On s'est donc promené d'une nécessité urgente à l'autre, sans jamais terminer un seul chantier. Je vous ai d'ailleurs entendu hier, monsieur le garde des sceaux : il semblerait que l'on revienne à la nécessité de réformer l'ordonnance de 1945 pour créer un tribunal correctionnel qui jugerait les mineurs de seize à dix-huit ans. C'est précisément ce sur quoi planchait la commission Varinard ! Défaut d'anticipation, donc, et de projection dans le futur pour cause de réponse à l'urgence du moment et au dernier fait divers.
Enfin, et c'est le dernier temps de mes explications, qui sera forcément bref parce que j'ai été formidablement aidé par le précédent orateur, la question des moyens se pose avec une acuité redoutable.
Aucun moyen n'est dégagé dans le texte. Il n'y a aucune anticipation en direction du matériel des services de police, en particulier s'agissant de l'aménagement des locaux. Sur ce sujet, le précédent orateur a été bien plus convaincant que je ne saurais l'être. Mais il n'y a pas non plus d'effort du côté de la police scientifique et technique. On nous dit aujourd'hui que la garde à vue consacrait le règne de l'aveu, et qu'il faut désormais passer au règne de la preuve. Cela suppose forcément des efforts à faire en matière de police scientifique et technique. Cela veut dire aussi que l'on demande des efforts considérables à la police et à la gendarmerie. Leurs services ont travaillé pendant des années avec des méthodes qui peuvent être critiquées et qui peuvent évoluer, mais qui correspondent à la manière dont on leur demandait de travailler, c'est-à-dire avec pour outil principal la garde à vue. Aujourd'hui, on leur dit que tout a changé, qu'il leur faut modifier complètement en l'espace de quelques mois leur culture et aboutir au même résultat, avec des outils entièrement nouveaux, mais sans aucun effort d'accompagnement pour accomplir ce qui constitue une véritable révolution culturelle.
De la même façon, il n'y a aucun effort du côté de la justice : vous n'annoncez aucun recrutement de magistrats supplémentaires qui permettraient pourtant aux procureurs d'assurer un contrôle de la garde à vue vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, ce qu'ils ne parviennent déjà pas à faire aujourd'hui. Or le problème des permanences de nuit se pose avec beaucoup d'acuité : beaucoup de placements en garde à vue ont lieu à ce moment, suite aux troubles à l'ordre public dus, par exemple, à des bagarres entre personnes en état d'ivresse – pour ne citer qu'une des difficultés que l'on peut rencontrer le soir dans nos villes et dans nos campagnes compte tenu de l'état de notre société.
Aucune annonce n'est faite non plus concernant les juges des libertés et de la détention. Si on ne leur confie pas le contentieux de la garde à vue, on comprend bien que c'est parce qu'ils sont trop peu nombreux – environ 500 – pour faire face à ce contentieux. Aucun effort non plus n'est annoncé quant à l'embauche de greffiers pour faire face à ces nouvelles tâches.
Enfin, on ne connaît pas exactement la teneur des discussions avec les avocats. Quand bien même seraient prévus de nouveaux financements de l'aide juridictionnelle, nous n'avons aucune garantie que les permanences puissent être réellement assurées par les avocats sur l'ensemble du territoire. Le rapporteur avait effectué un travail très intéressant sur la répartition du nombre de gardes à vue eu égard à la densité d'avocats par barreau, avec cette circonstance très particulière que le barreau de Paris concentre à lui tout seul la moitié des avocats français.