Le cadre de référence des audits n'est pas encore définitivement fixé. Jusqu'à présent, on étudiait l'hypothèse d'un arrêt de la source électrique, d'une perte de la source froide, d'un risque sismique. La nouveauté, à Fukushima, c'est que l'accident a été provoqué par le cumul de ces trois événements. Cette éventualité sera donc pour la première fois prise en compte dans le cadre de l'audit de l'ensemble de nos centrales. De même, on prendra en considération « l'effet de falaise », c'est-à-dire la possibilité qu'il se produise un événement d'une ampleur telle qu'il provoque une dégradation rapide et irrémédiable de l'état d'un réacteur.
D'une manière générale, nos dispositifs de sûreté sont conçus, non seulement pour répondre à un problème donné, mais pour améliorer la robustesse globale des installations ; on veille à ce que le système dispose de plusieurs solutions de rattrapage. L'audit sera organisé de manière à répondre à cette exigence.
Pour évaluer le risque sismique pesant sur une centrale, on prend en considération à la fois le tremblement de terre le plus anciennement connu par des documents, dont on multiplie la puissance par cinq – c'est-à-dire que l'on ajoute 0,5 sur l'échelle de Richter, qui est logarithmique –, et les paléoséismes, c'est-à-dire les séismes encore plus anciens dont on peut retrouver la trace archéologique. Par exemple, à Fessenheim, le paléoséisme est d'une puissance inférieure à celle du séisme de référence – celui de Bâle de 1356 –, mais la situation est inverse pour le Tricastin. Ces informations sont publiées pour chaque centrale. Les données seront révisées à l'occasion de l'audit, mais celui-ci, je le répète, ne se limitera pas au risque sismique isolé.
Le problème de la sous-traitance avait été soulevé par l'ASN avant même l'accident de Fukushima – j'y vois, pour ma part, une preuve de l'indépendance de cet organisme, qui est chargé de l'inspection du travail dans les centrales nucléaires. EDF fait actuellement appel à 20 000 prestataires et sous-traitants. L'année dernière, l'ASN a considéré que cette situation n'était pas satisfaisante, d'autant que la surveillance des entreprises prestataires n'avait pas été améliorée depuis 2009 et que la sous-traitance en cascade tendait à se développer.
Ces questions seront incluses dans l'audit : le cahier des charges – qui n'est pas encore validé – comprend pour l'instant quatre points relatifs au recours à des entreprises prestataires. On demande à l'opérateur de décrire le champ des activités concernées et de justifier le recours à la sous-traitance ; les modalités de choix des prestataires, notamment les exigences en matière de qualification des entreprises sélectionnées ; les dispositions prises pour assurer de bonnes conditions d'intervention, et notamment en matière de radioprotection ; enfin, les modalités de surveillance des activités sous-traitées, en particulier la manière dont l'exploitant continue d'assumer sa propre responsabilité en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection.
S'agissant du mix énergétique, je trouve que les propos du Président de la République ont, comme souvent, été caricaturés. Il a pourtant dit très clairement que ce bouquet incluait à la fois le nucléaire et les énergies renouvelables, et il a renouvelé l'engagement de porter à 23 % la proportion des secondes d'ici à 2020. Je rappelle que l'on part de 10 %, qui correspondent essentiellement à de l'hydroélectricité ; il reste donc 13 % à créer de toutes pièces.
Nous avons commencé à le faire. Nous allons lancer, à la fin du mois de mai, un appel d'offres pour la production de trois gigawatts en éolien offshore, grâce à quoi nous espérons créer 20 000 emplois sur la façade atlantique. Cela nous permettra de nous positionner parmi les leaders mondiaux des équipements d'éolien offshore et de conjuguer les objectifs environnementaux et les objectifs en termes d'emploi – ce qui était l'un des problèmes de la filière photovoltaïque. Le Président de la République a d'ailleurs déclaré que les énergies renouvelables devaient être un domaine d'excellence, comme le nucléaire.
En outre, nous devons mettre en oeuvre l'acte II du Grenelle, un plan national pour la sobriété énergétique. L'énergie la moins chère, et la meilleure pour l'environnement, est celle que l'on ne consomme pas : je crois que nous pouvons tous tomber d'accord sur ce point.
