On peut lire, dans l'excellent rapport du président de la commission des lois, que le Conseil constitutionnel devra s'assurer non seulement du réalisme des prévisions économiques retenues, notamment la croissance du PIB et l'élasticité des recettes – je précise que sur ce point, je dois me reporter au rapport de Gilles Carrez pour distinguer l'élasticité conventionnelle de l'élasticité effective. Le Conseil constitutionnel devra également vérifier « la crédibilité des comportements attendus des différents acteurs publics – afin d'éviter par exemple que les efforts demandés au législateur financier ne soient minorés par des perspectives excessivement optimistes » de modération des dépenses locales ou d'amélioration de la situation financière de l'assurance-chômage.
Autrement dit, le Conseil constitutionnel devra définir un nouveau principe d'équilibre des comptes des administrations publiques en appréciant les parts respectives des évolutions discrétionnaires et des évolutions conjoncturelles. Ce n'est pas faire injure au Conseil constitutionnel, dont nous apprécions d'ailleurs les initiatives et la personne de son président, que de souligner que cette institution n'est pas adaptée au nouveau rôle qu'on entend lui confier.
D'ailleurs, chaque année, les rapports de la Cour des comptes ne manquent pas d'observations pertinentes que le Gouvernement serait bien avisé de suivre davantage. Parmi ces observations ignorées par le Gouvernement, il faut évoquer les diminutions de recettes fiscales – une véritable « hémorragie », pour reprendre le terme de Gilles Carrez. Entre 2000 et 2009, les baisses d'impôts ont atteint un montant compris entre 101 et 119 milliards d'euros, soit entre 5 % et 6 % du PIB. Si l'on y ajoute les 25 milliards d'euros supplémentaires des années 2010 et 2011, principalement à la suite de la réforme de la taxe professionnelle, qui constitue selon Gilles Carrez « un allégement historique de la pression fiscale sur les entreprises », les diminutions de recettes fiscales représentent, au total, près de huit points du PIB, soit le niveau du déficit actuel.
Il est donc évident que l'on ne pourra pas atteindre l'équilibre des finances publiques sans une augmentation des impôts. Prétendre le contraire, comme le fait le Gouvernement, ce n'est pas seulement mentir, c'est afficher que l'on n'a pas la volonté politique réelle de revenir à l'équilibre. Puisque tout à l'heure, le président de la commission des lois a cité Mendès France, je voudrais pour ma part citer Charles Péguy : « dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, dire bêtement la vérité bête, ennuyeusement la vérité ennuyeuse, tristement la vérité triste ». La vérité triste, c'est qu'il nous faudra augmenter les impôts si nous voulons résoudre le problème d'équilibre des finances publiques auquel nous sommes confrontés.
J'ajoute que les modalités d'application de ce texte feront l'objet d'une loi organique dont on ignore tout ! Or, on voit bien, à lire les rapports de la commission des finances et de la commission des lois, que plusieurs options sont possibles et que des divergences d'appréciation se font jour, notamment entre les propositions du rapport Camdessus et les propositions du Gouvernement quant aux modalités pratiques de cette loi organique.
Je me permets de vous rappeler, mes chers collègues, que les modalités pratiques de la révision constitutionnelle proposée sont importantes. Nous avons pu le constater lors de l'instauration du Défenseur des droits : la loi organique qui a traduit concrètement l'organisation et le fonctionnement du Défenseur des droits n'avait plus rien à voir avec la réforme constitutionnelle très floue précédemment adoptée. Il est regrettable que le Gouvernement ne soit pas en mesure de nous fournir un avant-projet de loi organique, de manière que nous puissions voir sur quoi nous nous engageons.
Enfin, pour conclure, je dirai que notre opposition à ce texte vient aussi du fait qu'il réduit considérablement l'initiative parlementaire. La première restriction réside dans l'idée que les mesures fiscales et sociales seront réservées aux lois de finances ou de sécurité sociale, et non plus aux lois ordinaires. De ce fait, l'initiative des parlementaires en matière fiscale se verrait réduite à un droit d'amendement, puisque les lois de finances ne peuvent être présentées que par le Gouvernement.
En outre, comme le souligne toujours le président de la commission des lois, la pratique du vote bloqué et celle de la seconde délibération sont plus fréquemment mises en oeuvre pour les lois de finances. Or, ce sont des dispositifs particulièrement contraignants envers la majorité parlementaire. Il faut également souligner que les textes financiers ne bénéficient pas des délais supplémentaires accordés aux autres textes à la suite de la révision constitutionnelle de 2008, mais que leur examen s'effectue dans des conditions de plus en plus contraintes.
Je cite Gilles Carrez : « Le projet de loi de finances pour 2011 a été déposé le 29 septembre, laissant moins de quinze jours à la commission des finances pour travailler sur un texte particulièrement dense ». Cela le conduit d'ailleurs à souligner dans son rapport pour avis que « la qualité des travaux en commissions et en séance […] devient de plus en plus difficile à assurer. »
Enfin, cela a déjà été dit, de très nombreuses propositions de loi ne pourraient plus être déposées, puisque, en vertu d'une coutume parlementaire ancienne, et d'ailleurs antérieure à 1958, le bureau de l'Assemblée – j'ai moi-même été justement vice-président chargé d'apprécier les propositions de loi – accepte que ces textes comportant des charges nouvelles soient gagés sur des majorations d'impôts de toute nature, par exemple une taxe additionnelle aux droits sur les tabacs – heureusement qu'ils existent ! –, afin de ne pas empêcher tout dépôt. Eh bien, ce type de gage ne serait plus possible.
Le monopole des lois de finances en matière de fiscalité locale serait préjudiciable aux collectivités locales. On l'a vu en 2009 quand la réforme de la taxe professionnelle a été inscrite en loi de finances. L'enjeu était le suivant : 30 milliards de recettes. Pour cela, il y avait un seul article de la loi de finances, il est vrai long de soixante pages et de 1 244 alinéas ! La discussion a duré quelques heures compte tenu des contraintes de temps pour l'examen de la loi de finances. Au point d'ailleurs qu'un an plus tard, le rapporteur général souligne les difficultés à mesurer avec précision le coût de cette réforme, estimant cependant qu'elle coûtera au moins deux fois plus que la prévision gouvernementale.