Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les trois textes soumis à notre examen, d'abord en décembre, puis, en seconde lecture, la semaine dernière, avaient originellement des objectifs louables. Outre l'adoption de règles spécifiques pour l'élection des députés élus par les Français établis hors de France et la mise à jour des inéligibilités applicables aux élections parlementaires, ces trois textes visaient plus généralement à prendre en compte, d'une part, les préconisations formulées par le groupe de travail présidé par Pierre Mazeaud sur la législation relative au financement des campagnes électorales pour les élections législatives et, d'autre part, certaines des propositions de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ainsi que de la Commission pour la transparence financière de la vie politique.
Cette ambition aurait pu ou aurait dû faire consensus. Le débat parlementaire aurait ainsi permis d'améliorer encore notre législation sur le financement des partis politiques et des campagnes électorales. Nous aurions pu, en particulier, tous nous entendre afin qu'un député qui omet sciemment des éléments dans la déclaration de patrimoine qu'il effectue au début et à la fin de son mandat soit sanctionné. La commission des lois avait initialement adopté, à l'unanimité, un dispositif prévoyant, dans le cas d'une déclaration de patrimoine délibérément mensongère, une amende de 30 000 euros, une mesure d'inéligibilité et une peine pouvant aller jusqu'à deux ans de prison. C'était compter sans l'action de MM. Copé et Jacob qui, à la veille de Noël, ont présenté in extremis un amendement scandaleux visant à supprimer purement et simplement cette incrimination. Un coup de force qui fut couronné de succès, puisque la majorité, coupant la poire en deux, a maintenu le principe d'une amende mais a supprimé la peine de prison. Ni le Sénat ni notre assemblée n'ont depuis rétabli ces dispositions initiales, en dépit des amendements de la gauche et des centristes.
Ces circonstances pourraient justifier, à elles seules, que nous votions contre ces textes. Il n'est pas acceptable de soustraire aux sanctions pénales les députés qui ont fait de fausses déclarations. Nous le savons tous, nos concitoyens attendent de leurs élus l'exemplarité et la transparence. Avec ce texte, vous leur envoyez un message selon lequel il y a deux poids, deux mesures, vous leur dites que les députés fraudeurs doivent échapper aux peines de prison, quand un simple vol à la tire peut valoir à son auteur trois ans d'emprisonnement. Nous n'acceptons pas semblable injustice.
Vous portez déjà une lourde responsabilité dans la dégradation du climat politique, dans la montée du Front national, dans le peu de confiance que nos concitoyens manifestent à l'égard des institutions, dans la défiance qu'ils éprouvent vis-à-vis de leurs représentants. Croyez-vous que c'est en refusant de sanctionner les députés fraudeurs que vous redonnerez confiance à nos concitoyens ? Croyez-vous que c'est en agissant de la sorte que ceux-ci retourneront aux urnes et cesseront de prêter l'oreille aux propos démagogiques du Front national ?
Vous vous apprêtez d'ailleurs à recommencer au sujet de la question des conflits d'intérêts. Il n'y a qu'à voir l'accueil glacé que la majorité a réservé au rapport de la commission chargée de réfléchir à une moralisation de la vie politique – un rapport qui a déjà fait couler beaucoup d'encre. On ne compte plus les députés de la majorité qui l'ont critiqué ouvertement, à commencer par Jean-François Copé – lui encore – qui déclarait, en dépit des lourdes affaires qui entachent ce quinquennat, qu'« il n'y a pas besoin d'une loi » en la matière.
Votre refus de renforcer les compétences et les pouvoirs d'investigation de la Commission pour la transparence de la vie financière souligne votre absence de volonté politique. Ces compétences et pouvoirs nouveaux constituent pourtant le préalable à la lutte contre les conflits d'intérêts et à cette moralisation de la vie publique que, dans leur immense majorité, nos concitoyens attendent.
Enfin, les débats de la semaine dernière ont mis en relief, une fois de plus, le mépris dans lequel le Gouvernement tient le Parlement. Notre assemblée n'est plus qu'une chambre d'enregistrement où tout débat est interdit, où le Gouvernement use et abuse des instruments de procédure.
Ainsi, la mode est désormais aux secondes délibérations. Lors de nos débats de la semaine dernière, vous avez demandé à votre majorité de revenir sur le vote d'un amendement déposé par un membre de votre majorité une heure plus tôt, et que notre assemblée avait adopté car il soulevait une vraie question – il apportait à tout le moins une précision utile, propre à éclairer le juge sur le statut des moyens de communication électronique. Vous avez demandé à notre assemblée de revenir sur cet amendement non pour un motif de fond, mais simplement pour accélérer l'examen du texte en vous assurant d'un vote conforme par les deux chambres. Vous nous aviez déjà fait le coup lors de l'examen du texte sur le Défenseur des droits et vous vous apprêtez à recommencer à propos de la garde à vue.
C'est proprement inadmissible : vous piétinez le rôle du législateur. Qu'est-ce qu'une assemblée où une mesure ne peut être adoptée, même si elle fait l'unanimité, au motif qu'elle ralentit l'examen du texte ? De qui se moque-t-on ? Si nous n'écrivons plus la loi, que signifie encore le Parlement ? Que signifie la notion de démocratie parlementaire ? Nous vous demandons solennellement de mettre fin à ce type de pratique.