Nous sommes en train de rédiger les décrets d'application du Grenelle de l'environnement – dont 135 décrets en Conseil d'État –, qui doivent être publiés avant la fin de l'année : c'est un travail énorme. Pourtant, on peut d'ores et déjà prévoir d'aller encore plus loin sur certains points. Pour ne citer qu'un exemple, tous les permis de construire de bâtiments collectifs déposés cette année anticipent déjà la réglementation thermique pour 2012.
Lancer l'acte II du Grenelle de l'environnement ne veut donc pas dire que l'acte I ait été un échec, mais que l'enjeu est tel qu'il faut accélérer le rythme. De surcroît, il serait bon de profiter de l'opportunité offerte par le Grand emprunt pour aller plus loin en matière de sobriété énergétique.
Autre décision majeure : le Président de la République a annoncé lundi, lors d'un déjeuner avec les ONG du Grenelle de l'environnement, qu'il y aurait un audit de la Cour des comptes sur le coût de la filière nucléaire, démantèlement inclus. Il s'agit d'une réponse à une demande ancienne des associations environnementales. Que la tâche soit confiée à la Cour des comptes souligne l'importance accordée à ce projet. On dispose déjà de premiers éléments d'appréciation. Ainsi, au 31 décembre 2009, le démantèlement des 58 réacteurs en exploitation était inscrit pour 8,7 milliards d'euros dans les provisions actualisées de l'exploitant. Ce montant, calculé sur la base de ce qu'a coûté le démantèlement de la centrale de Dampierre, est comparable à ce qui se fait aux États-Unis. Il ne tient toutefois pas compte des frais de stockage, actuellement en cours de réévaluation, qui représenteraient entre 16 et 20 milliards d'euros.
Monsieur Gaubert, j'ai dit aux Japonais qu'il était de leur intérêt que nos contrôles sur leurs produits soient très stricts. Cela ne leur fait pas plaisir, mais cela évitera une inquiétude généralisée à l'égard du made in Japan.
Monsieur Paternotte, les données dont nous disposons sur la contamination marine sont très parcellaires. Il semble qu'elle soit sensible jusqu'à plus de trente kilomètres, dans des proportions de plus de 100 becquerels par litre ; elle resterait en surface et se déplacerait lentement vers le sud.
S'agissant des poissons, les niveaux de contamination sont globalement inférieurs aux niveaux maximaux admis, mais ils varient beaucoup d'une espèce à l'autre : les lançons, par exemple, sont très contaminés. En revanche, nous ne disposons encore d'aucune donnée sur la biodiversité.
Au début de l'accident, les experts ont expliqué que les centrales à eau bouillante étaient plus dangereuses que celles à eau pressurisée. Mon sentiment, c'est qu'il s'agit d'un débat daté, qui n'intéresse que les experts, et que quand une centrale perd simultanément sa source froide et sa source électrique, il y a de toute façon du « souci à se faire », qu'elle soit à eau bouillante ou à eau pressurisée. Certes, la situation peut varier selon les caractéristiques techniques, et Fukushima rencontre certainement de ce point de vue des problèmes spécifiques. Par ailleurs, les centrales françaises ont été dotées, au fil des années, de systèmes passifs supplémentaires, avec des pompes et des alternateurs. Toutefois, il ne faut pas se cacher que la perte simultanée de la source froide et de la source électrique serait un problème partout. C'est précisément un sujet à approfondir dans le cadre de l'audit.
Si l'on va procéder d'abord à un audit général, puis à un audit centrale par centrale, monsieur Dionis du Séjour, c'est parce que des questions génériques se posent pour nos centrales qui ont été construites « en série » ; nous devons ensuite examiner les problèmes type de réacteurs par type de réacteurs avant d'aller voir de plus près comment ils sont exploités sur chaque site. On procède d'ailleurs de la même manière pour la prolongation de la durée de vie des centrales, avec une double autorisation, d'abord par modèle, puis par réacteur. Au Tricastin, cela a été fait à la fin de 2010. À Fessenheim, la revue du réacteur n° 2 est prévue pour l'été. Le Président de la République a précisé lundi aux ONG que la décision définitive concernant l'arrêt ou la prolongation de l'exploitation de cette centrale serait prise à l'issue de l'audit – sinon à quoi servirait-il ?
