Monsieur le ministre, ce projet de loi sur l'immigration sera inapplicable, comme la réforme sur la garde à vue, et restera le symbole de l'échec de votre politique en matière d'immigration. À défaut de convaincre sur les vraies préoccupations des Français – emploi, logement, pouvoir d'achat, etc. –, vous légiférez, une fois de plus, sans prendre, comme cela a été souligné par notre collègue Mazetier, les mesures qui permettraient de gérer intelligemment les flux migratoires dans le cadre d'une politique européenne coordonnée et cohérente.
Vous avez révélé, monsieur le ministre, la nature de ce texte lorsque vous avez déclaré que « l'intérêt de la société impose nécessairement de limiter les droits des individus ».
Je rappellerai que nous construisons aussi les droits de la société en respectant les droits des individus et que la démocratie, c'est aussi la recherche permanente de l'équilibre entre le droit à la sûreté et à la sécurité et les libertés individuelles. Or, lorsqu'on ne respecte pas les droits des individus, c'est la société tout entière qui tremble et qui s'en trouve fragilisée. Cela s'appelle le corps social.
Ainsi, nous ne pouvons accepter que le juge des libertés, membre à part entière de l'autorité judiciaire, elle-même garante de la liberté individuelle, se trouve, dans votre projet, limité, pour ne pas dire contourné, dans ses compétences et ses prérogatives.
Alors que le délai fixé au juge des libertés et de la détention – JLD – pour statuer est réduit, celui dont bénéficie le procureur pour contester une décision refusant le maintien en zone d'attente est prolongé. Le procureur se voit confier les mêmes responsabilités, ou presque, qu'un préfet.
Le caractère suspensif de l'appel porte bien sur une privation de liberté : il est donc attentatoire aux droits fondamentaux. Il aura d'ailleurs pour effet de rendre extrêmement difficile l'accompagnement par les avocats des personnes concernées. Si vous vouliez démontrer que le procureur de la République relevait de l'autorité judiciaire, vous avez fait, en fait, un pas en sens inverse.
En cas de recours contre une obligation de quitter le territoire français, le juge administratif se prononcera avant le juge des libertés – sans que cela ne vous fâche nullement, monsieur le ministre. Le juge des libertés n'interviendra que dans un délai de cinq jours, alors même, comme le soulignait, là encore, notre collègue Mazetier, qu'il est le garant de la légalité des procédures engagées à l'encontre des étrangers. Vous affaiblissez encore son rôle.
Le Conseil constitutionnel ne vous a-t-il rien dit sur ce sujet, il y a quelques semaines ?
Je veux également insister sur votre interprétation, à nos yeux fallacieuse, de la directive « retour ». Celle-ci établit une gradation des mesures à prendre en vue de l'exécution de la décision de retour, en subordonnant « expressément le recours à des mesures coercitives au respect des principes de proportionnalité et d'efficacité ». Ce recours n'est pas systématique, monsieur le ministre.
Placer quelqu'un en rétention, c'est le priver de sa liberté d'aller et de venir. Ce n'est pas parce que la personne dispose d'un peu plus de confort que dans un cadre carcéral qu'elle n'est pas privée de sa liberté, puisqu'elle se trouve dans un lieu dont elle ne peut franchir la porte.