Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la réforme de la garde à vue dont nous débattons ce soir aborde la dernière ligne droite d'un processus législatif fort contraint.
Le Conseil constitutionnel a, en effet, jugé que le régime de la garde à vue était contraire aux articles 9 – principe de sûreté – et 16 – garantie des droits – de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dès lors qu'une personne placée en garde à vue ne bénéficie pas de « l'assistance effective » d'un avocat et ne reçoit pas de notification de son droit à garder le silence. La décision du Conseil constitutionnel, qui s'impose à nous, subordonne la mise en place d'exceptions à ce droit à l'avocat à la condition qu'elles soient justifiées par « des circonstances particulières susceptibles de les justifier pour rassembler ou conserver des preuves ou assurer la protection des personnes ». Des règles dérogatoires sont donc possibles, à condition d'en justifier la nécessité au cas par cas.
La Cour de cassation, faisant application de l'évolution de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme amorcée depuis fin 2008, avec des arrêts concernant la Turquie, a jugé le régime de la garde à vue contraire à la Convention européenne des droits de l'homme : le fait pour la personne gardée à vue d'avoir « bénéficié de la présence d'un avocat mais non de son assistance dans des conditions lui permettant d'organiser sa défense et de préparer avec lui les interrogatoires auxquels cet avocat n'a pu, en l'état de la législation française, participer », est contraire au droit à un procès équitable en vertu de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
La Cour de cassation a aussi fait application de la jurisprudence européenne pour définir les conditions dans lesquelles il pourrait valablement être dérogé au droit à l'assistance : seule « une raison impérieuse, laquelle ne peut découler de la seule nature de l'infraction » peut permettre de priver la personne de cette assistance. Une appréciation au cas par cas de la mise en oeuvre de dérogations est donc obligatoire. Le texte qui vous est présenté ce soir est conçu dans l'objectif de répondre à ces différents impératifs.
Je veux aujourd'hui porter le débat, non pas sur le fond, sur la grande évolution du droit français et le défi pour la profession d'avocat que va représenter la réforme de la garde à vue, mais sur les conditions de mise en oeuvre du texte par l'État. J'interviens rarement lors de la discussion générale d'un texte et si je le fais aujourd'hui, c'est parce que je veux, avec gravité et solennité, dire mon inquiétude et attirer l'attention de tous sur les changements importants que va entraîner cette réforme sur le fonctionnement des services de police et de gendarmerie et des services judiciaires, ainsi que sur le coût considérable de cette réforme pour les finances de l'État.
Je commencerai par l'impact sur le fonctionnement des services de police et de gendarmerie ainsi que sur les services judiciaires. Selon l'étude d'impact accompagnant le projet de loi, l'impact de la réforme serait nul en termes de ressources humaines sur les services d'enquête et les services judiciaires : une augmentation de la charge de travail des différents acteurs de la garde à vue est bien anticipée, mais l'étude estime que cette augmentation sera compensée par la réduction du nombre de gardes à vue – 800 000 en 2009, 700 000 en 2010, l'objectif affiché étant de 500 000.
Mes chers collègues, on peut s'interroger sur la crédibilité de cette évaluation.