L'EPR sort-il renforcé de la catastrophe de Fukushima ? Ce qui est certain, c'est que chaque réacteur est différent. Par exemple, l'EPR comporte un récupérateur de corium, qui permet d'éviter, en cas de fusion du coeur, que le corium ne s'échappe et ne contamine la nappe phréatique. Il est donc prévu des dispositifs de gestion de l'accident qui n'existent pas sur les autres réacteurs ; c'est d'ailleurs pour cela que l'EPR est cher.
La baisse de disponibilité des centrales est une réalité, mais elle serait liée, selon les experts, à un défaut d'investissements au début des années 2000. Ces investissements sont aujourd'hui en forte relance.
Monsieur Cochet, il y a deux radionucléides présents dans l'eau à Fukushima : de l'iode, dont la demi-vie est très courte, et du césium, dont la demi-vie est de l'ordre de trente ans. À Tchernobyl, où une explosion a été à l'origine de l'accident, les radionucléides dangereux et très lourds qui étaient présents dans le coeur, comme le plutonium ou le strontium, ont été propulsés à plusieurs kilomètres de la centrale. À Fukushima, cela ne s'est pas produit. Selon les informations dont nous disposons, les radionucléides sont restés dans le coeur ou autour, ce sont plutôt des aérosols qui se sont échappés.
Je sais bien que l'approche probabiliste est critiquée par les experts, mais il est faux de dire qu'elle est la seule utilisée aujourd'hui. Pour ce qui le concerne, l'audit obéira à une démarche dite déterministe.
S'agissant de Gravelines, je vais saisir l'ASN, non à cause du terminal méthanier, mais à cause du dépôt pétrolier de Total. Pour le reste, nous étudions bien évidemment les interactions entre des installations voisines.
En France aussi, il est prévu qu'en cas d'accident nucléaire, on puisse augmenter la limite d'exposition pour les travailleurs. Aujourd'hui, la dose maximale autorisée est de 1 millisievert pour un particulier – en dehors des doses reçues en médecine – et de 20 millisieverts pour un travailleur du nucléaire. En cas d'accident, elle peut être portée à 100 millisieverts, voire à 300 si le travailleur est volontaire.
Au Japon, l'exposition des travailleurs aux rayonnements semble avoir été globalement bien gérée : il y a eu peu de dépassements de la limite de 250 millisievert. De ce fait, le terme de « liquidateur » est impropre : cela n'a rien à voir avec les interventions qui ont eu lieu à Tchernobyl. Il reste que cette exposition n'est pas neutre et qu'elle a même été qualifiée d'« héroïque » par la présidente de l'IRSN.
S'agissant du contrôle-commande de l'EPR, l'ASN a donné quitus à AREVA pour ce défaut.
Oui, monsieur Gatignol, nous avons des contacts directs avec le Japon, mais ils sont un peu laborieux. C'est pourquoi nous utilisons plusieurs canaux – le canal diplomatique officiel, le canal industriel et le canal des chercheurs et des experts – afin d'avoir une meilleure compréhension des événements.
Il est normal que la France n'ait pas été sollicitée dans les premiers jours, puisqu'il n'y a pas de réacteur à eau bouillante dans notre pays. En revanche, nous savons gérer l'eau contaminée. AREVA n'a pas été la seule à proposer une aide technique : tous les acteurs français du nucléaire l'ont fait. Pour l'analyse radiologique, nous avons mis à la disposition de TEPCO des équipements et proposé une formation à son personnel ; nous avons mis en avant nos compétences en robotique, pour prélever et traiter les effluents ; nous avons proposé notre aide pour la dépollution des sols et la gestion de la zone contaminée. L'IRSN, qui dispose d'une représentation permanente sur le site de Tchernobyl, a en effet développé une compétence très particulière dans le domaine de l'épidémiologie et de la dynamique de la contamination de la faune, du sol et de la flore par des radioéléments. Sur ce point, la coopération avec les Japonais est moins avancée, mais il est vrai qu'ils sont encore dans la gestion de crise. Nous avons également proposé notre savoir-faire en médecine nucléaire ; toutefois, l'exposition des travailleurs ayant été bien traitée, il ne semble pas y avoir de besoins dans ce domaine.
