Messieurs les présidents, mesdames et messieurs les commissaires, je n'avais pu participer à la précédente audition car j'accompagnais le Président de la République au Japon. Depuis lors, la situation a évolué, notamment en matière d'audit de sûreté et de travaux internationaux.
L'incident nucléaire de Fukushima n'est pas clos. Il durera probablement encore des mois. On ne pourra le considérer comme achevé – s'agissant de l'accident à proprement parler – que lorsque sera rétabli un circuit de refroidissement des réacteurs pérenne, c'est-à-dire fermé. Ce n'est toujours pas le cas. L'eau se trouvant, dans ce type de réacteur à eau bouillante, au contact direct du coeur – contrairement aux réacteurs à eau pressurisée utilisés en France, où il y a un échange thermique entre un circuit primaire et un circuit secondaire –, elle ressort contaminée. Pour l'heure, il faut donc la stocker en vue d'une décontamination ; et pour libérer de nouvelles capacités de stockage, les Japonais sont obligés de rejeter dans l'océan la part la moins contaminée.
La situation peut être aujourd'hui considérée comme stationnaire – ce qui est en soi une bonne nouvelle, puisque plus le temps passe, plus le réacteur se refroidit. Elle reste toutefois fragile, notamment en raison de la présence de combustible irradié dans les piscines, et parce que l'éventualité d'un nouveau séisme n'est pas à exclure. Or le site est fragilisé.
Deux questions se posent, par conséquent : quand réussira-t-on à rétablir un circuit fermé ? Que faire de l'eau contaminée, si l'on veut éviter de la rejeter dans l'océan ?
C'est sur ce deuxième point que la France, à travers un consortium EDF-AREVA-CEA, a fait une offre de service, pour réaliser des prélèvements et des analyses de l'eau contaminée à l'aide de robots. Les Japonais ont accepté cette offre et ont, par ailleurs, signé un contrat avec AREVA pour le traitement sur place des eaux contaminées, grâce à une technologie développée lors du démantèlement des installations de Marcoule.
Je profite de cette audition pour vous transmettre mes impressions au retour du Japon. J'ai ressenti, chez tous mes interlocuteurs, une grande inquiétude d'être mis au ban du monde à cause de cet accident. Dans les camps de réfugiés, les gens craignent d'être stigmatisés et vivent leur statut de victimes de manière honteuse. Au Gouvernement, on craint que les produits d'exportation ne soient plus acceptés, que les étrangers ne veuillent plus venir, bref, qu'à la catastrophe naturelle et nucléaire s'ajoute une deuxième peine, économique. Nous leur avons proposé une sorte de contrat de confiance, une multiplication des contrôles devant permettre de rassurer leurs clients et d'éviter le rejet systématique des produits japonais.
Cela nous a amenés à mettre en place un contrôle systématique sur les produits alimentaires japonais – dont les quantités sont au reste assez modestes – et un contrôle par échantillonnage sur les autres. À ce jour, aucune anomalie significative n'a été relevée. En revanche, certains secteurs de notre économie peuvent être soumis à une certaine pression en raison des événements : par exemple, beaucoup de leurs pièces venant du Japon, les constructeurs automobiles, qui travaillent en flux tendus, sont actuellement confrontés à des problèmes d'approvisionnement.
La contamination aux abords de la centrale est plus importante qu'on ne le croyait dans les premiers jours. Toutefois, il convient d'être précis en la matière, car les chiffres globaux, pour intéressants qu'ils soient, ne reflètent pas nécessairement la réalité en tous lieux. Quand on dit que la radioactivité relâchée par la centrale de Fukushima représente 10 % de celle de Tchernobyl, cela n'épuise pas le sujet, car le vrai problème est de savoir quelle est la durée de vie des radionucléides et si la contamination se fait en cercles concentriques ou en taches de léopard. On a mis en place une zone d'exclusion autour de Fukushima, mais les premières analyses tendent à montrer que la contamination serait plutôt en étoile, en raison de l'action des vents et de la pluie. Il faudrait procéder à des évaluations plus précises pour déterminer en chaque endroit jusqu'à quelle échéance des mesures de protection de la population s'imposeront, ou quelles activités y seront possibles. Ce qui est certain, c'est qu'il existe une vaste zone dans laquelle il sera difficile de vivre durant de nombreuses années. D'ailleurs, la zone d'exclusion autour de Tchernobyl existe toujours au bout de vingt-cinq ans et, même si les deux accidents ne sont pas tout à fait comparables, il est à craindre qu'en termes de contamination, l'accident de Fukushima ne fasse très longtemps sentir ses effets.
