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Intervention de Élisabeth Guigou

Réunion du 4 mai 2011 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlisabeth Guigou, rapporteure :

Ce projet de loi, approuvé par le Sénat le 23 décembre dernier, vise à autoriser la ratification de la convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens. Cette convention a été le fruit d'un long travail de négociations, commencé il y a trente-cinq ans. Elle porte sur une question importante, complexe et sensible, dans la mesure où elle touche à la fois au droit d'accès au juge, à l'égalité de chacun dans l'exercice de ce droit, à la souveraineté des Etats et au droit international.

Fondée sur le principe de l'égalité souveraine des Etats, la notion d'immunité se décline en immunité de juridiction et immunité d'exécution. La première implique qu'un Etat (ainsi que ceux qui agissent en son nom) ne peut pas être jugé par la justice d'un autre Etat, la seconde signifie qu'aucune forme de contrainte ne peut être exercée contre les biens d'un Etat suite à la décision d'un autre Etat.

Pour l'heure, ces immunités relèvent principalement du droit international public coutumier et leur mise en oeuvre est déclinée par la pratique jurisprudentielle des Etats. Les juridictions nationales peuvent être amenées à prendre des décisions différentes face à des situations identiques, mais les similitudes l'emportent sur les divergences. Ainsi, le régime des immunités a progressivement évolué : autrefois absolue, l'immunité est devenue restreinte. Cette convergence des pratiques a conduit les Nations unies à lancer, au milieu des années 1970, des travaux visant à codifier le droit des immunités juridictionnelles des Etats, afin de définir précisément les exceptions au principe de l'immunité. La convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens, ainsi que les Points convenus en ce qui concerne la compréhension de certaines dispositions de la convention, qui lui sont annexés, sont le résultat de ce processus.

La convention a été adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies le 2 décembre 2004 et ouverte à la signature du 17 janvier 2005 au 17 janvier 2007. La France l'a signée le 17 janvier 2007. Cette signature peut apparaître tardive, alors même que notre pays a été très actif dans les négociations. Selon le Gouvernement, elle s'explique par le temps consacré à la consultation interministérielle, ce que la technicité du sujet explique certainement. Le projet de loi autorisant sa ratification a été déposé en juillet 2009, après un nouveau délai de plus de deux années, qui s'explique par la tenue d'une nouvelle phase de consultation interministérielle et par son examen pour avis devant le conseil d'Etat. Il faut néanmoins souligner que ni la signature de la convention ni le vote du projet de loi n'apparaissaient comme urgents, dans la mesure où, sur le fond, les solutions retenues par la convention sont conformes à la jurisprudence de la Cour de cassation.

La France a toujours plaidé pour l'adoption d'une convention à vocation universelle parce que, une fois ratifiée et entrée en vigueur, elle pourrait être appliquée directement par les tribunaux français, dont le travail serait facilité, et ainsi contribuer à assurer une meilleure sécurité juridique pour les entreprises françaises contractant avec des Etats étrangers, une fois que ceux-ci auront à leur tour ratifié la convention. A terme, la convention aura aussi pour avantage de rendre plus prévisibles les règles qui seront appliquées à notre pays dans le cas où sa responsabilité civile serait mise en cause devant un tribunal étranger.

C'est cette même préoccupation qui a conduit à l'élaboration, dans le cadre du Conseil de l'Europe, de la convention européenne sur l'immunité des Etats, signée à Bâle en 1972, en vigueur depuis 1976. Cette convention européenne n'a rencontré qu'un succès très limité puisque, près de quarante ans après sa signature, huit Etats seulement y sont parties. La France ne figure pas parmi eux. En effet, selon les informations qui m'ont été données, notre pays préférait l'élaboration d'une convention dans le cadre universel des Nations unies à l'adoption de normes régionales. Si la France était devenue partie à la convention européenne de 1972, qui est, au demeurant, moins complète que la convention des Nations unies, elle aurait pris le risque de se trouver confrontée à des dispositions conventionnelles discordantes, susceptibles de poser des difficultés d'interprétation aux juridictions nationales, alors que le but d'une convention internationale est d'harmoniser et clarifier les règles applicables.

La convention des Nations unies (comme la convention européenne, d'ailleurs) porte exclusivement sur les procédures au civil, les procédures pénales restant du ressort exclusif du droit coutumier. Elle est organisée autour de la distinction entre immunités de juridiction et immunité d'exécution. L'évolution des jurisprudences a conduit à ce que ces deux immunités soient désormais relatives : la convention fixe les cas dans lesquels l'une ou l'autre de ces immunités ne peut être invoquée ; les exceptions sont plus nombreuses pour l'immunité de juridiction que pour l'immunité d'exécution, car les mesures de contrainte constituent des atteintes plus importantes à la souveraineté d'un Etat que la simple soumission à la juridiction d'un autre Etat (puisque, en l'absence de mesure d'exécution, une condamnation est sans effet réel).

Les juridictions internes des Etats opèrent une distinction entre les activités souveraines, pour lesquelles les Etats bénéficient d'immunités juridictionnelles, et les activités privées, ne bénéficiant pas d'immunités juridictionnelles. La convention n'utilise pas ces termes, qui donneraient lieu à interprétation, mais énumère des exceptions à l'immunité, de juridiction d'une part, d'exécution d'autre part, qui recoupent largement cette distinction.

