Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle que nous examinons est problématique à bien des égards d'abord du fait de ses motivations. Ainsi il y aurait une sorte de malédiction française, dont ce gouvernement, loin d'avoir péché par manque de volonté politique, notamment dans la maîtrise de la dépense fiscale, serait la dernière victime en date. Il s'agirait désormais de briser cette malédiction sans, encore une fois, avoir été capable d'en nommer l'origine.
Le caractère artificiel du raisonnement est manifeste et trahit l'opération de communication politique qu'elle tente de dissimuler. Toutefois là n'est pas l'essentiel.
L'essentiel est plutôt ce goût nouveau, inusité dans votre famille politique, pour la règle. En effet, alors que votre corpus idéologique – je parle, bien sûr, de l'aile sarkozyste de la majorité – vous pousse par principe à refuser l'instauration de règles en vous reposant sur la bonne volonté des acteurs, vous semblez considérer que la règle est ici nécessaire. À cet égard, je citerai les propos tenus par Valérie Rosso-Debord en commission des affaires sociales : « La vertu ne naît que de la contrainte. » Il aurait fallu s'en souvenir au moment du plan de sauvetage des banques. Vous auriez peut-être alors obtenu des résultats en matière de financement des entreprises plus conformes aux risques que vous faisiez courir aux finances publiques.
Vous répondrez que notre préférence traditionnelle pour la régulation devrait également s'appliquer en matière de finances publiques. La différence est que, en l'occurrence, il s'agit non pas de réguler le jeu de tel ou tel acteur de l'économie mais de borner, ou plutôt de brider, la liberté de vote du législateur budgétaire, élu au suffrage universel. En effet c'est bien là la caractéristique majeure de ce projet de loi : la méfiance à l'égard du parlementaire. L'examen du texte en commission des finances me paraît symptomatique de cet état de fait.
Alors que nous débattions d'un amendement du président de la commission des finances, qui proposait simplement que la recevabilité au titre de l'article 40 soit examinée dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui, mais à la demande du Gouvernement au lieu de l'être automatiquement, notre collègue Jérôme Chartier a estimé que cela reviendrait à encourager l'irresponsabilité des parlementaires. Comme si les parlementaires avaient un besoin irrépressible de présenter des amendements contraires à l'article 40, et comme si présenter un amendement contraire à cet article, donc voué à disparaître, était par nature irresponsable ! Pour être clair, non seulement le parlementaire doit être contraint dans les dispositions qu'il peut adopter, mais il doit l'être aussi dans celle qu'il peut proposer.
C'est la même conception qui guide le Gouvernement lorsqu'il demande, par ce projet de loi, que le législateur constituant bride le législateur budgétaire. C'est ce à quoi conduira, par exemple, le monopole des lois de finances et de financement.
Pour prendre un exemple actuel, le projet du Gouvernement de prime exonérée de cotisations sociales devrait être présenté dans une loi de financement. Dans ces conditions, tous les amendements qui feraient des propositions alternatives, par exemple l'extension de la participation aux entreprises de moins de cinquante salariés, seraient considérés comme des cavaliers. On voit bien que la capacité du Parlement d'influer sur les projets de loi déposés par l'exécutif régresserait. Ce n'est d'ailleurs pas le seul risque de ce texte, puisque les dispositions relatives à l'équilibre des finances publiques devront être définies par une loi organique dont le Parlement ne sait rien. Le ministre a même refusé en commission d'indiquer la définition que le Gouvernement entendait donner au terme d'équilibre.
Autrement dit, ce qui est demandé ici, c'est que les parlementaires se brident eux-mêmes, alors même qu'ils sont censés incarner la volonté générale. Cela traduit une conception du Parlement que l'on pourrait qualifier de bonapartiste, qui ne voit dans le Parlement au mieux qu'une chambre d'enregistrement, au pire qu'un lieu d'irresponsables nécessairement enclins au déficit. Cette conception n'est pas la nôtre.
Nous pensons que rien ne justifie de brider à nouveau les pouvoirs du Parlement dans une Constitution qui, depuis l'origine, n'a fait de place au parlementarisme qu'après l'avoir rationalisé ; rien, car le gouvernement Jospin a prouvé que la maîtrise des comptes ne nécessitait pas une nouvelle modification de la Constitution ; rien, car on ne sait toujours pas comment le Gouvernement prétend expliquer la quasi-constance de l'augmentation de la dette publique depuis trente ans. Cette question centrale me paraît être le grand impensé de cette réforme.
En ce qui me concerne, je considère que si la dette publique a augmenté aussi longtemps, c'est que ses conséquences néfastes n'ont pas été exposées clairement aux Français. C'est pourquoi je pense que ceux qui souhaitent vraiment que l'amélioration de nos finances publiques soit une priorité doivent d'abord réussir à l'imposer comme telle dans le débat public, sinon les Français lui préféreront toujours d'autres urgences, plus ou moins légitimes.
L'histoire récente l'a bien montré. En effet, alors même qu'en 2006 la commission Pébereau avait établi le diagnostic de la gravité de notre endettement et conclu qu'il ne fallait plus baisser les impôts, le candidat élu en 2007 a été celui qui proposait de diminuer de quatre points le taux de prélèvements obligatoires, malgré les réserves du rapporteur général du budget d'alors.
Chercher à forcer ce qui demeure notre pacte constitutionnel sans un large consensus dans notre société ne pourra donner lieu – le dernier débat sur la CADES l'a montré et M. Warsman s'en souvient – qu'à des gesticulations sans autre lendemain que des relaps, assumés ou non. C'est pourquoi nous voterons contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)