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Intervention de Christian Bataille

Réunion du 7 avril 2011 à 9h30
Accords instituant des partenariats de défense — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Bataille :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, France, Afrique : les deux mots associés l'un à l'autre devraient être synonymes de paix, de développement, et de démocratie. Pourquoi signifient-ils au contraire la part la plus sombre de notre diplomatie ? Pourquoi évoquent-ils irrésistiblement coup de force, corruption, concussion et violence ?

Je le sais bien, le Président de la République nous avait promis de rompre avec tout cela, et vous-même nous avez dit que ces accords de défense marquaient une rupture avec la politique africaine de la France depuis des années. Or qu'en est-il en réalité ? Ce débat doit être, pour la représentation nationale, l'occasion d'y voir un peu plus clair.

Reconnaissons tout d'abord que les textes qui nous sont proposés constituent une insuffisante mais indiscutable avancée. Ils répondent aux demandes effectuées à de multiples reprises par le groupe socialiste de voir établie une forme de transparence et de contrôle parlementaires sur les opérations extérieures. Ces demandes avaient été exprimées dès le début des années 2000 par nos collègues François Lamy et Paul Quilès qui, à chaque fois, avaient fait valoir la nécessité de revoir l'ensemble de notre politique de coopération en fonction de ces critères. Cette exigence faisait aussi partie de notre programme présidentiel en 2007.

Les conventions que vous nous présentez répondent donc à une exigence ancienne et répétée et nous nous félicitons que celle-ci ait enfin été prise en compte. Pour autant, ce progrès reste encore insuffisant. Il aurait été utile d'aller plus loin. J'en veux d'abord pour preuve le contenu même des quatre accords qui nous sont soumis, m'en tenant pour l'instant à l'aspect technique.

Ces accords sont en effet encore entourés d'un grand flou. Ainsi, l'article 2 paragraphe 1, qui définit l'objet du partenariat, précise qu'il s'agit de concourir « à une paix et une sécurité durable sur le territoire ainsi que dans l'environnement régional respectif des parties à l'accord ». Cela, vous en conviendrez, laisse une large place à toute forme d'autres initiatives, d'autant que l'article 4 F précise que pourront être déterminées dans le cadre de l'accord « toutes autres activités dans le domaine de la défense décidées d'un commun accord entre les parties en fonction de leurs intérêts mutuels », ce qui semble réintroduire par la fenêtre la possibilité d'intervention de maintien de l'ordre, que l'on avait officiellement fait sortir par la porte.

J'ajoute que les articles 4.2 et 5.2 des accords prévoient la possibilité d'aménagements techniques spécifiques pour définir les modalités d'application de cette coopération, dont il n'est pas précisé qu'ils seront soumis à la connaissance du Parlement. On voit donc qu'un flou certain est maintenu, qui ne peut masquer que des intentions discutables.

Les réserves que je viens d'exprimer sont d'autant plus vives que les accords qui nous sont présentés concernent en priorité des pays dans lesquels la situation politique et le respect des droits de l'homme sont rien moins qu'incertains.

Je commence par le Gabon.

Nul ici n'a oublié les conditions dans lesquels Ali Bongo a remplacé son père, Omar Bongo, décédé en juin 2009, avec le soutien implicite de Nicolas Sarkozy. Cela a été rappelé par exemple sur RTL par le chef de l'une de vos officines diplomatiques ; je pense évidemment à Robert Bourgi. Ali Bongo a été élu président de la République avec 41 % des voix, face à Pierre Mamboundou et André Mba Obame, qui ont chacun obtenu officiellement 25 % des voix et tous deux contesté la légalité des résultats.

Au Togo, la situation n'est guère plus encourageante. Le 26 avril 2005, Faure Gnassingbé a remporté l'élection avec 60 % des suffrages devant Emmanuel Bob Akitani – 38 % – et Harry Olympio, 0,5 %. La Commission européenne, malgré un rapport confidentiel accréditant l'existence de fraudes massives de la part du pouvoir en place, a pris acte des résultats. Je rappelle que le Parlement européen a voté une résolution de non-reconnaissance de Faure Gnassigbé comme président élu du Togo.

Amnesty International a publié, en juillet 2005, un rapport dénonçant « un scrutin entaché d'irrégularités et de graves violences », montrant que « les forces de sécurité togolaises, aidées par des milices proches du parti au pouvoir, s'en sont violemment prises à des opposants présumés ou à de simples citoyens en ayant recours à un usage systématique de la violence. » Le rapport reproche aussi à la France son rôle ambigu dans la situation actuelle. Comment ne pas être d'accord quand on sait que la France, patrie des droits de l'homme, a jugé que le scrutin s'était déroulé dans des conditions acceptables, alors qu'il y a eu plus de 500 morts, 10 000 blessés et 30 000 réfugiés !

Le contexte camerounais, n'est pas plus enviable. « En février 2008 », nous rappelle le rapport d'Amnesty International, « des émeutes ont éclaté dans plusieurs villes, notamment à Yaoundé, la capitale, et à Douala, le centre économique du pays. La population exprimait son mécontentement face à l'augmentation du coût de la vie et la faiblesse des salaires. Les manifestants s'élevaient également contre un projet de modification de la Constitution, qui supprimerait une disposition empêchant le président Paul Biya de se présenter de nouveau à l'élection de 2011 ».