Ainsi, après avoir posé le principe de l'immunité de juridiction des Etats, la convention écarte cette immunité pour les procédures relatives aux transactions commerciales, aux atteintes à l'intégrité physique des personnes et aux dommages aux biens, à la détermination d'un droit ou intérêt de l'Etat lié à la propriété, la possession ou l'usage de biens, à la propriété intellectuelle ou industrielle, ainsi que pour les procédures relatives aux contrats de travail. Pour ces dernières néanmoins, la convention prévoit tant d'exceptions à l'exception, que, finalement, l'immunité des Etats est, en pratique, quasiment la règle.

Il faut pourtant souligner qu'un Etat n'est jamais obligé d'invoquer son immunité et qu'il peut toujours y renoncer : il m'a été indiqué que la France n'invoquait jamais l'immunité lorsqu'elle était poursuivie par un salarié recruté localement – ces salariés étant relativement nombreux dans nos postes diplomatiques et consulaires – car elle considère que ces salariés doivent bénéficier de leur droit de recours devant le juge du pays où ils exercent leur activité. C'est ainsi que notre pays est actuellement impliqué dans vingt-cinq contentieux concernant des agents de droit local devant les juridictions locales.

Pour ce qui est de l'immunité d'exécution, qui a été l'objet de débats longs et difficiles, la solution retenue dans la convention repose sur la distinction entre mesures de contrainte antérieures et postérieures au jugement.

Les mesures de contrainte antérieures au jugement (comme les saisies ou saisies-arrêts) contre les biens d'un Etat sont interdites par la convention sauf dans deux cas : si l'Etat y a expressément consenti ou s'il a réservé ou affecté des biens à la satisfaction de la demande.

L'interdiction des mesures de contrainte postérieures au jugement souffre pour sa part trois exceptions : les deux précédemment mentionnées et une troisième, spécifique. Elle concerne les mesures portant sur des biens spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par l'Etat autrement qu'à des fins de service public non commerciales, à condition que ces biens soient situés sur le territoire de l'Etat où la procédure a été engagée et aient un lien avec l'entité contre laquelle elle a été intentée.

Toutes ces stipulations peuvent apparaître très techniques. Par l'intermédiaire des jurisprudences nationales, elles sont pourtant régulièrement appliquées dans le cadre d'affaires qui défraient souvent la chronique. Peut-être vous souvenez-vous de la saisie en rade de Brest, à l'été 2004, du navire Sedov de l'Université technique d'Etat de Mourmansk dans le cadre d'un rassemblement de « vieux gréements ». La société (suisse) Noga tentait ainsi de récupérer sa créance à l'encontre de la Fédération de Russie (à la suite d'une sentence arbitrale). Le juge a prononcé la mainlevée de cette saisie au motif que le navire était, en vertu du droit russe, affecté de manière autonome à l'Université, laquelle, étant une personne distincte, ne devait pas répondre des dettes de la Fédération de Russie. Il manquait ainsi un lien entre le bien saisi et l'entité condamnée.

Cet exemple témoigne de la convergence entre les principes actuellement appliqués par la justice française et les stipulations de la convention des Nations unies. Les rares dispositions législatives françaises relatives aux immunités des Etats sont pour l'essentiel conformes à la convention. Seul un article du code monétaire et financier devra être modifié : pour l'heure, il interdit toute saisie de valeurs détenues par une banque centrale étrangère, même si l'Etat concerné y a consenti ou s'il a réservé des biens pour satisfaire la demande. Les ministères compétents n'ont toutefois pas été en mesure de m'indiquer le projet de loi à venir dans lequel ces modifications du code monétaire et financier pourraient être insérées.

Il est vrai qu'il n'y a pas d'urgence à effectuer ces ajustements puisque la convention n'entrera pas en vigueur avant un certain temps – probablement quelques années. En effet, à ce jour, seuls vingt-huit Etats ont signé la convention et onze y ont adhéré ou l'ont ratifiée. Nous sommes donc encore loin des trente Etats parties nécessaires à son entrée en vigueur. Il m'a néanmoins été signalé que plusieurs Etats européens, dont la Belgique, la Grèce et la République tchèque, avaient récemment fait état de l'avancement de leur procédure de ratification.

L'entrée en vigueur de cette convention ne va pas, on l'aura compris, modifier en profondeur les conditions dans lesquelles sont actuellement mises en oeuvre les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens : tel n'est pas son but. Elaborée dans une logique de compromis, elle vise à harmoniser les pratiques des Etats en fixant des règles claires et précises, là où s'appliquaient des jurisprudences reposant toutes sur les mêmes principes, mais variables dans leur détail. Les changements qu'elle pourrait introduire seront d'autant plus limités en France que notre pays a obtenu que la convention soit directement inspirée de sa jurisprudence.

Cela ne signifie pourtant pas que la ratification par la France de cette convention sera inutile. D'abord, lorsqu'elle sera en vigueur, les juges français l'appliqueront directement, sans plus avoir à s'interroger sur la portée de telle ou telle décision antérieure ou de tel ou tel principe coutumier ; ensuite, en devenant partie à la convention, la France confirme sa forte implication dans la négociation du texte et contribuera à accélérer son entrée en vigueur. Je suis donc tout à fait favorable à l'adoption de ce projet de loi.

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