Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, comme vous le savez, un accord important en matière de défense a été signé le 2 novembre 2010 entre la France et la Grande-Bretagne. Cet accord porte sur la mise au point de drones d'observation et d'attaque – point fondamental sur le plan opérationnel et industriel – et sur le groupe aéronaval, qui donnera lieu à d'importantes coopérations. Il concerne également la cyberdéfense, car nous découvrons une autre forme de guerre : les dernières agressions contre Bercy montrent que le sujet est d'actualité. En outre, cet accord porte sur la dissuasion nucléaire, c'est-à-dire le maintien en condition opérationnelle des sous-marins nucléaires. C'est également un point important, car, traditionnellement, la Grande-Bretagne avait un seul partenaire : les États-Unis. Enfin, le traité que nous examinons aujourd'hui porte aussi sur la simulation nucléaire.
Je commencerai par trois remarques d'ordre politique.
Première remarque : il est clair qu'il y a là un virage de la politique de défense de la Grande-Bretagne. On peut considérer que l'une de ses motivations est l'économie, puisque le budget britannique est largement plombé, à la fois par l'Irak et l'achat de missiles Trident américains. Mais cet accord permettra d'économiser un demi-milliard d'euros d'ici à 2020.
Cela étant, nos amis britanniques ont peut-être pris conscience que l'Amérique regarde aujourd'hui beaucoup plus vers le Pacifique que vers l'Atlantique. De nouveau, l'attrait de l'Europe, en tout cas de la France, peut revêtir pour eux une certaine réalité.
Ma deuxième remarque d'ordre politique concerne la réaffirmation du rôle de la dissuasion, clé de notre sécurité et de la paix mondiale entre les grandes puissances. Aujourd'hui, il y a une montée en puissance stratégique de la Chine face aux États-Unis. Si nous sommes sûrs que ces deux pays ne se feront jamais la guerre, c'est qu'ils possèdent l'un et l'autre l'arme nucléaire. Tel est l'équilibre sur lequel repose la paix. La dissuasion n'est pas mise en cause, sauf si l'on va un peu trop loin dans la négociation sur la défense antimissile – mais il y a là une contradiction.
Ma troisième remarque porte sur l'OTAN. La Grande-Bretagne fait partie du groupe des plans nucléaires de l'OTAN. Ce traité permet une véritable indépendance de nos politiques nucléaires ; la Grande-Bretagne gardant la sienne et nous la nôtre, nous pouvons poursuivre une politique de totale indépendance.
Cet accord de simulation est nécessaire, parce que nous avons signé le traité interdisant les essais nucléaires, ainsi que la Grande-Bretagne et la Russie. Pour garantir la sécurité de nos armes, surveiller leur vieillissement et les adapter aux missiles de nouvelle génération, nous devons faire des simulations. Ce n'est pas en contradiction avec le traité de non-prolifération nucléaire, puisqu'il n'y a pas en la matière modernisation ou multiplication d'armes, mais simple vérification de leur fonctionnement.
En ce qui concerne la phase « chaude », soit celle des lasers, la France conservera le même système, près de Bordeaux, sur le site du CESTA – le Centre d'études scientifiques et techniques d'Aquitaine –, et la Grande-Bretagne poursuivra sa coopération avec les États-Unis, sachant que les deux systèmes sont jumeaux.
S'agissant de la phase « froide » et des explosifs conventionnels nécessaires aux armes nucléaires, il y aura une installation commune radiographique et hydrodynamique. Tel est l'objet de ce traité ; pour le concrétiser, seront regroupées sur un site dénommé ÉPURE, à Valduc, en Bourgogne, la machine d'observation Airix qui se trouve aujourd'hui en Gironde et la radiographie éclair qui reste à construire. En 2019, un centre de développement technologique situé à l'ouest de Londres complétera l'ensemble de ce dispositif.
Je souhaite maintenant apporter quelques précisions sur certains articles.
L'article 3 donne la responsabilité du suivi du traité, pour la France, au Commissariat à l'énergie atomique, et, pour la Grande-Bretagne, à son ministère de la défense.
L'article 5 précise qu'il y aura, sur chaque site, une zone commune et une zone nationale.
L'article 6 indique que la totalité du financement sera apportée pour moitié par chacune des deux parties
L'article 10 souligne que chaque pays aura la responsabilité technique et juridique de ses déchets, sachant qu'il n'y aura pas de déchets nucléaires.
L'article 15 impose le bilinguisme.
Enfin, l'article 17 fixe la validité du traité à cinquante ans.
Pour ma part, je pense, monsieur le ministre, qu'il s'agit d'un bon traité et d'un bon accord. Mais l'accord, lui, pose question par rapport à la défense européenne, ce qui n'est pas le cas du traité.
L'accord que nous venons de passer avec les Britanniques est positif, mais il est très différent de l'accord de Saint-Malo, qui était constitutif de la défense européenne. Celui qui vient d'être signé est un accord bilatéral de coopération entre la France et la Grande-Bretagne. Il s'agit d'une coopération en Europe, non d'une coopération européenne. Ce point doit être souligné.
Certains s'en inquiéteront. Personnellement, cela ne m'inquiète pas trop, car ce qui compte, c'est la volonté politique et l'argent. On se plaint parfois que l'Agence européenne de défense ne fonctionne pas bien parce qu'elle n'a pas d'argent, ou que les coopérations structurées permanentes ne fonctionnent pas parce qu'elles se bloquent. Mais dans les deux cas, ce qui bloque, c'est la volonté politique ou l'argent. La situation en Europe, parmi les pays qui coopèrent avec la France, est toujours la même. Ceux qui ne sont pas européens ont de l'argent et ceux qui sont européens ne mettent pas d'argent. Tous les ingrédients sont donc réunis pour un blocage de l'Europe de la défense.
Cet accord est très important pour l'Europe car il participe indirectement de la défense européenne. À terme, il est une pierre apportée à l'édifice, il n'y a pas à ergoter sur ce point. C'est une bonne nouvelle, prenons-la comme telle ! Espérons seulement que d'autres pays européens pourront rejoindre la France et la Grande-Bretagne pour ce qui est des aspects non nucléaires de l'accord. Je crois d'ailleurs que c'est ce qu'il se passera inéluctablement car, derrière tout cela, il y a évidemment une logique industrielle.
Mes chers collègues, je considère que c'est un bon traité, qui s'inscrit dans un bon accord plus global. Le fait que la défense européenne ne soit pas vraiment prise en compte par cet accord ne m'inquiète pas particulièrement, car je préfère des coopérations qui avancent que pas de coopération du tout !