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Intervention de Michel Miné

Réunion du 1er février 2011 à 17h00
Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Michel Miné :

Le coeur de ma réflexion porte sur les inégalités professionnelles dans toutes leurs dimensions : recrutement, promotion, déroulement de carrière, rémunération, santé au travail – un aspect de la question qui est très rarement abordé. Je recherche des leviers pour intervenir sur ces différents paramètres.

Depuis des années, notamment grâce à l'influence du droit européen qui a permis des progrès très significatifs, nous disposons de nombreux textes législatifs. Reste que, fondamentalement, la situation des femmes ne s'améliore pas dans les entreprises. Les chiffres publiés par la DARES, en fin d'année dernière, ont révélé un accroissement des inégalités de rémunération entre les hommes et les femmes, même lorsque celles-ci n'ont pas connu d'interruption dans leur carrière. En clair, il s'agit de discriminations, parfois volontaires, parfois involontaires. Tel est mon angle d'attaque.

La question des rémunérations est le point de cristallisation des inégalités. Aujourd'hui, en France, l'écart de rémunération entre les femmes et les hommes, pour un travail de valeur égale, est en moyenne de 27 %. Notre pays se situe au 127e rang sur 134 pays recensés !

On incite les chefs d'entreprise à consulter les comités d'entreprise, à mener des négociations collectives ; on prévoit que davantage de femmes pourront accéder à des postes de responsabilité ou aux instances de direction. Reste qu'un diagnostic complet, sincère et précis des inégalités entre les femmes et les hommes dans les entreprises est incontournable, car si la situation initiale de l'entreprise n'est pas connue, il impossible de négocier valablement pour résorber ces inégalités. Et pourtant, dans certaines entreprises, la négociation a été menée sans ce diagnostic de base. Voilà pourquoi, des représentants des entreprises, des organisations syndicales et des experts ont travaillé à une réforme du rapport de situation comparée.

La nouvelle mouture du 22 août 2008 n'est pas parfaite, mais elle a permis de progresser sur un certain nombre de plans, notamment celui des promotions. L'entreprise doit calculer et présenter la durée moyenne entre deux promotions pour les femmes et les hommes salariés, au sein de chaque catégorie. Ce paramètre est très important. Il permet de déceler les inégalités de rémunération dont souffrent les femmes, dont les carrières sont souvent plus courtes et se déroulent plus lentement : les femmes peuvent rester pendant des années à un même niveau, alors que les hommes ne font qu'y passer. Il faut donc avoir de cette question une vision dans le temps.

Pour apprécier, à partir du rapport de situation comparée, les inégalités de rémunération, il faut d'abord analyser les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes qui font un travail de valeur égale : l'employeur doit assurer l'égalité de rémunération, cette obligation, prévue depuis la fondation de l'Organisation internationale du travail en 1919, reprise en 1951, figure dans le code du travail français depuis 1972 et dans le traité de Lisbonne.

Ensuite, il faut travailler sur l'évaluation des emplois très féminisés, en examinant les compétences mises en oeuvre et les contraintes subies. Des discriminations sont possibles, quand bien même la comparaison avec des hommes est impossible.

Enfin, je l'ai dit, il faut apprécier l'évolution des rémunérations dans le temps, ce qui suppose d'examiner, entreprise par entreprise, branche par branche, le déroulement de carrière des femmes et des hommes, à chaque niveau de recrutement et de qualification.

Tant que ce travail n'aura pas été fait, les textes seront inopérants et la situation actuelle ne changera pas. Une entreprise peut toujours décider de recruter davantage de femmes, de leur dispenser une formation professionnelle ou d'affecter une enveloppe globale à des rattrapages de carrière entre les femmes et les hommes sans que cela ait des conséquences significatives et durables en terme de rémunérations. Par exemple, l'enveloppe prévue risque de passer dans des augmentations individualisées, personne n'étant capable d'analyser la réalité qu'il s'agit de corriger.

Si incroyable que cela paraisse, les acteurs de l'entreprise, les employeurs, les représentants des organisations syndicales, ont besoin d'apprendre à distinguer les discriminations que rencontrent les femmes. J'en veux pour preuve les actions que certaines salariées ayant connu des discriminations de genre pendant des années – par exemple dans les affaires Mme Bastien contre TMS Contact, Mme Niel contre la BNP ou Mme Otelli contre l'AFPA, – ont dû engager auprès des conseils de prud'hommes, des cours d'appel et de la Cour de cassation pour se faire entendre. Pourtant, leurs entreprises avaient parfois signé un accord sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

La démarche de l'entreprise est parfois schizophrénique : d'un côté elle signe des accords sur l'égalité, de l'autre, elle continue à pratiquer des discriminations, volontaires ou parfaitement involontaires, produites par des manières de faire, des habitudes, ce que les sociologues appellent des « discriminations systémiques ».

En outre, il serait nécessaire de réétudier les critère des grilles de classification des branches, lesquelles génèrent de la discrimination indirecte : dans les grilles des professions très féminisées, le déroulement de carrière est plus lent, la carrière plus courte et les niveaux de salaire plus bas. Personne n'a voulu discriminer les femmes qui étaient dans ces emplois, simplement, ceux qui ont élaboré ces grilles, marqués par des stéréotypes et par des représentations culturelles, considéraient que ces femmes avaient des aptitudes innées, qui ne constituaient pas des compétences pouvant être reconnues sur un plan professionnel.

Dans l'accord interprofessionnel du 1er mars 2004 relatif à la mixité et à l'égalité entre les femmes et les hommes – accord étendu par arrêté du ministère du travail – les syndicats de salariés et les organisations d'employeurs – MEDEF, CGPME et UPA – ont admis que dans un certain nombre de professions on devait parler non pas d'aptitudes innées, mais de compétences. Il faut donc les reconnaître et les rémunérer comme telles.

Tant que l'on ne s'attaquera pas aux grilles de classification négociées au niveau des branches, l'entreprise qui applique, de bonne volonté, sa convention collective, ne modifiera sa situation qu'à la marge. En effet, et c'est tout à fait surprenant, au niveau national, l'écart moyen de rémunération entre les femmes et les hommes est de 27 %, mais dans de très nombreuses entreprises, quand le rapport de situation comparée est établi, on conclut qu'il n'y a pas, dans l'entreprise, d'inégalités entre les femmes et les hommes. Et s'il n'y a pas d'inégalités, il n'y a pas d'actions à mettre en oeuvre…

A l'occasion de la réforme des retraites, ces inégalités ont fini par émerger : les discriminations dont les femmes sont victimes au cours de leur carrière professionnelle réapparaîtront au moment de leur retraite, selon des mécanismes qui ont été très bien mis en lumière. Il faut donc retravailler cette question en l'abordant dans sa réalité et dans sa totalité.

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