur la notion de soins sans consentement sous une autre forme que l'hospitalisation complète, nos collègues sénateurs sont arrivés à la conclusion que ces soins ne pouvaient être réellement prodigués sans le consentement de la personne malade ou, à tout le moins, que l'incapacité à consentir du malade devait être mise en exergue et que les soins susceptibles d'être proposés sous une autre forme que l'hospitalisation complète devaient se définir en référence à des lieux et non à des modalités de soins. C'est la rédaction à laquelle a abouti le Sénat, sur la proposition des sénateurs Milon et Lorrain, après la tentative de Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales, initialement rapporteure de ce texte, de supprimer purement et simplement la possibilité de mettre en oeuvre des soins sans consentement hors hospitalisation complète pour revenir à l'actuel régime des hospitalisations sous contrainte et des sorties d'essai tel que défini par la loi de 1990.
S'il convient de saluer les efforts déployés par les sénateurs pour résoudre ce qu'ils considéraient comme une contradiction, le résultat n'apparaît cependant pas pleinement satisfaisant. Je rappellerai à cet égard que, conformément aux recommandations de la mission commune de l'inspection générale des affaires sociales et de l'inspection générale des services de la justice de 2005 sur la réforme de la loi de 1990, l'objectif du projet de loi est bien de dissocier l'obligation de se soigner des modalités de soins elles-mêmes. Le texte ne modifie pas, en revanche, les conditions dans lesquelles une telle obligation de se soigner peut être imposée : si, dans le cadre d'une hospitalisation à la demande d'un tiers (HDT), les soins sans consentement doivent être justifiés par l'incapacité de la personne malade à y consentir, dans celui d'une hospitalisation d'office (HO), ils peuvent être dispensés en cas d'atteinte à l'ordre public ou à la sûreté des personnes ou des biens. Les soins sans consentement ne se limitent donc pas aux soins « auxquels une personne n'est pas à même de consentir du fait de ses troubles mentaux ». Voilà pourquoi cette formulation me paraît inadéquate, et je ne parle même pas de sa forme grammaticale, qui la rend impropre à être substituée à la locution « soins sans consentement » dans l'ensemble du texte.
Je n'adhère pas davantage au choix d'évoquer des « lieux » plutôt que des « modalités » de soins, une telle formulation semblant signifier que les soins sont les mêmes quels que soient les lieux où ils sont dispensés. Or, un programme de soins en ambulatoire sera forcément différent de soins prodigués au sein d'un hôpital, sous une surveillance constante. En outre, la palette des interventions offerte au psychiatre dans le cadre de ce qui est désormais appelé le « programme de soins » est bien plus variée que le simple choix d'un lieu de soins.
Je signale également que, dans la rédaction du Sénat, le texte ne mentionne plus la responsabilité des établissements de santé assurant la mission de service public d'accueillir des personnes en soins psychiatriques sans consentement dans la mise en oeuvre des soins prodigués. Cette responsabilité dépendra-t-elle du lieu où est traité le patient ? D'un point de vue tant juridique que pratique, une telle solution ne peut être retenue.
Il convient néanmoins de prendre en compte la réflexion engagée par le Sénat, d'une part en réaffirmant en préambule le principe selon lequel les soins sont « sans consentement » parce que la personne n'est pas à même d'y consentir, précisément en raison de ses troubles mentaux, d'autre part en étendant effectivement ce critère d'incapacité à consentir à l'admission en soins sans consentement sur décision du représentant de l'État. Dans l'état actuel du droit, ce critère n'est pas pris en compte en cas d'hospitalisation d'office, alors qu'il l'est pour l'hospitalisation à la demande d'un tiers ainsi que pour l'hospitalisation des personnes détenues. Non seulement nous répondrions ainsi aux préoccupations du Sénat, mais nous contribuerions à « normaliser » la procédure d'admission en soins sur décision du préfet, qui a suscité de très nombreuses critiques dans l'hémicycle et en dehors. Même si la plupart sont injustifiées, il faut entendre la méfiance dont elles témoignent de la part de nos concitoyens.
