L'instabilité du monde arabe et des pays du Golfe a pour conséquence immédiate l'augmentation du cours du pétrole. Si le cours atteint pendant quelques mois le niveau de 120 à 130 dollars le baril, on considère que l'impact est significatif pour les résultats des compagnies aériennes mais sans que cela crée mécaniquement une réduction de l'offre. En cas de hausse plus durable, la seule réponse possible pour les transporteurs aériens est une augmentation très significative de leurs tarifs et une réduction corrélative de leur offre. Dans un tel cas de figure, les répercussions sur l'industrie aéronautique seraient inévitables.
Les pays du Golfe et du Moyen-Orient représentent 3 à 4 % de la flotte installée de Safran et 7 % à 8 % de son carnet de commandes. Pour l'ensemble de la profession, les chiffres sont sans doute plus élevés, Safran étant plutôt centré sur le court et moyen courrier alors que les pays du Golfe sont de très importants utilisateurs d'avions longs courriers. Pour nos collègues d'Airbus, ces pays représentent 7% de la flotte installée. Toute instabilité est préoccupante. Nous pouvons toutefois espérer qu'à moyen et long terme, la situation aura des conséquences plus positives que négatives.
Si les transferts de technologie peuvent servir d'outil pour les relations internationales et le support aux ventes, ce levier est à double tranchant. La coopération entre Safran et General Electric démarrée en 1973 perdurera au moins trente ans après l'échéance de l'accord actuel, c'est-à-dire en 2070 ! L'une des clés de la pérennité de cette coopération, c'est qu'il n'y a pas eu de transfert de technologie. Nous en avons relevé le défi, et nous sommes totalement propriétaires de nos technologies, ainsi que des 50 % que nous apportons dans le moteur CFM. La grande entreprise qu'est General Electric pourrait bien sûr acquérir et développer ces technologies par elle-même ; mais il lui en coûterait quelques milliards de dollars et une dizaine d'années. L'indépendance par l'interdépendance construit la pérennité d'une alliance.
Le GIFAS en tant que tel n'a pas élaboré de position sur les transferts de technologies avec le Brésil. Pour autant, le GIE Rafale maîtrise de façon totalement coordonnée son dossier de transferts de technologies. C'est indispensable car, dans la globalisation technologique que nous connaissons, l'émergence du Brésil comme puissance aéronautique doit être pour nous plus une opportunité qu'une menace.
La dépendance, technologique ou politique, notamment envers les États-Unis, est un vrai sujet. Si nous disposons d'une large base industrielle et technologique autonome et indépendante, elle ne couvre pas tous les champs et les insuffisances ne concernent pas que les fibres de carbone. Il est également très difficile de se passer de composants électroniques d'origine américaine. Très souvent, ceux-ci sont régis par les normes ITAR (International Traffic in Arms Regulations), c'est-à-dire par un dispositif de restriction d'exportation des technologies critiques pour la sécurité et la suprématie des États-Unis. Je souligne que cela dépasse le cadre strict de la défense.
Il n'est pas simple de « désitariser » la totalité de nos produits, ITAR étant une machine assez diabolique. D'abord, elle est régie par le droit du sol : lorsque nous implantons une technologie française dans une usine aux États-Unis, nous ne pouvons plus la réexporter sans passer par ces règles. Il faut cependant éviter tout excès en la matière, le libre échange étant indispensable au plan international. Nous avons eu raison de mettre des limites à nos transferts de satellites de très haut de gamme vers la Chine. Mais je constate qu'en dix ou quinze ans, ce pays a rattrapé voire dépassé les capacités spatiales européennes. J'espère des décisions très ambitieuses dans les prochaines conférences ministérielles de l'agence spatiale européenne (ESA). Ce serait un déchirement que de voir l'Europe perdre son autonomie spatiale au profit non seulement des États-Unis mais aussi des grands pays émergents. Comment la Chine gère-t-elle son développement technologique ? L'équipe de direction de l'avionneur chinois COMAC est par exemple celle qui a créé la capacité spatiale nationale. Ils sont excellents et méritent notre respect ; nous ne devons pas les sous-estimer et il nous faut relever le défi.
Avant de nous intéresser aux avions de combat de nouvelle génération, peut-être devons-nous exploiter les capacités du Rafale intermédiaire entre la quatrième et la cinquième génération.
En ce qui concerne la Russie, la question que vous soulevez dépasse largement le champ de compétences du GIFAS. Elle est liée à un enjeu géostratégique : vaut-il mieux laisser la Russie se replier plus encore sur elle-même ou préférer qu'elle lie son destin à l'Europe au travers de partenariats de défense ? C'est une orientation politique qu'il n'appartient pas aux industriels de déterminer. En tout état de cause, les relations avec ce pays sont toujours délicates – mais pas impossibles – à mettre en oeuvre.