Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous ne pouvons évidemment qu'être favorables à la ratification de cet accord, qui prévoit notamment un contrôle accru des activités de négoce de l'or et des commerces de matériel d'extraction de l'or, de l'activité de transporteur sur le fleuve, ainsi que l'adoption de mesures pénales.
Je tiens à saluer votre travail et votre engagement constant sur cette question, madame la rapporteure. Nous sommes satisfaits que vous ayez obtenu que l'examen du texte soit accompagné d'un débat, alors qu'il était prévu en procédure simplifiée. Le rapport dont vous êtes l'auteur, publié en mars 2000 sous le nom de L'or en Guyane : Éclats et artifices, proposait vingt-huit recommandations précises permettant une évolution de la situation. Ces recommandations restent des références et devraient être reprises dans ce projet de loi.
Si nous avons tout de même voulu déposer une motion d'ajournement, c'est essentiellement en raison du manque de moyens prévus à la source, en Guyane.
Plusieurs textes, traités, accords de coopération ont été déjà votés. Celui-ci en est un de plus. Cependant, peu d'actions concrètes ont été réalisées dans ce sens. Outre la nécessité d'une action coordonnée des deux pays pour éviter les impacts de l'exploitation minière illégale, et même si une coopération bilatérale accrue est la bienvenue, il faudrait renforcer les moyens d'actions pour une meilleure gestion concertée des aires protégées amazoniennes.
Ce texte pourrait donc être à nouveau examiné pour nous permettre de mieux appréhender les réalités sur le terrain afin de renforcer les moyens appropriés. La commission ne s'est en effet réunie que hier matin et je n'ai déposé cette motion de procédure que ce matin, à la première heure.
Certes, les Présidents Lula et Sarkozy avaient signé le 23 décembre 2008 un accord bilatéral de coopération en matière de lutte contre l'orpaillage illégal en Amazonie, à l'origine d'une forte pollution des rivières en Guyane, et il était temps que cet accord se traduise par voie législative, mais, au lieu de préciser à nouveau des dispositions pénales qui existent déjà, il aurait peut-être mieux valu faire un geste pour la Guyane, sa population et sa biodiversité, en proposant au Brésil de mettre en place une politique de coopération judiciaire transfrontalière.
Des mesures répressives ont en effet déjà été mises en place, sans succès. La République française avait lancé, en février 2008, les opérations Harpie. Ce dispositif visait à démanteler les réseaux logistiques soutenant l'orpaillage clandestin et à poursuivre leurs auteurs devant la justice. Selon certaines ONG de terrain, ces opérations se sont soldées par la saisie de 19 kilos d'or et de 193 kilos de mercure, mais l'opération a fait long feu. Moins de quatre mois après son lancement, et en dépit des engagements fermes du Président de la République dans son discours de Camopi, les effectifs ont été allégés dès le mois de juillet 2008. L'opération Harpie n'a donc permis qu'une baisse très temporaire de l'activité d'orpaillage clandestin, sans aucun effet significatif sur le long terme.
Il faudrait d'ailleurs élargir la réflexion avec le Surinam. Avant de s'inquiéter des trafics avec le Brésil, il pourrait d'ores et déjà mettre les moyens en amont, sur les territoires indiens, pour que les trafiquants ne puissent même pas traverser la frontière. Il faudrait pour cela toucher à des réseaux mafieux très bien implantés de part et d'autre de l'Oyapock et du Maroni, et mettre au grand jour toutes les ramifications politiques qui s'y rattachent.
Quelques mots, car elles ont déjà été évoquées, sur les conséquences environnementales et sanitaires de l'exploitation aurifère, notamment illégale.
La ruée vers l'or n'est malheureusement pas finie. Tout ce qui brille continue de fasciner et de susciter des instincts prédateurs. On peut d'ailleurs s'interroger sur cette fascination. Bien sûr, l'or, en tant que métal, intervient dans quelques technologies, y compris les nouvelles, mais, dans le ciel symbolique de toutes les civilisations, et quel que soit d'ailleurs le niveau de richesses des uns et des autres, il a toujours fasciné. Ce n'est pas vital mais cela fascine. N'étant pas un ethnologue à la petite semaine, je n'en dirai pas plus.
Depuis la fin des années 90 et la hausse du cours de l'or, il y aurait, selon les ONG, plusieurs milliers voire 12 000 ou 15 000 garimpeiros travaillant illégalement sur le territoire de la Guyane.
Déforestation, pollution des fleuves, destruction de l'écosystème, criminalité – trafic de stupéfiants, prostitution, homicides –, les ravages de l'orpaillage sont nombreux et déstructurent une partie de la tradition ethnique sur place.
