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Intervention de Gérard Longuet

Réunion du 3 mai 2011 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants :

Cette audition permettra au ministre récent que je suis de vous présenter une vision globale de l'action de mon ministère. En tant qu'ancien parlementaire – lors de ma première élection à l'Assemblée nationale, le président de la Commission de la défense nationale et des forces armées n'était autre que Marcel Bigeard – je sais que cette commission a toujours été un lieu où la politique de défense se construit dans la concertation. Depuis la loi des trois ans de 1913, les parlementaires ont toujours été associés aux grands rendez-vous de la construction de notre système de défense.

Nous avons une mission d'action mais aussi une mission de concertation et de mise en oeuvre. Celle-ci est tributaire de la réflexion et des échanges que nous menons avec les commissions parlementaires sur des sujets de long terme qui se transmettent de législature en législature, voire de majorité en majorité.

Depuis deux mois, les très nombreux contacts que j'ai eus avec les personnels civils et militaires de la défense, avec des institutions comme le Conseil supérieur de la fonction militaire, avec l'ensemble des organisations syndicales m'ont permis d'aborder plusieurs des thèmes que vous avez mentionnés. Ceux-ci m'ont été également présentés par les cadres du ministère et par les industriels de la défense.

Mon intervention s'articulera autour de trois observations.

Premièrement, les promesses faites hier sont aujourd'hui des engagements tenus. Les parlementaires y ont été largement associés via la réflexion sur le Livre blanc jusqu'en juin 2008 et la loi de programmation militaire pour 2009-2014. Les grandes fonctions stratégiques – connaissance et anticipation, prévention, dissuasion, protection et intervention – vous sont familières : elles ont été au coeur de vos débats.

La réforme profonde du ministère, fondée sur la diminution des effectifs, le regroupement d'unités et l'organisation en bases de défense, s'est traduite par des mouvements spectaculaires dont nous avons été, en tant qu'élus de terrain, les partenaires et parfois, il faut le reconnaître, les victimes. L'effort demandé a été particulièrement difficile pour les personnels : réduction de 54 000 postes civils et militaires, fermeture de 82 unités, dont 20 régiments sur 110, et de 11 bases aériennes sur 37. Je rends hommage à mes prédécesseurs, Hervé Morin et Alain Juppé, acteurs principaux de cette restructuration dont je suis le continuateur.

Les dividendes de la réforme, je tiens à le souligner, ont été totalement réinvestis au profit, d'une part, de la condition du personnel et, d'autre part, des équipements. Sans doute aurez-vous mesuré au cours de votre mission en Afghanistan, monsieur le Président, combien la préparation des forces et les équipements des combattants s'étaient améliorés.

Néanmoins, cette restructuration est très contraignante sur le plan humain. Les militaires ont la réputation d'être silencieux. Pour autant, cela ne les empêche pas de souffrir, de s'inquiéter, de s'étonner. Ils s'adaptent dans des conditions qui pèsent sur leur vie personnelle et sur la vie de leur famille. Ainsi, certaines unités partant au combat auront changé de garnison à leur retour, ce qui peut être déstabilisant pour eux. Plus que les autres, les personnels engagés dans les OPEX mesurent la qualité de la réforme à l'aune de celle de leur préparation et de leur équipement. Tous souhaitent que cette restructuration soit, sinon « la der des der », du moins une étape stable procédant d'une vision de long terme. Ils ont raison de le demander et nous aurions raison de leur répondre favorablement. C'est une réflexion de long terme qui a présidé à la réforme, et nous serons au rendez-vous de 2012 prévu par le Livre blanc.

Plus de 238 millions d'euros ont été consacrés à l'accompagnement individuel des personnels pour leur départ du ministère, leur mobilité ou leur reclassement. La réforme statutaire et indiciaire s'est traduite, entre 2008 et 2011, par des efforts catégoriels à hauteur de 221 millions. Des efforts significatifs ont notamment été consentis pour « accrocher » les jeunes officiers à leur carrière.

Pour ce qui est des réinvestissements dans des matériels nouveaux, on peut évoquer les VBCI – véhicules blindés de combat d'infanterie –, le canon Caesar, qui apparaît comme une réponse judicieuse aux besoins de soutien de l'infanterie, le VAB – véhicule de l'avant blindé – téléopéré, qui est adapté aux combats dans lesquels nous sommes engagés, ou la mise en place de la tenue FELIN – fantassin à équipements et liaisons intégrés –, dernier maillon de la numérisation du théâtre d'opérations.

J'ajoute que nous avons mis en place pour les besoins spécifiques de l'Afghanistan – bien que cela ne soit pas encore totalement satisfaisant – des véhicules d'ouverture d'itinéraire pour lutter contre les engins explosifs improvisés.

Vous avez évoqué le Rafale, monsieur le Président. Je me contenterai d'indiquer que cet appareil est actuellement employé en Libye et que l'on peut mesurer la différence entre un avion polyvalent, capable de faire de la reconnaissance, du combat aérien et de l'attaque au sol, et les systèmes concurrents qui font appel à plusieurs types d'appareils et ne permettent pas à certaines aviations alliées d'accomplir leur mission.

