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Intervention de André-Claude Lacoste

Réunion du 30 mars 2011 à 9h30
Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

André-Claude Lacoste, Président de l'ASN :

Concernant la situation au Japon, je voudrais d'abord faire trois remarques liminaires afin de vous dire ce que nous avons sur le coeur.

En France, nous avons tendance à nous centrer sur la crise nucléaire. Toutes les informations dont nous disposons sur ce qui est perçu au Japon, c'est un drame absolu qui se traduira par au moins vingt cinq mille morts, une zone totalement dévastée, des moyens de communication en lambeaux, cinq cents mille réfugiés et des problèmes aigus d'alimentation et de soin de ces réfugiés. Il est absolument invraisemblable de voir cela dans un pays civilisé. La crise nucléaire est une partie d'une énorme crise que vit le Japon.

De plus, nous ne disposons, en France, que d'informations parcellaires et incomplètes. Sur le site, la plupart des instruments de mesure alimentés par électricité ont été perdus. Les Japonais eux-mêmes ne connaissent pas un certain nombre de données techniques. Les travailleurs ont beaucoup de difficultés à accéder au site. Vous pouvez toujours dire qu'à cela s'ajoute la conception que les Japonais ont de la transparence, mais fondamentalement, il est difficile d'avoir des données et de les traiter. Par ailleurs, nos interlocuteurs sont absorbés par une priorité absolue, qui est de réussir à garder le contrôle de la situation. Leur priorité ne peut pas être de donner des informations à l'étranger. Ils s'efforcent de le faire, mais mettons-nous à leur place, et rappelez-vous la panique qui avait saisi la France après les tempêtes de 1999-2000, dont l'ordre de grandeur était infiniment différent de ce qui se passe au Japon. Gardons à l'idée que ce pays vit un véritable drame.

Nous obtenons des informations via l'attaché nucléaire de l'Ambassade de France au Japon, via l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et via nos homologues : nous avons régulièrement une audioconférence avec nos collègues américains, canadiens et britanniques. Nos collègues américains de la Nuclear regulatory commission (NRC) ont une dizaine de membres de leur personnel au Japon pour aider. Pourquoi les Japonais ont-ils choisi l'autorité américaine ? D'une part parce qu'elle connaît les réacteurs bouillants, d'autre part en raison de la proximité politico-économique, avec, par exemple, une forte présence de bases militaires américaines au Japon. A ces sources de renseignement, j'ajoute les relations personnelles qu'un certain nombre d'entre nous avons avec des personnes, au Japon et ailleurs, qui ont accès aux informations. De plus, une mission de Tepco a présenté la situation à l'attaché nucléaire français à Tokyo, il y a une dizaine de jours. Hier, nous avons reçu hier une mission japonaise d'information. Au final, nous rassemblons un certain nombre d'informations, mais nous n'avons pas accès à l'ensemble des informations. Les Japonais eux-mêmes n'y ont pas accès. Nous nous efforçons de ne communiquer que sur ce dont nous sommes raisonnablement sûrs.

Enfin, nous ne sommes pas l'autorité nucléaire. Nous ne demandons donc pas d'informations directement à Tepco. Supposons que nous ayons le même malheur en France : je ne tolèrerais pas que les autorités japonaises posent des questions en direct à l'exploitant français. Mettons-nous à chaque fois dans la situation réciproque.

Tout cela pour vous expliquer les difficultés que nous avons à formaliser un jugement. Il importe d'essayer d'avoir un jugement global. Nous nous centrons sur la centrale de Fukushima et sur les six réacteurs qui constituent sa partie nord. Pour l'essentiel, les inquiétudes portent sur trois réacteurs et trois piscines. L'exploitant japonais est maintenant capable de faire des appoints d'eau douce, et non plus des appoints d'eau salée. L'appoint d'eau salée présentait deux inconvénients. Il risquait, à terme, d'entraîner une cristallisation du sel, donc de bloquer des conduites et des vannes. Il pouvait corroder les installations. Il était important de remplacer aussi tôt que possible l'eau de mer par de l'eau douce. L'eau douce arrive par des barges qui déchargent un bateau. Ce sont des moyens de fortune. De plus, l'exploitant japonais a désormais moins d'inquiétudes sur les piscines.

Pour autant, la situation reste très grave. Nous sommes face à une situation de crise tout à fait majeure. Nous en sortirons lorsque plusieurs conditions seront réunies. Sur l'ensemble des installations, il faut un refroidissement permanent par de l'eau douce. L'alimentation s'est d'abord faite par camions, pour amener l'eau de mer, puis l'eau douce. A présent, des motos-pompes sont capables d'injecter l'eau dans les enceintes des réacteurs. Il faut remplacer cela par un système normal, dans lequel des pompes alimentées de manière électrique font circuler l'eau douce. Cela ne suffit pas. Il faut qu'il y ait retour d'une source froide, sinon l'eau douce sera recyclée en circuit fermé sans diminution de chaleur. Tant que l'alimentation se fait par des circuits de fortune, l'eau injectée a deux devenirs : elle peut se transformer en vapeur, donc être injectée ; elle peut également fuir, donc polluer les sols et la mer. Il faut aboutir à un circuit d'eau douce fermée avec une source froide.

