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Intervention de Philippe Gosselin

Réunion du 5 avril 2011 à 21h30
Garde à vue — Discussion en deuxième lecture d'un projet de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Gosselin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, nous examinons donc à partir de ce soir, en deuxième lecture, le projet de loi relatif à la garde à vue.

Lors de l'examen du texte en première lecture, j'avais essayé de mettre en évidence les objectifs de la réforme de la garde à vue, ainsi qu'un certain nombre de contraintes qui pèsent sur elle. Les objectifs – je le rappelle brièvement – sont triples.

Il s'agit, d'abord, de mieux encadrer le placement en garde à vue, afin d'en faire baisser significativement le nombre. On constate, en effet, depuis quelques années, une envolée du nombre des gardes à vue. S'il y a eu un léger infléchissement en 2001 par rapport à 1999 – 340 000 gardes à vue en 2001 contre 436 000 en 1999 – leur nombre a atteint près de 800 000 en 2009, dont 175 000 pour des infractions routières. Je ne reviens pas sur les raisons conjuguées de cette augmentation.

Il s'agit, ensuite, de mieux garantir le respect des libertés individuelles, notamment des droits de la défense. C'est une exigence à la fois externe et interne, puisqu'elle a été rappelée tant par la Cour européenne des droits de l'homme que par le Conseil constitutionnel, au mois de juillet 2010, et par la Cour de cassation, dans un arrêt de sa chambre criminelle daté d'octobre 2010. Au-delà de cette exigence, c'est une ardente obligation.

Il s'agit, enfin, de préserver l'efficacité de nos services de police et de gendarmerie dans la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions. À ce propos, je souhaite redire aux forces de l'ordre toute la confiance de la représentation nationale : elles assument des missions essentielles, et il n'est pas question de gripper cette belle mécanique. Il est en effet du devoir de l'État de garantir à nos concitoyens ce droit élémentaire qu'est la sécurité. J'ajoute – je veux le rappeler avec force – que les droits essentiels des victimes doivent rester au coeur du dispositif.

Toutefois, de nombreuses contraintes, que j'avais longuement exposées dans mon rapport en première lecture et qui sont à la fois d'ordre juridique, humain, géographique, matériel et financier, pèsent sur la réforme de la garde à vue et la rendent particulièrement complexe. Dans cet hémicycle, j'avais conclu mon propos en indiquant qu'il appartenait au législateur de faire la bonne réforme de la garde à vue, celle qui tiendrait compte de l'ensemble des contraintes, tant juridiques que pratiques, et, surtout, qui permettrait d'assurer le meilleur équilibre entre l'amélioration des droits des personnes placées en garde à vue et la préservation de la sécurité de nos concitoyens. Il me semble qu'aujourd'hui, après l'examen du texte par le Sénat, nous pouvons considérer – modestement, mais honnêtement – que nous sommes sur la bonne voie pour réussir cette réforme de la garde à vue, et je vais vous en exposer brièvement les raisons.

Adopté en première lecture à l'Assemblée nationale le 25 janvier dernier, puis discuté au Sénat les 3 et 8 mars 2011, le projet de loi a été très largement approuvé par la Haute assemblée dans ses principales dispositions et orientations. Sur les vingt-sept articles que comptait le projet de loi adopté par notre assemblée, sept ont été adoptés conformes. Mais, et c'est un point essentiel sur lequel je souhaite insister, une très large convergence de vues s'est établie entre l'Assemblée et le Sénat, y compris sur les articles que celui-ci a adoptés en les modifiant. Le Sénat a su compléter et conforter ce que nous avions accompli en première lecture. À cet égard, je tiens à souligner la qualité du travail accompli par le rapporteur de la commission des lois du Sénat, M. François Zocchetto, et de la discussion parlementaire qui s'est déroulée au palais du Luxembourg.

Les débats ont en effet permis que soient apportées au projet de loi de nouvelles améliorations, fidèles à l'esprit qui avait animé notre assemblée lors de la discussion en première lecture, à savoir assurer la meilleure conciliation, le meilleur équilibre possible entre une amélioration des droits des personnes et la préservation de la sécurité de nos concitoyens.

Dans cette perspective, je souhaiterais brièvement présenter les accords intervenus entre les deux chambres, ainsi que les modifications apportées par le Sénat sur six aspects du projet de loi, sur lesquels j'avais indiqué en première lecture qu'ils devaient être améliorés et complétés.

Le premier aspect concerne la suppression de l'« audition libre », assortie d'un meilleur encadrement des auditions hors garde à vue. Notre assemblée avait supprimé, en première lecture, l'« audition libre » telle qu'elle figurait dans le projet de loi initial. Le Sénat a pleinement approuvé notre position, et je m'en réjouis. Toutefois, les deux assemblées ont estimé nécessaire d'assortir cette suppression de l'« audition libre » d'un meilleur encadrement des auditions réalisées hors garde à vue.

Tout d'abord, a été posé, à l'article 1er A, le principe de l'interdiction de fonder une condamnation, en matière délictuelle ou criminelle, sur les seules déclarations faites par une personne sans que celle-ci ait pu s'entretenir avec un avocat et être assistée par lui, le Sénat ayant rendu ces deux dernières conditions cumulatives ; c'est ce que l'on a appelé l'auto-incrimination. À ce propos, j'indique dès à présent que la commission des lois a adopté un amendement de notre collègue Christian Estrosi qui réécrit cet article 1er A, sans toutefois y apporter des modifications de fond. En l'absence de toute différence autre que de forme entre le texte qu'avait adopté le Sénat et celui modifié par la commission des lois, je défendrai un amendement tendant à revenir au texte du Sénat.