Pour l'association Transparency International, le Cameroun est l'un des pays les plus corrompus du monde. L'ONG s'interroge notamment sur les nombreuses acquisitions du Président, en particulier celle de la villa Isis sur la Côte d'Azur, qui appartiendrait à son fils Franck Biya. La fortune du président camerounais et de sa famille approcherait les 70 millions d'euros.

Quant à la République Centrafricaine, le rapport de la mission d'experts électoraux mandatés par l'Union européenne est limpide : « Au regard des critères internationaux de sincérité, de transparence, d'équité et de régularité régissant les élections démocratiques, les scrutins du 23 janvier 2011 sont donc sujets à caution en raison des multiples carences, dysfonctionnements et irrégularités qui ont émaillé le déroulement du processus électoral. En outre, le retrait de l'opposition du second tour des législatives a ôté tout caractère compétitif au futur scrutin ».

À en croire ce document, « la garde présidentielle a apporté son concours aux nombreuses manoeuvres frauduleuses et irrégularités ». Le « nombre très élevé de votes par dérogation » pose notamment question : il varie entre la présidentielle et les législatives, ce qui est naturellement impossible dans un vote couplé.

En conséquence, l'Union européenne n'a pas assisté à l'investiture de François Bozizé, le 15 mars. Seul l'ambassadeur de France était présent, même si les consuls du Danemark et du Royaume-Uni avaient fait le déplacement aux côtés des présidents tchadien, guinéen et gabonais. On le voit, dans ces quatre pays, la France soutient des dirigeants alors que leurs actions – je pourrais dire leurs exactions – devraient au moins nous conduire à adopter une attitude plus distante.

Au moment même où les peuples se soulèvent contre les dictateurs, au moment même où nos pilotes risquent leur vie pour protéger le peuple libyen et le peuple ivoirien de la répression, admettez qu'il est bien difficile de ratifier des accords qui s'inscrivent dans un contexte totalement opposé à l'esprit de ces changements.

Comment, en effet, expliquer la présence de bases françaises dans des pays qui truquent les élections, qui font disparaître les membres de l'opposition et qui bâillonnent la presse, quand ils ne font pas massacrer leur population par hélicoptère, comme au Tchad en février 2008 ? Je tiens à rappeler que ces hélicoptères décollaient de l'aéroport de N'Djamena qui était tenu, et qui l'est toujours, par l'armée française.

À ce propos, le président Déby soutiendrait activement le colonel Kadhafi. Qu'attendons-nous, monsieur le ministre, pour revoir totalement notre politique au Tchad ? Quelle est la logique de nos positions ?

Je ne pense pas que vous irez jusqu'à soutenir que les Togolais, les Camerounais, les Gabonais, les Centrafricains ou les Tchadiens n'aspirent pas à la liberté ! Retenons donc les leçons de la révolution en Afrique méditerranéenne pour faire entrer notre pays dans l'histoire africaine.

C'est, enfin, la raison pour laquelle nous aurions souhaité appuyer – et nous y travaillerons à l'avenir – la mise en place d'un principe de conditionnalité démocratique de ce type d'accord.

Il nous paraît en effet indispensable que, à l'avenir, dans le prolongement par exemple de ce qui avait été envisagé à travers les accords avec les pays ACP – Afrique, Caraïbes et Pacifique –, les aides que notre pays est amené à fournir à des États africains soient liées à des progrès sensibles dans les domaines de la démocratie, des droits de l'homme et du respect de l'opposition et des principes fondamentaux.

Nous plaidons ici, et continuerons à le faire, pour l'adoption d'une charte qui définisse de manière claire les conditions qui permettront d'encadrer la signature de tels accords et qui gouverneront l'emploi de nos forces en Afrique, quelles que soient les situations auxquelles nous serions confrontés.

Ce conditionnement démocratique paraît être le moyen d'éviter à l'avenir des dérives auxquelles nous avons assisté encore très récemment. Je veux faire allusion, par exemple, au Tchad et, de manière plus générale, aux conditions d'utilisation de nos forces armées en Afrique, car elles restent extrêmement imprécises et, surtout, leurs modalités comme leurs conséquences sont le plus souvent inconnues de la représentation nationale.

Plus généralement, nous ne pouvons que plaider pour que notre politique en Afrique s'inspire des principes auxquels la France est fière de faire sans cesse référence, pour qu'elle prenne en compte nos intérêts stratégiques et de renseignement, mais aussi les préoccupations qui sont celles auxquelles notre nation s'est toujours identifiée.

Au final, pour tenir compte des évolutions qui sont intervenues et afin de ne pas mettre en péril la coopération déjà amorcée avec ces différents États, nous ne voterons pas contre ces propositions d'accords. Nous nous abstiendrons, de manière à faire valoir aussi bien notre souci de préserver les intérêts de la France que notre préoccupation forte que l'Afrique puisse connaître une évolution marquée par l'attachement aux droits de l'homme comme aux progrès dans les voies du développement et de la démocratie.

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