L'évolution des masses d'air contaminées a été suivie avec beaucoup d'attention par l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et par ses homologues des autres pays. Les mesures et les modélisations réalisées par les uns et les autres sont cohérentes ; elles aboutissent à la conclusion que les niveaux détectés, non seulement en Europe, mais aussi aux Antilles et à Saint-Pierre-et-Miquelon sont négligeables et ne présentent aucun risque sanitaire. Contrairement à Tchernobyl, il ne s'agit pas d'un « nuage », mais plutôt de traces de radioactivité. Compte tenu des défauts de communication des autorités au moment de l'accident ukrainien, nous avons néanmoins tenu à ce que les Français soient informés.
Les événements au Japon nous ont conduits à nous interroger sur nos propres centrales. C'est pourquoi le Premier ministre a demandé, par une lettre du 23 mars adressée au président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), un audit sur l'ensemble des installations nucléaires civiles de base – en priorité les réacteurs mais cela concerne également La Hague. Il a été demandé à l'ASN d'élaborer un cahier des charges. Des échanges ont eu lieu entre elle et le Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire, qui vient de lui rendre son avis. Celui-ci sera pris en compte dans le cahier des charges prescrit aux exploitants, lesquels devront remettre un dossier en septembre. L'ASN rendra un premier avis global avant la fin de l'année, puis débutera un audit centrale par centrale, qui sera nécessairement plus long.
Ce travail sera décliné à l'échelon européen. Même si le cahier des charges de l'audit européen n'est pas encore défini et pourrait être légèrement différent du nôtre, l'objectif est identique dans les deux cas : il s'agit d'accroître la sûreté nucléaire. Le Président de la République a souhaité que ce soit l'une des premières préoccupations du G 8, lors de sa réunion de Deauville à la fin de mai : la France proposera une déclaration des chefs d'État sur le sujet. Les étapes suivantes seront, dans le cadre de la présidence française du G 20, une réunion interministérielle le 7 juin et une réunion des autorités de sûreté nucléaire le lendemain, à Paris. Nous tâcherons de profiter de la dynamique enclenchée dans le cadre du G 8 pour présenter aux pays du G 20 des mesures en faveur d'une meilleure sûreté nucléaire, notre but étant de les soumettre à la réunion de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) qui se tiendra du 20 au 24 juin à Vienne. Nous proposons notamment la création d'une force d'intervention mutualisée pour intervenir rapidement en cas d'accident, au niveau mondial et régional, sur le modèle de ce qui se fait pour les feux de forêt en Europe. Nous incitons également au renforcement de l'indépendance des autorités de sûreté : si la France, qui a beaucoup appris de Tchernobyl, bénéficie d'une autorité de sûreté indépendante, ce n'est pas le cas de tous les pays ; l'AIEA, qui se contentait jusqu'à aujourd'hui d'exiger que les autorités de sûreté aient « un comportement indépendant », est prête à nous soutenir dans ce combat. De plus, nous souhaiterions imposer une certification des modèles de réacteurs avant leur installation ; aujourd'hui, seuls les États-Unis le font.
S'agissant de l'intervention des prestataires, cette question ayant été soulevée par l'ASN avant l'accident de Fukushima, le cahier des charges de l'audit comprend d'ores et déjà des éléments sur le mode de relations entre l'opérateur et ses sous-traitants, y compris en cas de sous-traitance « en cascade ». Il s'agit d'un des points sur lesquels nous envisageons d'aller plus loin que l'audit européen.