Les CCLI existent depuis trente ans, puisqu'ils ont été créés par une circulaire du Premier ministre Pierre Mauroy en date du 18 décembre 1981. Quant à l'Association nationale, que j'ai l'honneur de présider, elle a onze ans d'existence. Durant six années, elle a milité auprès des parlementaires pour obtenir un statut juridique, reconnaissance officielle que le législateur lui a accordée en 2006 dans la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire – le décret d'application date de 2008.
Pour remplir nos missions d'information et de suivi des installations nucléaires, nous avons désormais non seulement des droits mais aussi, et surtout, des obligations. En France, c'est connu, nous sommes meilleurs que les autres ! C'est donc sans moyens que les CCLI travaillent. L'Autorité de sûreté nucléaire et l'IRSN nous fournissent assurément une aide précieuse, mais nous serions plus efficaces si l'État nous accordait les moyens prévus dans la loi. Or, depuis cinq ans qu'elle a été adoptée, nous n'avons toujours rien reçu. J'espère que M. Bertrand Pancher, qui vient de remettre au Président de la République un rapport, sera entendu : il préconise qu'1% de la taxe sur les INB, versée par les exploitants, et qui rapporte à l'État quelque 500 millions d'euros par an, soit fléché en direction des cinquante CCLI, ce qui leur permettrait d'améliorer leur fonctionnement.
En attendant, nous faisons respecter nos droits et remplissons au mieux nos obligations. D'ailleurs, le chef du bureau des risques de la Direction de la sécurité civile m'a rassuré, puisque, en cas d'incident ou d'accident impensables en France, les populations dans les périmètres concernés ont acquis depuis longtemps une vraie culture du risque et sauront se confiner dans les maisons. J'ignore si Alexis Calafat, maire de Golfech, est du même avis, deux jours seulement après le déclenchement intempestif de l'alarme de la centrale nucléaire située sur le territoire de la commune. Ce déclenchement a suscité au sein de la population un véritable vent de panique. Or, ce n'est pas à la sécurité civile que les habitants ont téléphoné ! Bien qu'ils aient la culture du risque, ils se sont tournés vers les élus locaux pour obtenir des réponses que ces derniers étaient bien en peine de leur donner.
La catastrophe de Fukushima nous inspire plusieurs réflexions.
Cet accident résulte de la conjonction d'événements qui, pour être peu probables, restent possibles. Fukushima est tout d'abord un rappel brutal de la vulnérabilité associée aux activités nucléaires, quel que soit leur niveau de sécurité. Nous pouvons réduire les risques, mais la vulnérabilité créée par la présence d'une installation nucléaire est une donnée constante, ce qui nous fait mesurer l'exigence de vigilance – vous l'avez évoquée dans votre propos introductif – qui, d'une façon ou d'une autre, s'impose à tous ceux qui contribuent au suivi de ces installations et à la préparation des réactions en cas d'accident.
C'est particulièrement vrai pour les personnes qui participent au fonctionnement des quelque cinquante commissions locales d'information, qui regroupent près de 3 000 personnes dont 1 500 élus territoriaux : tous sont attachés à leur territoire, à ses modes de vie et à ses activités. Or celles-ci seraient totalement bouleversées par un accident nucléaire, Fukushima nous le prouve.
La vulnérabilité de nos territoires et du territoire français en général n'est pas liée au voisinage d'une seule installation mais à l'ensemble des installations nucléaires présentes en France et en Europe. Il découle de ce constat que la prise en compte d'un scénario accidentel de forte gravité en France doit faire partie de notre cadre de préparation post-accidentel, comme l'ont d'ailleurs souligné depuis très longtemps les représentants des CCLI.
En matière de transparence, il est encore trop tôt pour savoir exactement dans quelles conditions ont été prises en compte, dans le contexte japonais, les informations disponibles pour évaluer et gérer les risques, avant, pendant et après l'accident.
Il est d'ores et déjà clair, cependant, que la transparence démocratique est un enjeu essentiel. Les questions de sécurité ne concernent pas seulement les opérateurs, les experts et les autorités – jusqu'à la loi de 2006, les trois piliers du nucléaire –, mais également l'ensemble de la société civile, représentée par les CCLI qui, depuis la loi de 2006, constituent le quatrième pilier, d'autant que la gestion d'une catastrophe et de ses conséquences touchera un nombre considérable de personnes dans leur vie quotidienne et, souvent, à très long terme et de façon irréversible, au moins à l'échelle d'une vie humaine.