L'aéromobilité est un devoir absolu. C'est pourquoi l'arrivée de l'A400M est très importante.

En matière de forces maritimes, je ne reviendrai pas sur la mise en oeuvre des FREMM – frégates européennes multimissions – et des frégates Horizon.

L'amélioration de la préparation opérationnelle des forces, rendue possible par des effectifs réduits et mieux formés, est la condition de la réussite de nos OPEX.

J'ajoute que la culture du maintien en condition opérationnelle est désormais partagée par les trois armes, ce qui permet une maintenance mutualisée interarmées conformément à la nature même des OPEX : les officiers d'armes et de cultures différentes sont confrontés à des problèmes de même type et les bonnes solutions des uns peuvent se révéler utiles aux autres.

Notre armée est au rendez-vous des missions qui lui ont été récemment confiées. C'est ainsi que le général Petraeus, cet officier américain francophile et francophone – il a du reste été très influencé par les écrits d'un militaire français, le lieutenant-colonel Galula – auquel j'ai récemment remis les insignes de commandeur de la légion d'honneur et qui vient d'être nommé à la tête de la CIA, a émis un commentaire très positif sur la Task Force La Fayette.

J'en viens aux choix opérationnels en matière aérienne. Si nous avons évité le pire à Benghazi, c'est parce que l'aviation française a pu agir avant que ne soient mêlés, dans les faubourgs de la ville, des blindés gouvernementaux et des forces insurgées : les frappes sont intervenues dans les heures qui ont suivi la résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies, alors que les blindés étaient encore à l'extérieur de la ville, donc suffisamment isolés et identifiables comme objectifs. Avec l'AWACS, le ravitaillement en vol et les systèmes d'identification, nous avons pu prendre un risque qu'aucune autre armée de l'air n'aurait pris : intervenir au sol avant que n'aient été détruits tous les systèmes sol-air, préalable que certains de nos grands alliés posent à toute intervention. Ainsi, Benghazi se voit épargner la situation de Misrata, où le mélange des combattants rend toute intervention aérienne très difficile.

Deuxième observation : si les engagements ont été tenus, nous ne saurions affirmer pour autant que nous sommes satisfaits et sereins. La mise en oeuvre du Livre blanc et de la loi de programmation ainsi que notre participation à différents théâtres d'opérations ont révélé des points sur lesquels nous devons faire porter notre effort.

Les opérations extérieures font apparaître deux faiblesses principales.

D'une part, nous ne disposons pas de drones d'observation MALE – moyenne altitude longue endurance – de qualité suffisante. Or ces drones sont des compléments indispensables à la numérisation du théâtre d'opérations.

D'autre part, en matière d'aéromobilité, la flotte des Transall et des Hercule est vieillissante et leur entretien coûte de plus en plus cher. Les Airbus A400M seront donc vraiment les bienvenus – le premier appareil sera livré en 2013. Sous leur apparence traditionnelle, les A400M sont des avions multirôles dont nous avons grandement besoin.

En ce qui concerne les hélicoptères de manoeuvre, l'acquisition des Caracal a apporté un peu d'air. Nous attendons avec impatience les NH90 car les Puma sont très anciens.

Par ailleurs, la mise en oeuvre des bases de défense me semble être une excellente réforme qu'il faut laisser mûrir. Comme toutes les réformes, elle est contestée et perfectible. Le schéma retenu aujourd'hui comporte 60 bases – 51 en métropole, 5 outre-mer et 4 à l'étranger. Lors du lancement de l'opération Harmattan en Libye, par exemple, nous avons constaté que le dispositif des bases de défense savait s'adapter aux contraintes opérationnelles les plus exigeantes. On a pu mesurer ses apports, ainsi la base de Marseille, à dominante terrestre, a-t-elle contribué pour la première fois à la mobilisation du groupe aéronaval, orchestrée par la base de défense de Toulon dans un délai record.

Bref, le dispositif est en train de prendre forme. On est en droit de rechercher l'optimisation du nombre de bases, mais on ne le réduira certainement pas à 20 comme certains le disent.

Autre point, le service de santé des armées. C'est un service remarquable par sa qualité et par l'engagement de ses personnels. Cela étant, nous devons rechercher une optimisation de ses moyens. À mes yeux, il faut maintenir les outils irremplaçables que sont les HIA – hôpitaux d'instruction des armées. S'ils ne sauraient ignorer les contraintes qui pèsent sur l'organisation générale de la santé, ils sont avant tout des outils d'une politique de défense. Je m'opposerai à leur banalisation dans le cadre du nouveau système des agences régionales de santé – ARS. Les combattants doivent être équipés et formés, ils doivent également être secourus dans les meilleures conditions en cas de besoin. Les engins explosifs improvisés, notamment, laissent des séquelles graves. La vie des jeunes gens blessés est définitivement déséquilibrée et il faut les aider à se reconstruire. Il me paraît normal de consentir cet effort en faveur des personnes qui ont choisi de servir la France.

