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Intervention de Jacques Repussard

Réunion du 5 mai 2011 à 9h00
Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jacques Repussard, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire :

Je vous donnerai d'abord, sur l'état de préparation de notre pays, l'appréciation que porte l'IRSN, expert public et l'un des acteurs de la gestion des incidents que nous avons pu connaître en France. Ces incidents, heureusement sans grande gravité, mobilisent les mêmes acteurs que ceux qui auraient à intervenir si un accident de plus grande ampleur se produisait.

Comme on l'a vu au Japon, l'ambiance autour d'un accident nucléaire de grande ampleur dans notre pays serait une très grande complexité. Alors que les informations arrivent au compte-gouttes, il faut prendre des décisions majeures en situation incertaine. Contrairement à beaucoup d'autres crises, par exemple quand un barrage saute, un accident nucléaire dure longtemps. Par ailleurs, les décisions que l'on prend rétroagissent sur la gravité de l'accident : si elles interviennent trop tard ou ne sont pas les bonnes, les conséquences seront pires. Une telle situation n'a pas vraiment d'équivalent. Elle est inconnue de la plupart des décideurs – décideurs politiques, administratifs, industriels, acteurs économiques, élus, associations, etc. – qui n'y sont pas si bien préparés que cela. Enfin, le climat de grande anxiété sociétale qui accompagnerait cette crise ferait peser un risque sur la rationalité de ce qui se déciderait comme de ce qui se dirait dans les médias.

Face à cette situation si complexe, trois éléments sont essentiels : premièrement, une culture de la gestion des risques partagée non seulement au niveau local, par les préfectures, les pompiers, mais aussi au plan national, en raison du très grand nombre d'acteurs impliqués. Deuxièmement, une organisation fiable et réaliste car la gestion de la crise doit être en partie planifiée, y compris dans sa phase post-accidentelle, pour que l'on dispose d'éléments de repère. Sans cette organisation, qui permet de maîtriser les accidents, un pays nucléaire court à la catastrophe. Troisièmement, des connaissances et des outils scientifiques et techniques sophistiqués, en raison de la complexité technique et scientifique d'un accident nucléaire. L'IRSN progresse dans ses connaissances grâce à la détermination dont ont fait preuve en la matière depuis très longtemps la Direction générale de sécurité nucléaire et de radioprotection (DGSNR), puis l'ASN. C'est essentiel dans un pays qui prétend être un grand pays nucléaire, même si un accident reste très improbable. Il convient de saluer les efforts qui ont été faits depuis plus de dix ans et continuer dans cette voie.

J'en viens au rôle de l'IRSN, qui est de développer les connaissances et les méthodes d'évaluation des accidents nucléaires et de leurs conséquences environnementales et sanitaires. Il faut réunir et écrire la doctrine et planifier, sur la base d'une réalité scientifique et technique. Mais pour ce faire, il faut avoir les moyens de comprendre quelle est la quantité de produits radioactifs rejetés et quelle est leur nature.

Après l'accident de Three Mile Island, personne n'avait d'idée de ce qui sortirait de la centrale, dans quelle quantité, ni quand. Aujourd'hui, l'IRSN, dont même les Américains reconnaissent la position de leader, a regroupé les spécialistes mondiaux des accidents graves dans les réacteurs nucléaires au sein d'un réseau d'excellence international, SARnet. Nous avons été les premiers et les seuls à publier sur notre site internet, le 21 mars, alors que les rejets les plus importants avaient eu lieu entre le 13 et le 1819 mars, une opinion scientifique sur le terme-source des rejets des trois réacteurs accidentés de Fukushima, dans lesquels il y avait des coeurs : nous l'estimions à environ 10 % du terme-source de Tchernobyl. C'était courageux, parce qu'il s'agissait surtout d'avis d'experts. Je suis heureux de constater que le gouvernement japonais est arrivé à un ordre de grandeur équivalent, en faisant un rétro calcul à partir des dépôts constatés sur le terrain par les Américains. Nous ne disposions pas, à l'époque, de données de terrain ; ces résultats cohérents sont pour moi une validation de notre maîtrise scientifique de meilleur niveau.