N'oublions pas que la soudaine contamination radioactive d'un large territoire provoque une situation à long terme. Savez-vous que vingt-cinq après Tchernobyl, des sangliers en provenance d'Ukraine contaminent la faune allemande ? Cela nous fait mesurer, dans le contexte du CODIRPA, combien la question de la préparation des acteurs des territoires est l'un des principaux enjeux de la gestion post-accidentelle. Si l'éducation est importante, l'art de la répétition est capital.
La préparation à la situation post-accidentelle ne saurait se faire sans une participation active de tous les acteurs : or nous devons aujourd'hui faire le constat de notre impréparation sur nos différents territoires. Les CCLI, qui sont présents sur une partie du territoire national au moins, devront apporter leur contribution à ce chantier qui est, pour l'essentiel, encore devant nous, même si le CODIRPA, monsieur le président, travaille activement sous votre impulsion depuis dix ans. Les événements, et ce séminaire, prévus avant Fukushima, nous permettront d'aller plus loin.
Cette situation confirme les CCLI et l'ANCCLI dans leur volonté de contribuer à la mise en oeuvre concrète de la Convention d'Aarhus, sur l'accès à l'information des citoyens et sur la participation du public au processus décisionnel et d'accès la justice en matière d'environnement, votée au plan européen en 2001, ratifiée par seize pays et applicable en France, sinon appliquée, depuis 2002. Beaucoup s'interrogent pour savoir si cette convention s'applique en matière nucléaire s'agissant de l'environnement. Or Fukushima, après Tchernobyl, doit permettre à ceux qui s'interrogent de se sentir concernés par cette convention même s'ils sont responsables du nucléaire, car elle fera désormais partie de leur quotidien. Favoriser la montée en puissance et en compétence de la société civile au voisinage de chaque installation nucléaire en Europe est un élément essentiel de notre sécurité. L'ANCCLI s'y est engagée depuis plusieurs années avec l'IRSN, que je remercie.
Avec le soutien de l'ASN, nous souhaitons organiser à Luxembourg une table ronde européenne à l'automne 2011 sur l'évaluation des conditions de mise en oeuvre de la convention d'Aarhus en situation accidentelle et post-accidentelle, dans le cadre de la démarche que nous avons initiée, depuis trois ans, à savoir bien avant l'accident de Fukushima, aux côtés de la Commission européenne et de l'ASN et avec le soutien du Haut comité à la transparence. Vous avez évoqué, monsieur le président, les réactions que l'Europe devrait avoir face à des fournisseurs ou des pays qui n'ont pas la même culture que nous : la France a élaboré un guide des bonnes pratiques, que nous devrions mettre en application au niveau européen.
La catastrophe de Fukushima conditionne nos choix énergétiques à venir et les conditions d'exercice des activités nucléaires. Cet événement a provoqué des débats dans le monde entier, particulièrement dans les pays qui produisent de l'énergie nucléaire ou dans ceux qui s'apprêtaient à la développer. C'est particulièrement vrai en Europe. Certains de nos voisins ont d'ores et déjà reconsidéré leur position. En France, les mêmes débats ont lieu. J'ai participé à l'accueil du Président de la République mardi dernier à Gravelines : il est clair que les positions prises aussi bien au plan régional qu'au plan national l'ont été dans la perspective de la prochaine élection présidentielle.
Les CCLI et l'ANCCLI ont pour mission le suivi des installations nucléaires et les éventuelles conséquences de leur exploitation. Il ne nous appartient pas de prendre position en matière de choix énergétiques. Au sein des CCLI les opinions sont partagées. En revanche, tous se retrouvent autour de la même table pour assurer leur mission, qui consiste notamment à observer les évolutions des activités nucléaires à moyen et long termes.
Nul n'ignore que, quels que soient les scénarios de production énergétique envisagés, compte tenu du niveau actuel de son développement en France, l'énergie nucléaire fera partie de notre paysage national pour plusieurs décennies encore en matière de production, et à très long terme s'agissant de la gestion des déchets radioactifs et de la contamination radioactive de l'environnement. Nos sociétés devront donc veiller encore longtemps à assurer la sécurité nucléaire et la protection de l'homme et de l'environnement du risque radioactif. Dans ce contexte particulièrement grave, notre devoir est de nous donner les moyens d'assurer effectivement notre mission.
Nous veillerons à avoir, à côté de l'aide importante que nous obtenons de l'ASN et de l'IRSN, les moyens d'accomplir notre mission. Les États généraux que les CLI et l'ANCCLI tiendront à l'automne 2011 leur permettront d'évaluer les moyens nécessaires à l'accomplissement de leur mission dans le champ du suivi des installations nucléaires, de la gestion accidentelle et post-accidentelle et de celle des déchets radioactifs. Messieurs les parlementaires, nous avons besoin de votre aide pour obtenir davantage de moyens car l'impossible est toujours possible !