Nous devons également prendre en compte des menaces sécuritaires qui ont peut-être été mal évaluées dans le Livre blanc, en particulier le problème nouveau de l'insécurité maritime. L'utilisation généralisée des mers, du fait de la mondialisation, a suscité un renouveau de la piraterie, qui exige une réponse des grandes nations. En France, il faut relancer un élan interministériel. Beaucoup de ministères s'intéressent à la mer mais peu veulent partager l'effort !

En matière d'industrie de défense, enfin, le contexte se caractérise par une baisse des crédits partout en Europe et par l'ouverture prochaine des marchés nationaux à la concurrence. Même si la transposition de la directive en droit français crée des conditions raisonnables et maîtrisées, nous devons être très attentifs.

Nous sommes engagés dans la réalisation du contrat capacitaire des armées. Le risque, avec la montée en puissance des investissements pour ces programmes, est une réduction concomitante des investissements dans l'innovation, qui pourrait faire disparaître notre capacité d'innovation, détenue par un petit nombre de bureaux d'études extrêmement compétents. Il nous faut donc maintenir l'investissement dans cette direction en dégageant trois priorités pour la période 2011-2014 : la dissuasion – du reste, la capacité d'innovation en est une partie intégrante – ; la coopération avec le Royaume-Uni pour les drones ; l'offre technique de la France à l'OTAN dans le cadre de la défense antimissile balistique.

Pour financer les capacités d'innovation, il faut maintenir le volume de production. S'agissant du Rafale, le rythme actuel de livraison – 11 avions par an – correspond au niveau minimum pour maintenir la chaîne de production.

Pour ce qui est de l'émergence de champions nationaux, faire du mécano industriel me paraît incompatible avec la fonction, par nature précaire, de ministre. Pour ma part, je m'y refuse. En revanche, je soutiens toutes les opportunités qui se présentent, par exemple le transfert de l'activité matériaux énergétiques de la SNPE à Safran. Lorsque nous constatons des redondances entre les groupes industriels français, nous les encourageons à se parler. C'est notre intérêt, puisque l'État est actionnaire de la plupart d'entre eux.

Si l'accord franco-britannique a permis de relancer nos partenariats européens, j'éprouve une certaine déception quant à la coopération franco-allemande, pour laquelle des initiatives restent à prendre.

Par ailleurs, je soutiens totalement l'idée, lancée par mes prédécesseurs, de « solidarité de filière » : les champions nationaux, tels Thales, Safran, EADS, Dassault, Nexter, DCNS, ont le devoir d'entretenir avec les entreprises de taille intermédiaire et les PME, qui sont près de 4 000 dans le secteur de l'armement, des relations qui ne reposent pas sur le principe de l'étranglement. Le transfert de la SIMMAD – Structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère de la défense – à Bordeaux traduit notre volonté de soutenir cette orientation en Aquitaine et en Midi-Pyrénées.

Ma troisième observation a trait aux effets de la crise sur les pays d'Europe occidentale. L'impact conjoncturel sur les budgets de défense risque-t-il de remettre en cause les perspectives cohérentes que je vous ai présentées ?

À court terme se pose la question des OPEX. Celles de 2010 ont été financées par le budget prévisionnel correspondant, par une participation des Nations Unies et, en fin d'année, par une dotation budgétaire de fin de parcours qui nous a évité de ponctionner les crédits d'équipement. En 2011, la situation est quelque peu tendue. Le coût des opérations en Afghanistan est élevé mais prévisible. Celui de notre présence en Côte d'Ivoire s'inscrit dans le fonctionnement habituel. Pour ce qui est de la Libye, nous opérons à partir de bases continentales et insulaires, qui sont budgétairement hors OPEX et aussi à partir du porte-avions. Pour autant, si les opérations devaient se prolonger, un problème de financement se poserait inéluctablement en fin d'année, sachant que la loi de finances initiale a prévu une provision de 630 millions d'euros, alors que, notre prévision de dépenses au titre des OPEX s'élève à 900 millions sans prise en compte de l'opération en Libye.

À plus long terme, la révision de la loi de programmation militaire et du Livre blanc devra s'inscrire dans les perspectives économiques et budgétaires des cinq années qui suivront 2012. Il serait irresponsable de ma part d'affirmer que rien ne sera possible ou que tout sera facile à partir de 2014. Mais nous ne pourrons nous exonérer, en 2012, d'une réflexion sur notre capacité à poursuivre le financement dans la période 2014-2020, surtout si l'on tient pour certaines les contraintes liées à notre appartenance à une monnaie commune.

Permettez-moi, à cet égard, de vous livrer un sentiment personnel inspiré par mes contacts avec des responsables européens au sujet de l'affaire Libyenne : alors que la France et le Royaume-Uni font un réel effort de défense au profit de pays dont les économies sont comparables mais qui ne font pas cet effort, l'application à tous de la règle des 3 % de PIB pour le déficit public mérite à tout le moins un débat européen !

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