Pour y parvenir, il faudra des semaines, sinon des mois. Un espoir est né lorsque Tepco a annoncé être capable de tirer des lignes électriques jusqu'au transformateur alimentant les installations, mais il s'écoulera au moins un mois avant que les pompes ne soient branchées sur l'électricité. Il faut tenir compte de cette estimation, qui est sans doute très optimiste. L'ensemble des installations à brancher ont été noyées, soit par le tsunami, soit par les fuites.

De plus, les conditions d'intervention des travailleurs sont extrêmement difficiles. Ne tombons pas dans un tragique, dont je crois qu'il n'est pas fondé. Les ouvriers travaillent dans des conditions extrêmes, mais qui, à notre connaissance, sont des conditions prévues en cas d'urgence, et des conditions analogues à celles qui seraient appliquées en France en cas d'urgence. La limite de dose que peut recevoir un travailleur dans le nucléaire, en temps normal, est de vingt millisieverts par an. En cas d'urgence, cette limite peut être portée à cent millisieverts et s'il s'agit de sauver des vies, elle peut être portée à deux cent cinquante millisieverts Sur ce plan, le ministre japonais de la Santé a pris une décision. Nous avons les mêmes règles en France. Si Tepco obéit aux règles, c'est cela qui se passe. Un certain nombre d'interventions sont limitées à vingt minutes. Imaginez ce qu'il est possible de faire en vingt minutes. J'ajoute que l'eau radioactive est une gêne considérable pour intervenir. Il est question d'eau extrêmement contaminée. Il est urgent, pour les Japonais, d'arriver à pomper cette eau, mais pour en faire quoi ? Une idée consiste à la réinjecter dans les réacteurs, une autre à trouver un entreposage quelque part, une autre encore à la mettre à la mer. En tout cas, cette eau est une gêne considérable pour intervenir.

Il faut vraiment avoir en tête l'idée que pour retrouver un état des installations acceptable sur le plan de la sûreté, pour sortir des moyens actuels, c'est une question de semaines, voire de mois. Il faut bien avoir cela en tête. Nous sommes dans une crise de longue durée. C'est frustrant, insatisfaisant, mais c'est ça.

Pendant toute cette période, il y a deux types de rejet de radioactivité. Certains rejets sont gérés. Des décisions sont prises pour relâcher des rejets, afin de diminuer la pression dans les enceintes de confinement. Il y a également des fuites.

J'en viens maintenant aux conséquences radiologiques. Il faut vraiment distinguer trois zones. Clairement, sur le site et à proximité, la radioactivité est intense, et les conditions de travail sont très difficiles. Autour du site, les autorités japonaises ont pris des décisions de protection de la population qui, dès le début, nous sont apparues comme raisonnables, avec une zone de vingt kilomètres pour évacuer la population, puis une zone de mise à l'abri entre vingt et trente kilomètres. Une quantité considérable de personnes ont été évacuées. Je ne suis pas certain que nous pourrions assurer les mêmes conditions en France. Les personnes qui sont dans les zones de vingt à trente kilomètres vivent apparemment très mal, dans la mesure où plus aucun fournisseur ne veut accéder à cette zone pour apporter des denrées de première nécessité. D'eux-mêmes, les gens partent. Le gouvernement japonais ne les en empêche pas. Il constate la difficulté de vivre dans cette zone et pense probablement que ces gens qui partent d'eux-mêmes allégeront de possibles évacuations futures.

Cette zone de trente kilomètres n'est absolument pas une borne à la contamination. Il existe très probablement de la contamination au-delà de cette zone. Nous ne savons pas dans quelles quantités. Les autorités japonaises réalisent des mesures. Il existe très probablement des zones dans lesquelles la radioactivité s'est concentrée. Je ne peux pas aller plus avant. Il importe aux Japonais de faire les mesures et de prendre des décisions. Ce qui est certain, c'est qu'en fonction de l'état de la contamination, la gestion de ces territoires sera une difficulté extrême pendant des années, sinon des décennies.

S'il existe des ordres de grandeur que je souhaite partager avec vous, ce sont ceux-là : le retour à une situation de sûreté à peu près acceptable sur le site est une question de semaines, sans doute de mois ; la gestion de la contamination en dehors même de la centrale, qui est clairement un site perdu, est une question d'années, sinon de décennies.

Clairement, la masse d'air légèrement contaminée qui est passée au-dessus de la France n'a entraîné aucune conséquence. Les appareils normaux de mesure de la radioactivité dans l'air n'ont rien lu. Nous collectons les résultats des mesures des appareils plus perfectionnés. Il n'y a rien. Cela confirme les résultats obtenus par les pays scandinaves ou aux Etats-Unis.

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