La procédure de réexamen décennal de la sûreté des installations nucléaires en France ne s'applique pas qu'aux centrales nucléaires, mais à l'ensemble des installations. Cet examen décennal, voulu par la loi, comprend deux types d'opérations, et d'abord une vérification de conformité. Nous obligeons l'exploitant à regarder si son installation est conforme aux règles qui s'appliquent. Nous procédons ensuite à une réévaluation de sûreté. Dans ce cadre, nous obligeons l'exploitant à regarder ce qui peut être amélioré, en termes de sûreté, sur son installation. Le but n'est pas d'imposer tout ce qui peut être imaginé, mais d'imposer tout ce qui est raisonnablement possible pour améliorer la sûreté. L'ASN prend parti au terme de ce réexamen décennal. Nous pouvons donner un feu vert pour cinq ou dix ans d'exploitation supplémentaire. Nous pouvons également arrêter les installations.
Nous procédons à ce réexamen sur l'ensemble des installations, en particulier sur les réacteurs d'EDF de 900 MW qui atteignent trente ans de durée d'exploitation. Nous avons pris une première position générique : il n'y a pas de difficulté à ce que nous examinions chacun des réacteurs au cas par cas. Nous avons autorisé le fonctionnement du réacteur de Tricastin 1, pour dix ans supplémentaires. Notre prochain rendez-vous sera la position que nous prendrons quant au réacteur de Fessenheim 1.
Le but de cette procédure consiste à vérifier que la sûreté des installations ne s'est pas dégradée, et à l'améliorer, autant que possible. Ce processus est assez largement européen. Un certain nombre de pays dans le monde ne connaissent absolument pas ce genre de rendez-vous solennisé, tous les dix ans. Ce rendez-vous n'est pas exclusif de tout ce qui est fait. Nous inspectons les centrales régulièrement. Si quelque chose de nouveau apparaît, nous sommes capables d'imposer que les leçons soient tirées. Ainsi, nous avons donné notre feu vert pour l'exploitation, pendant dix ans, du réacteur 1 de Tricastin, mais s'il apparaît, au vu du retour d'expérience de ce qui se passe au Japon, que quelque chose de supplémentaire doit être imposé, nous le ferons. Notre feu vert n'est pas une feuille blanche. Nous pouvons imposer des prescriptions complémentaires.
C'est un peu le même souci de progrès qui nous anime avec les réacteurs nouveaux. Un certain temps est nécessaire pour tirer pleinement les conséquences, sur le plan technique, des progrès et des accidents. Le réacteur EPR, de même que l'AP1000 de Westinghouse, sont les premiers réacteurs qui s'efforcent de tirer les conséquences de Three Miles Island et de Tchernobyl. C'est là-dessus qu'ils ont été bâtis, avec le double souci de réduire la probabilité d'occurrence d'accidents et de réduire les conséquences des accidents. Cela prend un temps considérable. C'est dès 1991 que nous avions indiqué qu'il n'était plus question de construire en France des réacteurs correspondant au palier N4. Or la construction d'EPR a commencé après 2000.
Notre position est tout à fait claire : nous n'admettrions pas qu'il soit construit autre chose que des réacteurs de génération 3, ou équivalents à l'EPR. Nous avons le pouvoir d'empêcher qu'ils ne soient construits en France, mais nous n'avons aucun pouvoir d'empêcher qu'ils soient construits à l'étranger. Simplement, si jamais il était question de construire, quelque part, sous le drapeau français, un réacteur qui ne répondrait pas aux critères de génération 3, nous serions amenés à dire que ce réacteur ne serait pas admis en France. Nous ne nous occupons pas de politique nucléaire ou de politique d'exportation nucléaire. Nous sommes dans notre rôle. Toutefois, l'ambiance a changé. Il est moins question d'exportations à tout va de réacteurs divers.
A propos du PNGMDR, nous tenons compte des remarques et des critiques. Le PNGMDR n'est pas un produit de l'ASN. Il est élaboré par un groupe de travail que l'ASN co-préside. Les discussions sont parfois extrêmement vives. Au fur et à mesure qu'apparaissent des lacunes, nous nous efforçons de les combler. Clairement, il a été tenu compte d'éléments qui n'étaient pas pris en compte dans les versions précédentes. Je ne connais pas l'équivalent ailleurs de cette construction pluraliste du PNGMDR, qui est le fruit de la loi et d'une volonté de tous les acteurs.
Le sujet de la sous-traitance est extrêmement compliqué et important. Nous avons décidé de nous en saisir voilà déjà plusieurs mois. Ce problème n'est pas limité à EDF, même s'il y est particulièrement massif, avec près de vingt mille emplois sous-traités.. Je ne crois pas que la sous-traitance soit condamnable. Encore faut-il qu'elle se réalise dans les meilleures conditions. Il y a très sûrement des progrès à faire. Nous avons initié des réflexions et des discussions avec les exploitants pour essayer d'améliorer la situation.
J'entends la réflexion qui été faite pour réduire les zones d'ombre. Je puis vous assurer que c'est le type de souci que nous avons. Comment éviter qu'un jour, nous ne nous réveillions avec un gros sujet qui aurait été masqué ? Nous sommes prêts à entendre et à étudier tout renseignement qui nous parvient, quelle que soit la manière dont il nous parvient, de manière collective - de la part des syndicats ou des associations - ou individuelle, que le renseignement soit signé ou anonyme. Nous regardons tout. Notre souci consiste à réduire les zones d'ombre, dont nous sommes conscients qu'elles peuvent exister.
Je n'ai aucun doute quant au fait que les centrales d'aujourd'hui sont plus sûres que celles d'il y a trente-cinq ans. Il existe une véritable politique de progrès, et je m'élève vigoureusement contre certains de nos collègues. Nous avons eu des contacts récents avec deux commissaires américains qui nous ont déclaré, froidement, que les réacteurs américains étaient sûrs, et qu'il n'y avait pas de raison de changer leur conception. C'est une vision un peu figée. Pour notre part, nous avons toujours été porteurs de la nécessité du progrès, même si cela ne nous rend pas forcément populaires.
Les stockages dispersés nous paraissent une très mauvaise idée, car cela consiste à multiplier les sources de difficulté. Je n'aime pas du tout la politique américaine qui consiste à stocker les combustibles usés au pied des centrales, sous forme de containers, dans ce qui, vu de l'extérieur, ressemble furieusement à un parking. Ce n'est pas la bonne solution. Il faut avoir un stockage centralisé et digne de ce nom.
Le problème de l'exportation vers Abu Dhabi me paraît presque relever d'un autre monde. Le marché a été conclu avec la Corée du Sud. Nous ne connaissons pas dans le détail le degré de sûreté des quatre centrales vendues. Il est tout à fait possible que les autorités d'Abu Dhabi imposent des améliorations. Je serais étonné qu'aucune conséquence ne soit tirée des évènements du Japon alors que la construction des quatre centrales n'a pas débuté. Le sujet est ouvert, mais l'ASN n'a pas matière à s'opposer à un contrat signé entre Abu Dhabi et la Corée du Sud.