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Intervention de Henriette Martinez

Réunion du 11 mai 2011 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHenriette Martinez, rapporteure :

Comme vient de le dire le président, en application de la loi que nous avons votée l'an dernier, les commissions compétentes des assemblées parlementaires ont désormais la possibilité, et pas l'obligation, de formuler un avis sur les projets de convention d'objectifs et de moyens nécessaires à la mise en oeuvre des missions des établissements publics qui contribuent à l'action extérieure de l'Etat.

C'est dans ce cadre que le président a bien voulu me confier l'avis sur le contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD, vaste sujet s'il en est. Cette occasion me permettra aussi de vous apporter quelques éléments d'information sur l'AFD après vous avoir livré mon analyse sur le contenu du projet.

Je voudrais relever en premier lieu que ce projet de contrat est le résultat d'une longue et difficile négociation entre l'agence et ses nombreuses tutelles. Il y a en effet moins de six ministres qui vont le signer avec le directeur général de l'AFD : le ministre des affaires étrangères et européennes ; le ministre de l'économie ; le ministre de l'intérieur, ainsi que les ministres du budget, de la coopération et de l'outre-mer.

Naturellement, ce document porte la marque de cette situation complexe dont témoigne d'ailleurs le retard mis à sa finalisation, de même que celui mis par ailleurs par ces mêmes tutelles à s'accorder sur le budget de l'agence pour 2011, qui n'a été approuvé qu'à la mi-mars ce qui n'a pas manqué de poser problème.

Que dire dans ces conditions du document qui nous est soumis ?

Sur un plan formel, le COM se présente en trois parties.

La première porte sur l'activité de l'AFD dans les Etats étrangers. Elle est elle-même divisée en trois titres, sur les principes généraux d'intervention de l'agence, ses objectifs opérationnels et de performance et enfin les moyens mis à sa disposition par l'Etat.

En fait de principes généraux de l'intervention de l'AFD, le document reprend surtout les orientations générales qui apparaissent dans le document cadre rédigé l'an dernier. Ces orientations sont notamment la concentration sectorielle et les partenariats différenciés selon la typologie des pays. On peut se demander si cela ne supposera pas une réorientation considérable de l'activité de l'agence, j'y reviendrai. Quelques développements sont consacrés au pilotage de l'AFD qui se voit plus encadrée, au niveau de ses représentants locaux notamment, ou de sa coordination avec les tutelles et sur les différents aspects de son activité.

La deuxième partie traite de l'activité de l'AFD en outre-mer. On y rappelle les principes généraux d'intervention, les programmations des objectifs et des moyens.

La troisième et dernière partie porte sur les moyens et objectifs transversaux. Comme dans la lettre de mission que le Premier ministre avait adressée au directeur général, il y est demandé à l'AFD, en cohérence avec les efforts de l'Etat et de ses opérateurs, de veiller à la maîtrise de ses charges de fonctionnement et de personnel.

Cela peut se comprendre à première vue. Mais c'est aussi contradictoire avec la logique d'extension géographique dans les pays émergents qui est par ailleurs demandé à l'AFD et avec le fait qu'elle ne soit pas un opérateur au sens de la LOLF.

C'est aussi, il ne faut pas l'oublier, une entité qui, grâce au développement de ses activités ces dernières années, a rapporté à l'Etat quelque 220 millions d'euros de dividendes l'an dernier. Nous sommes là au coeur d'un problème que je vais souligner.

Si le développement de l'agence doit sans doute être stabilisé, après une période continue de très forte croissance, il faut sans doute éviter d'y mettre un frein brutal. A cet égard, on aurait aimé que soit tranchée dans le COM la question du devenir de ces dividendes, qui sont actuellement intégralement reversés à l'Etat, sans que l'aide au développement en bénéficie.

Il faut rappeler que ces dividendes sont liés au travail de l'AFD, or elle ne voit pas la couleur des résultats qu'elle obtient. Selon les informations qui m'ont été données, les négociations ne sont toujours pas achevées sur ce point entre les tutelles et divers mécanismes, extrêmement complexes, sont encore à l'étude. C'est le point essentiel que nous aurions voulu voir dans le contrat d'objectifs et de moyens, et il n'y est pas.

Il me semble que l'on pourrait raisonnablement envisager un système de répartition en trois tiers qui aurait le mérite de la simplicité : un tiers pour l'Etat, un tiers pour les subventions aux pays pauvres, un tiers, enfin, pour les fonds propres de l'agence, qui en manque cruellement. Nos collègues du Sénat ont émis la même proposition.

Le directeur général de l'AFD le dira certainement lors de sa prochaine audition par la commission, l'AFD est dans une situation où, compte tenu du niveau élevé de ses engagements dans les pays du pourtour méditerranéen, elle ne peut quasiment faire plus, en regard des règles prudentielles en vigueur. Alain Juppé nous disait par exemple récemment que notre coopération devait être accrue en Tunisie. Je peux vous préciser que les décisions qui sont en train d'être prises dans cette optique en faveur de ce pays sont fortement marquées par ces contraintes.