Par ailleurs, je souhaiterais introduire dans le texte une passerelle entre soins sans consentement et soins libres, soit exactement ce que les psychiatres vont s'efforcer d'obtenir dès qu'une personne sera admise en soins sans son consentement. Se plaçant essentiellement sur un plan juridique, le projet prévoit que la mesure de soins est levée lorsque les conditions ayant présidé à l'admission en soins sans consentement ne sont plus réunies, mais il ne dit rien de ce qu'il advient des soins eux-mêmes. Or, ce n'est pas parce que la mesure de soins sans consentement est levée que la personne est guérie : il convient donc d'assurer la continuité des soins en proposant au patient, autant que de besoin, une prise en charge adaptée sous forme de soins libres.
Il convient également de souligner que le Sénat a permis des avancées intéressantes dans la lignée des dispositions débattues à l'Assemblée nationale. Je tiens à cet égard à saluer les travaux de M. Lecerf, rapporteur de la Commission des lois, qui présentent une grande cohérence et témoignent d'une réflexion approfondie sur les implications, potentiellement très larges, de la décision du Conseil constitutionnel et sur le rôle du juge dans le dispositif des soins sans consentement. Bien que seul un petit nombre des amendements proposés par la Commission des lois afin de renforcer le rôle du juge aient finalement été retenus par le Sénat, je note avec satisfaction que ces travaux rejoignaient les propositions initiales de notre Commission, qui visaient à donner au juge la possibilité de substituer une mesure de soins à une autre, qu'il soit saisi dans le cadre d'un recours facultatif ou automatique.
En lieu et place d'une substitution, le Gouvernement a toutefois proposé que le juge puisse assortir sa décision d'une prise d'effet différée de 24 heures, pendant lesquelles un programme de soins pourra être établi. Ce dispositif apparaît préférable à celui adopté à l'Assemblée nationale, qui prévoyait un délai de 48 heures avant la prise d'effet. En effet, c'est au juge que reviendra la décision de rendre ou non possible une passerelle entre soins en hospitalisation complète et soins sous une autre forme, une fois qu'il aura prononcé la mainlevée. Cette solution est donc favorable à la fois à l'orthodoxie juridique et à la continuité des soins.
Je note également que les amendements par lesquels la Commission des lois proposait d'étendre les cas de saisine automatique du juge en cas de désaccord entre le psychiatre et le préfet n'ont pas été adoptés par le Sénat. Celui-ci a, en revanche, introduit dans le texte plusieurs dispositions relatives à l'organisation des audiences devant le juge des libertés et de la détention ou encadrant le recours à la visioconférence, qui me paraissent constituer des avancées importantes. J'adhère également à la décision du Sénat, sur proposition de sénateurs de tous les groupes, de fixer à dix ans le délai ouvrant droit à l'oubli.
Enfin, toujours à l'initiative de la Commission des lois, le Sénat a opté en faveur d'une unification du contentieux des soins psychiatriques sous contrainte devant les juridictions de l'ordre judiciaire, afin de mieux garantir le droit au recours des personnes faisant l'objet de ces soins. Ce sujet, dont nous n'avions pas débattu, méritait d'être posé dans la mesure où, dans l'état actuel du droit et conformément à la dualité de nos ordres de juridiction, les tribunaux administratifs sont compétents pour examiner les recours déposés contre les actes administratifs d'admission en soins, alors que les recours visant à obtenir la sortie d'hospitalisation sont examinés par le juge judiciaire. De ce fait, l'annulation de la décision administrative d'admission en soins n'entraîne pas automatiquement la sortie du patient, sauf si celle-ci a été demandée dans le cadre d'une procédure de référé, dite « référé liberté », dont l'existence est relativement récente. L'unification de ce contentieux sera donc favorable aux requérants. Quant à la charge supplémentaire que ce nouveau contentieux représentera pour le juge judiciaire, elle ne devrait pas se faire sentir immédiatement dans la mesure où le Sénat a fixé au 1er janvier 2013 l'entrée en vigueur de ces dispositions.
Même si les sénateurs se sont beaucoup interrogés sur ce texte, les amendements qu'ils ont adoptés ne remettent pas profondément en cause les équilibres auxquels l'Assemblée était parvenue en première lecture. Ils permettent au contraire, notamment ceux issus de la Commission des lois, d'approfondir les choix que nous avions opérés. J'ai donc veillé à travailler sur ce texte dans un esprit constructif, et les amendements que je vous proposerai viseront uniquement à approfondir certains points ou à remédier à certaines incohérences.