Les mesures de la présente proposition de loi émanent aussi, évidemment, des conclusions de ce rapport.
Ce texte vise donc « à prendre des mesures d'urgence en faveur des villes et des quartiers en difficulté ». Le choix de cet intitulé est important : l'une des erreurs à l'origine de la politique de la ville est d'avoir été pensée uniformément sur l'ensemble du territoire national. Mais quelles similitudes et quelle logique justifient la mise en place des mêmes dispositifs à Clichy-sous-Bois, commune de la banlieue parisienne de 30 000 habitants dont les trois quarts vivent en zone urbaine sensible, et à Aix-en-Provence, sous-préfecture des Bouches-du-Rhône, commune de 145 000 habitants dont un sur dix vit dans les trois zones urbaines sensibles de la ville ? Il nous semble que ces situations très différentes nécessitent des prises en compte différenciées et la mise en place de dispositifs adaptés. II y a des communes « normales » au sein desquelles certains quartiers rencontrent des difficultés et des communes qui, tout entières, sont des quartiers.
La politique de la ville doit se penser en fonction de ces réalités locales. Il n'y a pas une politique de la ville sur le territoire national mais bien une politique de la ville pour chacun des territoires concernés.
Cette question de sémantique n'est pas anodine car elle implique une certaine conception et une certaine pratique de la politique de la ville. Question essentielle puisque le constat partagé sur le bilan de la politique de la ville est celui d'un échec des politiques publiques conduites depuis quarante ans à destination des banlieues. Je ne reviens pas sur les causes de cet échec, que chacun ici connaît, mais il nous faudra bien un jour repenser globalement la politique de la ville.
Notre proposition de loi n'a pas, bien entendu, cette ambition : elle vise à prendre les premières mesures essentielles, cohérentes, ciblées, dans les domaines où nous devons agir en priorité. C'est pourquoi elle ne traite pas de sujets tout aussi essentiels que la sécurité et la prévention, le décrochage scolaire, qui fait l'objet d'une proposition de loi de notre collègue Yves Durand, la santé ou la culture. Le moment viendra où nous aurons l'occasion de le faire.
L'erreur majeure, en l'occurrence, réside principalement dans l'absence d'ambition pour la politique de la ville, dans l'absence de réelle volonté politique face à l'urgence de la situation. Ces dernières années, là où le candidat Sarkozy nous promettait en 2007 un plan Marshall, nous n'avons eu que des dispositifs rustines – déjà abandonnés – comme le « busing ». Les crédits de la politique de la ville ont diminué de 40 % en quatre ans, notamment ceux de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances – l'ACSÉ – et ceux des associations. De nombreux postes de policiers et de gendarmes mais aussi d'enseignants ont été supprimés et le dispositif des zones franches urbaines est appelé à disparaître à la fin de l'année.
C'est sur ce constat qui repose le premier axe de notre proposition de loi : la gouvernance de cette politique et surtout sa reconnaissance comme priorité nationale.
Nous proposons donc, à l'article 2, que la politique des villes et des quartiers en difficulté relève directement du Premier ministre. Lui seul peut convoquer l'ensemble des ministères de droit commun pour réinvestir prioritairement dans ces quartiers, dans une démarche transversale, interministérielle, qu'un comité interministériel des villes bi-annuel viendra constater et réajuster : article 3. Seul le Premier ministre peut empêcher qu'il y ait une politique de la ville pour les banlieues et des politiques de droit commun pour le reste du territoire. Il serait garant d'un droit commun renforcé sur ces territoires qui prendrait en compte les inégalités à la source entre les communes, un droit commun ciblé auquel viendraient s'ajouter les crédits spécifiques de la politique des villes et des quartiers en difficulté pour tenir compte des charges importantes auxquelles ces territoires doivent faire face.
Réformer la gouvernance, c'est aussi réformer ses outils : articles 4, 5 et 6. Nous proposons de mettre en place une nouvelle architecture, plus lisible, plus resserrée, plus cohérente et au final plus efficace : un unique périmètre, pour un unique contrat, avec un opérateur unique. Il faudra donc faire aboutir cette réforme de la géographie prioritaire tant de fois remise au lendemain mais également tirer les conclusions des contrats urbains de cohésion sociale expérimentaux qui seront lancés avec votre concours, monsieur le ministre, pour une meilleure opérationnalité des nouveaux contrats de promotion sociale et territoriale que nous proposons, contrats uniques cofinancés, élaborés dans une démarche souple, contractuelle, concertée, territorialisée, et qui rassembleront les volets urbain et social de l'ensemble des politiques.
C'est dans cette même logique que nous proposons de fusionner l'Agence nationale pour la rénovation urbaine –l'ANRU –, l'ACSÉ et l'Établissement public pour l'amélioration et la restructuration des centres commerciaux et artisanaux – l'EPARECA. Ces contrats devront obligatoirement se donner les moyens de leurs ambitions, avec des objectifs précis de réduction des inégalités sociales et territoriales et la détermination des outils et des moyens d'y parvenir. Ils devront par ailleurs faire l'objet d'une évaluation à mi-parcours et à leur terme.
Avec ces mesures concernant la gouvernance, nous visons une meilleure cohérence de l'intervention publique dans ces territoires : au pilotage transversal assuré par le chef du Gouvernement au niveau national répondrait un pilotage souple au niveau local, où le maire serait conforté dans son rôle de cheville ouvrière des politiques publiques nationales au sein de ces quartiers. Il faudrait bien entendu y associer le président de l'intercommunalité.
Deuxième axe de la proposition de loi : prendre des mesures pour renforcer la solidarité financière et réduire les inégalités territoriales.
Aujourd'hui, le pouvoir d'achat par habitant du 1 % des communes les plus riches est 45 fois plus élevé que celui du 1 % des communes les plus pauvres. Si tout le monde veut la péréquation et en comprend la nécessité, personne n'est prêt à la mettre en place quand on présente la facture.