Il faut également pouvoir prédire ce que deviendront les rejets radioactifs hors du confinement. C'est essentiel pour prendre les bonnes décisions de protection des populations et de l'environnement. Nous y travaillons donc. Là encore, l'IRSN est le leader scientifique international.

Je salue par ailleurs la qualité de notre coopération stratégique avec Météo-France, acteur indispensable pour la compréhension des transferts atmosphériques. Ainsi, au moment de l'accident de Fukushima, avons-nous pu modéliser le transport des polluants à moyenne distance dans la zone Japon, ainsi que dans l'hémisphère nord. Ce dernier exercice n'avait d'ailleurs pas de vocation sanitaire, mais il a prouvé qu'il n'était pas question de passer sous silence le nuage de Fukushima – il fallait racheter la mauvaise gestion administrative d'il y a vingt-cinq ans…

Nous continuons à progresser sur la connaissance de la dispersion des rejets radioactifs, et à travailler, notamment, sur le très court terme, la courte distance et les zones urbaines, où les modèles ne sont pas très performants. Nous avons encore beaucoup à faire, mais les outils existent.

Il faut enfin évaluer les doses. Le but est, à terme, de connaître la nature des doses pouvant affecter la population. C'est un sujet extrêmement sensible, d'autant qu'il n'est pas enseigné dans les écoles et que tout le monde s'y perd, entre les becquerels, les microsieverts (mSv) ou les sieverts. Cette évaluation des doses est aussi un savoir-faire de l'IRSN, à la fois en termes de calculs prédictifs – qui permettront de prendre des décisions de mise à l'abri des populations, de prise d'iode, d'évacuation, etc. – et de gestion au long cours – par exemple, si l'alimentation s'avérait contaminée sur la durée. Les outils existent. Ils sont de très bonne qualité, parmi les meilleurs au monde, et nous nous en servons.

Il demeure qu'à la suite des accidents précédents certaines idées fausses circulent, qu'il conviendrait de démentir. Par exemple, les rapports internationaux sur Tchernobyl indiquent que les doses moyennes reçues par les enfants qui ont été exposés juste après l'accident étaient de l'ordre de quelques centaines de mSv au niveau de la thyroïde. On sait qu'il y a 7 000 à 8 000 cancers de la thyroïde parmi ces enfants. Mais ce qu'on ne dit pas et qu'on ne voit dans pratiquement aucun rapport, c'est que les enfants qui ont des cancers de la thyroïde n'ont pas reçu des doses de quelques centaines de mSv, mais de quelques milliers ! Pendant ce temps, certains discutent sans fin pour savoir si telle dose dépasse ou non 1 mSv !

Même parmi les décideurs, les ordres de grandeur ne sont pas compris. C'est une des raisons pour lesquelles l'IRSN est – tout à fait officiellement – favorable à des seuils de libération. Leur absence rend non seulement les choses compliquées, mais induit une compréhension fausse de la relation entre la radioactivité et la vie humaine. C'est tout à fait néfaste. Nous espérons être entendus, ou tout au moins que notre point de vue figurera dans le rapport de l'Office.

J'en viens aux pistes d'amélioration que nous pourrions envisager, sachant que l'IRSN, dans son quotidien, participe aux exercices, qu'il est un pilier du CODIRPA, qu'il contribue aux travaux de préparation, d'écriture de la doctrine et aux discussions avec les parties prenantes et qu'il apporte un appui technique aux pouvoirs publics, lorsque des incidents se produisent. Cet appui fait aussi partie de l'entraînement des équipes et des experts : même si ces incidents sont sans gravité, comme ceux que l'on a connus à Saint-Maur-des-Fossés, ils mobilisent, en échelle réduite, toutes les composantes d'une gestion accidentelle et post-accidentelle. Il est donc très intéressant d'observer ce qui se passe et d'optimiser la façon dont on gère ce type de situations, inévitables dans un pays possédant une industrie nucléaire d'ampleur considérable.