Monsieur Pancher, les commissions locales d'information (CLI) sont financées, sur projet, par l'ASN, par les conseils généraux et, éventuellement, par d'autres collectivités. La loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire permet également de flécher vers ces commissions la taxe sur les installations nucléaires de base. Cette disposition n'a pas été encore mise en oeuvre faute de besoin avéré, mais, hier, le maire de Gravelines en a fait la demande pour sa CLI.
Monsieur Plisson, je ne veux pas nourrir la polémique sur les énergies renouvelables. Je répète que, quel que soit le point de vue que l'on ait sur l'avenir de la filière, un désinvestissement dans le nucléaire serait problématique du point de vue de la sûreté, car il y aurait un déficit d'ingénieurs qui se préoccuperaient de l'état de nos centrales. C'est d'ailleurs le sens du message qu'a délivré hier le Président de la République. Quoi qu'on pense de l'EPR, les projets actuels irriguent tout un écosystème universitaire et industriel.
Monsieur Léonard, il existe des modélisations des conséquences des accidents sur l'atmosphère, mais pas en ce qui concerne les estuaires. Peut-être faudrait-il se pencher sur la question. En tout cas, les modélisations qui ont été faites sont publiques. Il faut également savoir que, grâce à l'IRSN, la France est le pays le plus avancé au monde en la matière. Nous souhaitons mettre cette compétence à la disposition des Japonais.
Madame Massat, nous sommes favorables au renforcement des pouvoirs de l'AIEA. Je l'ai dit à son directeur général, Yukiya Amano, qui était de passage en France la semaine dernière. Créer une dynamique en ce sens fait partie de nos objectifs pour les prochains sommets du G 8 et du G 20 ainsi que pour la conférence de Vienne.
Je ne trouve pas que l'ASN en fasse trop. Nous n'envisageons pas de revoir ses compétences à la baisse ; au contraire, nous souhaitons promouvoir à l'international ce modèle d'autorité indépendante garante de la sûreté nucléaire. De surcroît, l'audit entraînera probablement un renforcement de l'institution.
Il n'y a pas eu réduction du budget de l'IRSN, mais substitution d'une taxe à une part de financement d'État ; il est en effet bon que les exploitants payent une partie des coûts générés par leur activité. J'envisage même de proposer une réorientation de certains crédits des investissements d'avenir vers la sûreté nucléaire, pour couvrir les frais liés à l'accident et à l'audit.
S'agissant du tarif de l'ARENH, ce dossier ne relève pas de la compétence du ministre de l'écologie. Pour ce que j'en sais, le retour d'expérience de l'accident de Fukushima n'a pas été pris en considération, pour la bonne raison qu'il n'a pas encore été effectué.
Monsieur Nicolas, les propos de M. Lacoste ne me surprennent guère, dans la mesure où cela correspond à une logique d'acteurs. Il reste que les préconisations de l'ASN s'imposent à tous, publics comme privés. Parfois, comme à Gravelines, nous sommes même demandeurs.
Monsieur Dumas, le Président de la République a confirmé que l'audit français serait ouvert à une multitude d'expertises, sous la direction de l'ASN, et des expertises croisées sont prévues dans le cadre de l'audit européen. Il est donc possible que des experts allemands viennent chez nous. Toutefois, la définition du cadre de référence de l'audit est beaucoup moins avancée à l'échelon européen qu'en France – ce qui risque de poser un problème si l'on veut avoir les résultats des stress tests avant Noël. Par ailleurs, des démarches de ce type existent déjà : ainsi, l'autorité de sûreté suisse est régulièrement invitée sur le site de Fessenheim.
Monsieur Tardy, les piscines étant des installations nucléaires de base, elles seront concernées par l'audit de sûreté. On examinera à cette occasion ce qui peut se passer en cas de coupure d'eau ou d'électricité. On peut d'ores et déjà remarquer que chaque réacteur possède une réserve d'eau très importante et qu'il existe des procédures dites « ultimes » permettant de réalimenter les piscines directement à partir de la mer ou du fleuve.
Monsieur Le Nay, s'agissant des poissons contaminés, le ministère de l'agriculture a mis en place un contrôle intégral, qui va plus loin que la recommandation de prudence faite par la Commission européenne.
Madame Gaillard, la date de péremption figurant sur les pastilles d'iode résulte d'une obligation légale. Toutefois, il s'agit, par définition, d'iode stable et son efficacité n'est donc pas en cause.