Pour extraire un kilo d'or, on utilise 1,3 kilo de mercure, dont 30 % se retrouvent dans la nature et empoisonnent toute la chaîne alimentaire, jusqu'aux humains eux-mêmes. Des études réalisées sur les cheveux des enfants ont fait apparaître des taux de mercure deux fois supérieurs à la norme fixée par l'Organisation mondiale de la santé.
Les populations de cette région sont victimes d'un empoisonnement au mercure, qui engendre la maladie dite de Minamata. Cela fait référence à ce qui s'était passé, dans les années 50, au Japon, durement frappé actuellement par les catastrophes. Les habitants de Minamata avaient ingéré des poissons eux-mêmes empoisonnés. Les remontées le long de la chaîne trophique sont terribles. Ce sont les poissons carnassiers que nous mangeons qui peuvent provoquer ce type de maladies chez les humains.
Le mercure est utilisé par les orpailleurs pour amalgamer les paillettes d'or. Après avoir été chauffé avec l'or, il s'évapore et, en refroidissant, retombe et pollue tout l'environnement, principalement les cours d'eau – M. Lecoq l'a dit excellemment. La déforestation induite par l'orpaillage libère également du mercure déjà présent à l'état naturel.
D'autres questions de santé publique sont liées à l'orpaillage, comme le développement ou la recrudescence du paludisme de la tuberculose ou de la dengue. Du point de vue de l'environnement, la situation se dégrade donc sérieusement. La réserve des Nouragues, la plus grande réserve naturelle de France, est envahie par des sites d'orpaillage illégal.
Quelques problèmes restent à résoudre, et tel est l'objectif de cette motion de procédure. Nous avions d'ailleurs déposé en mars 2004 – vous vous en souvenez, madame la rapporteure – une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'orpaillage en Guyane, n° 1503, qui reprenait ces différents points.
Premier point, la politique de zonage de la Guyane. Il y a un choix à opérer entre le développement d'une activité minière dépendant du cours de l'or au niveau mondial, dont l'activité et la rentabilité peuvent être considérées comme marginales ou non, et le développement de pôles de poly-activités centrés par exemple sur l'écotourisme et la valorisation soutenable de la forêt primaire.
Deuxième point, l'absence de politique minière. La ressource aurifère est exploitée à court terme sans qu'il soit tenu compte des autres utilisations possibles de l'espace. L'absence de politique de l'État, représenté entre autres par la DRIRE, pousse les opérateurs ne disposant ni des moyens de formation adéquats ni de budget d'investissement pour se fournir en techniques moins polluantes à subir la pression des orpailleurs clandestins, ce qui favorise l'affaissement des frontières entre orpaillage légal, et propre, si l'on peut dire, et orpaillage illégal.
Troisième point, l'inefficacité de la politique de répression. Il n'y a pas assez de moyens, notamment aériens – des hélicoptères –, pas non plus de contrôle fluvial sur barges flottantes. Nous pourrions comparer les moyens consacrés à cette lutte avec ceux dévolus au centre spatial de Kourou.
Où vont les ressources extraites de l'exploitation minière légale ou illégale ? A-t-on essayé d'identifier l'origine du matériel détruit sur place par les opérations Anaconda ? Quels sont les bénéficiaires des ressources financières tirées de cette exploitation qui ne profite pas aux populations de Guyane ? L'exploitation minière ne participe pratiquement pas au développement de la Guyane, malgré les taxes professionnelles ou le système d'imposition, qui ne reflètent pas la réalité de la production. L'absence de réglementation de la commercialisation et d'analyse des comptes encourage les circuits parallèles.
Nous proposons davantage de coopération. Ce texte est un pas en ce sens mais encore insuffisant. Il faut – cela a été dit sur tous les bancs – favoriser des politiques de co-développement entre la France et le Brésil, qui permettraient d'offrir à celles et ceux tentés par le mirage de l'or illégal en Guyane des alternatives socio-économiques plus dignes et plus durables.
Il faudrait également réfléchir à un accompagnement dans la démarche de traçabilité de l'or avec l'ensemble des acteurs de la filière, des producteurs jusqu'aux joailliers. Cela permettrait de garantir, à terme, une origine contrôlable des produits – bijoux, médailles… – à base d'or. Dans l'immédiat, il conviendrait d'appliquer sur le territoire guyanais la « loi de la garantie » des articles 521 à 553 bis du code général des impôts, qui oblige les négociants à renseigner sur l'identité de leur vendeur d'or dans le registre officiel.
Enfin, il conviendrait de mettre en place une interface entre la société civile, les collectivités territoriales et l'État afin de permettre le suivi quantifié de l'emprise des exploitations aurifères illégales sur l'ensemble de la Guyane.
Pour toutes ces raisons, en dépit d'un texte et d'un rapport intéressants, parce que la cause est importante, je vous invite, mes chers collègues, à voter cette motion d'ajournement.