Sur la question du partage des dividendes, le projet de COM indique simplement qu'une lettre conjointe du ministre de l'économie et du ministre du budget précisera le taux de dividende perçu par l'Etat durant le triennum budgétaire, sans plus d'information. Il me semble qu'il aurait été souhaitable que cette répartition soit clairement précisée.

Ceci dit, je dirais de ce projet de COM qu'il a surtout le mérite d'exister.

C'est la première fois, en effet, que les tutelles de l'agence réussissent à se mettre d'accord sur une feuille de route unique. C'est exceptionnel. Il faut en effet savoir que, d'une part, l'AFD n'avait plus de contrat d'objectifs et de moyens avec le gouvernement depuis 2008, et que, d'autre part, elle était précédemment liée par deux contrats différents : l'un avec Bercy, le second avec le ministère des affaires étrangères. La situation était très compliquée, elle se simplifie.

Le COM, enfin unique, a donc aujourd'hui le mérite d'exister et, en cela, il est positif. Il faut se féliciter du succès de la démarche, même si l'on peut regretter en même temps qu'aucun bilan ne semble avoir été tiré des contrats précédents. Il n'est en tout cas pas présenté.

Cela étant, le COM vient aussi après l'adoption, il y a quelques mois, du document de stratégie globale, document très clair qui, pour la première fois aussi, a tracé le cadre de notre politique de coopération pour les dix prochaines années. Cette convergence est donc à relever : nous sommes à l'évidence entrés dans une phase dans laquelle notre politique de coopération au développement se donne enfin des lignes directrices pour son action et nous ne pouvons que nous en féliciter.

Sans surprise, par conséquent, la logique d'intervention de l'AFD, qui est rappelée au début du document, décline les thématiques qui ont été mises en avant dans le document cadre. En d'autres termes, on retrouve le fait que notre politique de coopération doive répondre aux enjeux globaux contemporains et à la nécessité d'une croissance durable et partagée. La lutte contre la pauvreté et les inégalités, la préservation des biens publics mondiaux et la promotion de la stabilité et de l'Etat de droit comme facteurs de développement sont donc les principaux axes de ce contrat d'objectifs et de moyens.

Cela étant, je ne peux m'empêcher de regretter que dans le COM comme ailleurs, le principe général d'intervention soit celui de la synergie entre les politiques migratoires et l'aide publique au développement. Cela ne me gêne pas qu'il y ait des liens, mais en faire une priorité est politiquement malhabile. Je crois d'ailleurs que l'on peut voir une certaine contradiction entre cet objectif et les thématiques sur lesquelles il est demandé à l'agence de se concentrer, en matière d'environnement durable, notamment.

Cela étant, ce projet de contrat laisse aussi un sentiment mitigé, car on y retrouve une part de l'incohérence de notre politique d'aide au développement que, les uns et les autres, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, nous n'avons cessé de dénoncer depuis plusieurs années.

En premier lieu, on aurait pu souhaiter un document qui fasse une part un peu plus belle au développement humain.

Certes, l'AFD, « opérateur pivot » de la politique de coopération de la France, n'est pas le seul acteur de notre aide au développement, loin de là, elle intervient en complément de multiples autres instances, Bercy, le ministère des affaires étrangères, etc., chacun avec ses propres instruments. Ce n'est donc pas l'AFD qui, entre tous ces intervenants, est le plus concerné par le développement humain, par les actions en faveur de la santé ou en faveur de l'éducation notamment, et toute autre action pour la satisfaction des besoins humains. Comme vous avez pu le noter sur les diagrammes qui vous ont été remis, les secteurs privilégiés par l'agence sont centrés sur les questions touchant à la promotion de la croissance économique, ou à la préservation des biens publics mondiaux. Son champ d'action a tendance à se concentrer sur des thématiques qui ont finalement peu à voir avec les OMD les plus axés sur le développement humain : 3 % de ses engagements vont à l'OMD 1 qui porte sur la réduction de l'extrême pauvreté et de la faim ; 6 % vont à l'éducation (OMD 2) ; 3 % à la réduction de la mortalité infantile (OMD 4) ; 3 % également à la santé maternelle (OMD 5). En revanche, près de 80 % de ses engagements concernent l'OMD 7, (environnement durable), à savoir l'amélioration des habitats insalubres, l'eau potable, l'assainissement et l'environnement. On le voit, l'AFD est axée sur les infrastructures et les questions environnementales.

Il ne s'agit pas ici de critiquer l'action de l'AFD, qui n'est pas le seul opérateur, ou d'entrer dans le débat de l'opportunité ou non de son rôle vis-à-vis des pays émergents, que je crois positif dans une perspective de diplomatie d'influence, mais simplement de souligner quelques contradictions.

L'AFD est une banque de développement qui intervient, souvent en complément d'autres banques comme la banque africaine ou asiatique pour le développement, et le fait très utilement, sans conteste, sur des thématiques précises qui, à leur niveau, concourent avec d'autres au développement des pays bénéficiaires. En ce sens, il ne faut pas lire le COM de manière réductrice, en oubliant ce qui se fait par ailleurs et qui ne peut donc y figurer.