Ensuite, un article 11 bis, introduit par notre assemblée et précisé par le Sénat, affirme le caractère non obligatoire de la garde à vue, même si les conditions en sont réunies, dans trois hypothèses : en cas d'arrestation, par une personne n'appartenant pas à la police ou à la gendarmerie, de l'auteur présumé d'un crime ou délit flagrant, après un placement en cellule de dégrisement et après un contrôle d'alcoolémie ou un dépistage de stupéfiants au volant.

Le deuxième aspect concerne le contrôle de la garde à vue par le procureur de la République. L'Assemblée nationale et le Sénat se sont accordés sur le fait de confier au procureur le contrôle de la garde à vue et son éventuelle prolongation dans les quarante-huit premières heures. Il faut, ici, préciser, et c'est un élément d'importance, que ce contrôle s'exerce sous réserve des prérogatives du JLD. Certains de nos collègues ont défendu en première lecture, et défendront encore lors de l'examen des articles, des amendements tendant à écarter le procureur de la République du contrôle de la garde à vue. J'y serai évidemment défavorable, car cette évolution serait inopportune en termes de politique pénale. En effet, nous ne devons pas mettre en danger la chaîne pénale. Il nous faut être particulièrement vigilants sur ce point ; les alertes lancées par les différents acteurs de la garde à vue ont été, je puis l'assurer, bien entendues. Par ailleurs, il n'existe aucun motif conventionnel ou constitutionnel qui nous imposerait une telle évolution.

Le troisième aspect concerne le droit renforcé à l'assistance d'un avocat. Le droit de la personne gardée à vue de bénéficier de l'assistance d'un avocat a été amélioré et conforté lors de la discussion parlementaire sur deux points importants. Tout d'abord, le Sénat, tout en approuvant la création d'un délai de carence dans son principe, a prévu que l'audition pourrait commencer avant l'expiration de ce délai si l'avocat se présente plus tôt ou si l'audition porte « uniquement sur les éléments d'identité ». Cela permettra de travailler dans de bonnes conditions.

Ensuite, la possibilité de déroger au droit à l'assistance d'un avocat a été précisée et encadrée sous deux aspects principaux. Premièrement, le Sénat a renforcé les garanties encadrant la faculté de reporter la présence de l'avocat aux auditions, en précisant que ces décisions ne pouvaient être prises qu'« à titre exceptionnel » et qu'elles devaient être motivées « au regard des éléments précis et circonstanciés résultant des faits de l'espèce ». Deuxièmement, le Sénat, tout en maintenant l'exigence de forme d'une décision écrite et motivée du procureur de la République pour déroger au délai de carence, en a assoupli les conditions de fond. La dérogation pourra ainsi être mise en oeuvre « lorsque les nécessités de l'enquête exigent une audition immédiate de la personne ». Un tel assouplissement vise à permettre aux forces de l'ordre de travailler de façon optimale.

Le quatrième aspect concerne les prérogatives et obligations de l'avocat, qui font l'objet d'un large débat. La discussion parlementaire a permis de définir de façon plus satisfaisante les conditions de l'intervention de l'avocat en garde à vue. Ainsi, le Sénat a instauré l'obligation pour un avocat appelé à assister plusieurs personnes gardées à vue dans une même affaire de dénoncer le conflit d'intérêts qu'il serait amené à constater. En cas de divergence d'appréciation sur ce point avec l'avocat, l'OPJ ou le procureur pourra saisir le bâtonnier, qui est au centre du dispositif, afin que celui-ci désigne un autre défenseur. Par ailleurs, pour les auditions simultanées de plusieurs personnes placées en garde à vue assistées par le même défenseur, le Sénat a maintenu la possibilité, introduite à l'Assemblée par un amendement de nos collègues Garraud et Goujon, pour le procureur de la République, d'office ou saisi par l'officier ou l'agent de police judiciaire, de saisir le bâtonnier afin que soient désignés plusieurs avocats. Ainsi amélioré, le dispositif me paraît satisfaisant.

Le cinquième aspect concerne les régimes dérogatoires, sur lesquels il n'était pas question de revenir. Il s'agit en effet de dispositifs indispensables qui ont fait preuve de leur efficacité, notamment en matière de terrorisme, tant et si bien, du reste, qu'un certain nombre de pays nous les envient. Il était donc important de les conforter, tout en les adaptant aux nécessités constitutionnelles et conventionnelles.

Avant-dernier point sur lequel je voudrais revenir : le régime applicable en matière de criminalité organisée. Là encore, le Sénat a approuvé le dispositif adopté par l'Assemblée nationale, en n'y apportant qu'une seule modification. Celle-ci est néanmoins suffisamment importante pour que je m'y arrête quelques instants. Le Sénat estime en effet que la liste d'avocats habilités en matière de terrorisme doit être « établie par le bureau du Conseil national des barreaux sur propositions des conseils de l'ordre de chaque barreau ». Je rappelle que le texte adopté par notre assemblée prévoyait, quant à lui, que les avocats inscrits sur cette liste devaient être élus. Sur ce point, nous avons donc une divergence avec la Haute assemblée. Il faudra absolument – j'y insiste – trouver un mode d'établissement de la liste d'avocats habilités qui garantisse que les avocats « douteux » ou « indélicats » – je prends mille précautions, ne voulant stigmatiser personne, pour reprendre un terme à la mode –,…

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