Première piste : il faut accepter de se préparer à des situations complètement inimaginables. Car la menace existe.

Nos opérateurs nucléaires sont parmi les plus compétents au monde. A partir des programmes d'analyse de tous les incidents qui se produisent chez EDF, nous avons pu constater que le comportement des équipes travaillant dans les salles de contrôle était très satisfaisant, qu'il s'agisse de leur rapidité à corriger un dysfonctionnement ou de leur aptitude à prendre la bonne décision. Il est donc peu vraisemblable que nous soyons confrontés à un accident standard, et très vraisemblable que le soyons à un accident absolument extraordinaire, lié par exemple à des effets domino avec d'autres installations industrielles proches, à des aléas, à des actes de malveillance, à des catastrophes climatiques, etc.

Nous devons donc nous préparer à de telles éventualités et monter des scénarios réalistes dans un contexte que nous avons du mal à imaginer. Les Japonais n'avaient pas non plus imaginé qu'un tsunami de 15 mètres pouvait se produire ! Je souhaite donc qu'on encourage l'IRSN à proposer des scénarios intéressants.

Deuxième piste : il conviendrait de faire évoluer le positionnement institutionnel de l'IRSN – qui découle des circulaires du Premier ministre – et le mettre en adéquation avec la réalité. En pratique, les experts de l'IRSN sont appelés pour conseiller l'ASN ou le Délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et les installations intéressant la défense (DSND), mais aussi le préfet et les ministères. Tous ces acteurs administratifs ont leur rôle à jouer dans ces situations complexes, et l'expertise, le savoir-faire scientifique et technique de l'IRSN leur sont indispensables. Il conviendrait de mieux le reconnaître, sans nuire bien entendu à la capacité d'action des autorités de sûreté nucléaire compétentes.

Troisième piste : notre capacité d'action sur le terrain mériterait d'être améliorée, même si des progrès ont déjà été réalisées, notamment grâce aux crédits exceptionnels que le Parlement a bien voulu voter à cette fin. Un exemple : en cas d'accident, nous avons la responsabilité de coordonner, auprès du préfet, les mesures environnementales. Nous avons conçu des moyens aérotransportables, mais nous ne parvenons pas à obtenir de la Direction de l'aviation civile le certificat d'aérotransportabilité. Si nous avions besoin demain de ces matériels, nous ne pourrions pas les emporter sur le terrain, ce serait dommage…

Quatrième piste : il est clair que la gestion sociétale d'une crise nucléaire impliquerait, non seulement l'administration et les industriels du nucléaire mais aussi tout le monde. Cela nécessite non pas de développer la communication, mais d'organiser des interfaces avec l'ensemble des parties prenantes : secteur associatif, entreprises, syndicats, élus locaux, etc. Cela prend du temps et coûte cher. On l'a vu au moment de la crise japonaise, lorsque nous avons dû mobiliser des ressources extrêmement importantes avec les équipages d'Air France ou avec les journalistes qui craignaient la contamination. Ne pas le faire ou le faire de façon brouillonne contribue à la dégradation de la situation et compromet la bonne gestion de la suite des événements. Il y a là des progrès à faire – notamment au niveau organisationnel – qui doivent être discutés avec les autres parties prenantes essentielles que sont les autorités publiques. Il faut donc développer et entretenir cette notion de culture partagée, qui est au coeur de ce que fait le CODIRPA : les outils scientifiques et techniques doivent pouvoir servir à tous ceux qui en ont besoin.

Enfin, il faut pouvoir intervenir sur le terrain dans de bonnes conditions après l'émission des rejets radioactifs. Le travail est difficile – au Japon, les données de terrain, les relevés dosimétriques, les relevés de dépôts sur le terrain ont mis du temps – mais il est absolument essentiel si l'on veut ramener la confiance de la population. Voilà pourquoi il doit aussi être préparé en amont.

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