Malheureusement, on constate en même temps que le titre 2 du COM définit la programmation des objectifs opérationnels de l'agence en centrant précisément ses indicateurs sur ceux relatifs à l'atteinte des OMD, en matière d'éducation ou de santé. Eu égard à la structure actuelle du portefeuille de l'AFD que je viens de vous rappeler, je crois qu'il aurait sans doute été plus pertinent de faire figurer des indicateurs en rapport avec son « coeur de métier » car le poids relatif des cibles qui sont fixées est minimal, comme on l'a vu, dans son activité globale. On aurait préféré, non pas des indicateurs de moyens, mais de résultats. Six ans après l'adoption de la Déclaration de Paris sur l'efficacité de l'aide, trois ans après celle du programme d'action d'Accra, nous sommes en fait toujours dans une logique d'offre et non de réponse aux besoins exprimés par les bénéficiaires. A aucun moment le résultat que l'on prétend atteindre avec ces moyens n'est précisé, et les indicateurs portent uniquement sur l'augmentation de la part de l'effort consacré à telle ou telle thématique.

Depuis 2005, l'AFD n'a cessé de voir ses engagements croître et de manière très importante : l'activité de l'agence a été multipliée par 2,5 depuis 2005 et elle a même augmenté de 39 % pour la seule année 2009. C'est essentiellement par ses prêts, dont le volume a triplé entre 2005 et 2009, que s'est faite cette croissance. Il faut préciser à cet égard que si les prêts concessionnels permettent un effet de levier pour le développement sans cesse en amélioration, avec des prêts adaptés à chaque situation ce qui est bénéfique pour les pays emprunteurs les plus modestes, c'est surtout l'activité non concessionnelle de l'AFD qui a augmenté : cette activité a doublé entre 2008 et 2009, et a même été multipliée par 15 depuis 2005, dépassant très largement les objectifs du plan stratégique de l'agence. Traduction, s'il en était encore besoin, que la clientèle de l'AFD est de plus en plus une clientèle de pays émergents, solvables et accessibles aux prêts. Comme je le souligne moi-même depuis plusieurs années, comme le rapport de la mission d'information de Jean-Paul Bacquet et Nicole Ameline l'a montré aussi, il y a ici un aspect préoccupant et le risque de voir notre APD privilégier l'instrument prêt sur le don, et se détourner des pays les plus nécessiteux qui n'y ont pas accès. A ce jour, les prêts représentent aujourd'hui 80 % des engagements de l'AFD et les subventions, 6 % de son activité.

Cela étant dit, en ce qui concerne la géographie de l'AFD, toutes les régions dans lesquelles elle intervient connaissent une croissance de son activité, et tout particulièrement l'Afrique subsaharienne qui est la première zone d'intervention du groupe AFD, comme l'AFD continue de s'appeler, ce qui personnellement me dérange dans la mesure où l'expression évoque trop directement un organisme bancaire, même si le groupe intègre effectivement deux entités séparées, l'AFD proprement dite et Proparco, sa filiale secteur privé.

Les engagements de l'AFD dans l'Afrique subsaharienne dépassent désormais les 2 milliards d'euros. Ceux en Amérique latine et Caraïbes ont été multipliés par 2,5 entre 2008 et 2009 et ont dépassé les 620 millions. Le pourtour méditerranéen et l'Asie et la zone pacifique représentent respectivement 1,2 et 1,1 milliard d'euros, multipliés par 1,4.

En ce qui concerne les secteurs d'intervention, l'AFD se concentre fortement dans les infrastructures et le secteur productif, qui représentent chacun le quart de ses engagements, soit 1,6 milliard d'euros chacun.

Selon les pays d'intervention, les priorités ne sont évidemment pas les mêmes : l'environnement et les ressources naturelles sont des thématiques que l'AFD met en oeuvre surtout en Asie et en Amérique latine, tandis qu'en Afrique subsaharienne, ce sont essentiellement l'agriculture, la santé ou l'éducation qui sont mises en avant.

Aux termes de la loi sur l'action extérieure de l'Etat, l'avis rendu par les commissions n'est que facultatif. Le gouvernement attend que nous l'ayons rendu pour signer le projet de contrat avec l'AFD. La recommandation que je formulerais, serait d'adresser une lettre aux ministres de tutelle de l'AFD, qui exprimerait notre accord global sur ce document et saluerait son opportunité, tout en souhaitant que le partage des dividendes de l'AFD, qui n'est pas encore fixé, se fasse sur la base de la clef que je suggère, à savoir trois tiers : un tiers pour l'Etat, un tiers pour les subventions, un tiers pour les fonds propres de l'agence. Je rappelle que ces dividendes représentaient environ 200 millions d'euros en 2010.

Ce courrier montrerait en tout état de cause, de nouveau, l'intérêt de la commission des affaires étrangères pour les orientations de notre politique de coopération et ses préoccupations.

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